Marchés financiers : Donald Trump, croissance et politique budgétaire

Asset Management - Cette semaine, triple regard sur le jeu très politique du président américain Donald Trump, sur le rythme de la croissance en fin d’année et sur les objectifs de la politique budgétaire. Le point avec Hervé Goulletquer, Stratégiste chez La Banque Postale Asset Management.

Donald Trump fait de la politique : la nomination d’un nouveau juge à la Cour Suprême des Etats-Unis parait être son premier objectif et la carte chinoise pourrait être ressortie afin d’essayer de combler le retