Marchés financiers : la question de la croissance

Asset Management - Après une année 2020 marquée par la crise sanitaire, les marchés financiers sont en quête de croissance. Quelles mesures budgétaires pourraient soutenir le rebond ? Quelles perspectives pour l'investissement ? Le point avec Hervé Goulletquer, Stratégiste chez La Banque Postale Asset Management.

Le marché paraît nous dire que, dans le sillage d’une installation de Joe Biden à la Maison Blanche, la priorité va être donnée à la croissance. Peut-être ; mais au travers de mesures financées par qui et au profit de qui ? Il faudrait être plus clair sur le sujet. Le FMI dit bien sûr que 2021 sera un cru « honnête » en matière de croissance.

Il faut bien compenser l’annus horribilis qu’est 2020. Ce n’est pas pour autant que l’institution internationale fait preuve d’un grand optimisme pour la suite. Tout est à construire. Dans le contexte économique du moment, la dynamique des différentes composantes des prix américains à la consommation paraît se lire comme le reflet d’une confrontation entre l’offre et la demande.

Actions US, quelle volatilité ?

Nous parlions en début de semaine d’un environnement devant pas très bien balisé ; qu’il s’agisse de la situation politique aux Etats-Unis ou du monde post-Covid Passe que le marché, un peu dans une logique du « chaque chose dans son temps », fasse l’impasse sur le coup « longtemps après » ; il faut en revanche s’interroger sur l’espèce de sérénité concernant le déroulé et le résultat des élections américaines.

Il apparaît que l’enchaînement, du premier débat télévisé Biden – Trump au test positif au virus de celui-ci, a créé une double anticipation dans la communauté financière : il n’y aura pas de contestation du résultat de la course à la présidentielle, simplement parce que l’avance du candidat démocrate sera trop importante, et l’Administration en place à partir de fin janvier prochain s’emploiera à soutenir l’activité économique. 

De fait, les contrats VIX envoient l’image d’une volatilité qui rentre dans le rang ; qui plus est avec un mois de novembre qui ne fait plus spécialement peur, contrairement à la situation qui prévalait début septembre. De plus, le style value ou les small caps ne paraissent plus autant délaissés que ce fut le cas au cours d’un passé pas si éloigné, et ceci par rapport au style growth ou aux large caps.

Wall Street face à la vague bleue

Je continue à penser qu’il y a quelque chose de « lafontainien » dans l’attitude du marché — vendre la peau de l’ours qu’on ne l’ait mis mise par terre ; cf. L’ours et les deux compagnons. Une nette victoire de Joe Biden peut entraîner dans son sillage un changement de majorité au Sénat. En cas de « vague bleue », soit la Maison Blanche et les deux Chambres du Congrès contrôlés par le Parti démocrate, la politique économique envisagée pourrait inquiéter Wall Street.

Avec alors le risque d’avoir une volatilité moins sage. Le style value s’en trouverait-il forcément favorisé ? On peut évidemment appeler de ses vœux un « meilleur des mondes », mêlant un Président démocrate, un Congrès divisé (à chaque Chambre sa majorité) et un nouveau plan de relance sans que pour autant le reste de la politique économique ne change beaucoup ; mais il n’est pas dit, au moins à aujourd’hui, qu’il verra le jour.

Récession plus faible que prévu

Nous le ressentons ; le thème de la croissance restera prépondérant dans l’attitude des investisseurs à l’horizon des prochains mois et trimestres. Que nous dit le FMI en la matière ? Ne vient-il pas de revoir ses perspectives à l’horizon de l’année prochaine ? La récession mondiale cette année sera moins sévère que prévue en juin dernier : – 4,4 % au lieu de – 5,2 %.

Avant tout parce que dans les pays développés (pour l’essentiel) la chute de T2 a été moins spectaculairement forte et que le sursaut de T3 aurait été un peu plus marqué. Le rebond pronostiqué pour 2021 est un peu écorné par rapport à la livraison précédente : + 5,2 % à la place de + 5,4 %. Cette correction haussière d’une ampleur plus mesurée s’expliquerait surtout par le repli un peu plus faible de l’activité en 2020. Il y a moins à remonter parce que cela a moins baissé avant, en quelque sorte.

Retour de la croissance mondiale ?

La perspective d’une croissance mondiale supérieure à 5 % en 2021 ne doit pas faire trop illusion. Même si elle est nettement supérieure à la moyenne de longue période (autour de +3,5 % par an). Le retard de croissance créé en 2020 ne sera que très partiellement comblé. Il faudrait encore quelque quatre années de surperformance de cette ampleur pour réussir à le combler entièrement.

Le FMI paraît considérer que l’hypothèse est hors d’atteinte ; disons au moins toutes choses égales par ailleurs. Ce qui veut dire que les cicatrices, qu’il s’agisse de sinistralité des entreprises, d’équilibre du marché de l’emploi ou de recettes budgétaires pour les administrations publiques, ne se refermeront pas bien.

Nécessité d’une aide budgétaire

Que faire pour que les choses ne suivent pas cette pente ? Deux points sont particulièrement à suivre ; même s’il y en a d’autres. Le soutien apporté par les budgets publics à ce processus de rattrapage d’abord et le comportement d’épargne des ménages ensuite. Concernant, la politique budgétaire, le FMI retient l’hypothèse d’une nette remise en cause en 2021 du volontarisme intervenu cette année. Cela vaudrait principalement pour les pays développés.

Comme si, dans un avenir très proche, la demande privée allait être prête à prendre le relais des dépenses publiques. Au-delà de l’imprécision dans la quantification, au titre de la méthode utilisée, la conjecture est forte. Emmener l’économie sur la double voie de la transition environnementale et du numérique demandera un accompagnement par la puissance publique. Sans changement des moteurs de la croissance, il n’y aura probablement pas de rattrapages.

Taux d’épargne plus élevé

Pour ce qui est du comportement d’épargne des ménages, le FMI considère que le motif de précaution restera présent, avec une volonté de prendre en compte les risques de chômage et de maladie. Peut-être, est-il possible d’aller un peu plus loin, en insistant sur deux aspects. Avant de le faire, rappelons que le taux d’épargne a beaucoup monté avec le confinement. Au deuxième trimestre et sur un an, il avait augmenté de presque 20 points aux Etats-Unis et de plus de 10 points en zone euro.

D’abord, il semble, au moins dans le cas européen, que la montée de l’effort d’épargne soit allée bien au-delà que suggérée par les craintes de dégradation du marché de l’emploi. Sauf à ce que l’effroi ressenti à cause de l’épidémie se renforce, le potentiel de baisse pourrait être plus marqué que ne le propose le FMI. Ensuite et a contrario, ce taux d’épargne plus élevé s’explique avant tout par le comportement des ménages les plus aisés.

C’est du moins ce que suggère une étude du Conseil d’Analyse Economique dans le cas français. Leur style de vie a été entravé par le confinement. Quand le retrouveront-ils totalement. Nous ne le ne savons pas bien ; peut-être jamais. A ce titre, le taux d’épargne des ménages pourrait se positionner pour un certain temps à un niveau plus élevé que dans l’avant-Covid. Et au final le FMI d’avoir peut-être raison ; même si c’est par des chemins détournés !

Inflation, le retour ?

Finissons en disant deux mots de l’inflation. Le thème tarabuste les marchés, on le sait. Les chiffres de septembre concernant les prix à la consommation aux Etats-Unis restent bien mollassons, avec des glissements sur un an de 1,4 % pour l’indice d’ensemble et de 1,7 % pour le noyau dur. Si une remontée est observée par rapport aux points bas de juin dernier, les niveaux les plus récents sont en-deçà de ceux de début d’année. Faisons deux autres commentaires.

Premièrement, la loi de l’offre et de la demande paraît bien fonctionner. Si la nourriture à la maison enregistre une hausse de prix sur un an de 4,1 %, le prix du repas prix à l’école ou sur le lieu de travail baisse de 3,4 %. Ce contraste entre les dynamiques des prix de ce qui est consommé à la maison ou à l’extérieur se retrouve dans bien d’autre cas. Deuxièmement, un certain nombre de prix, qui avaient monté au sortir du confinement, ont baissé en septembre (observation d’un mois à l’autre). C’est le cas des nuitées d’hôtel ou des vêtements.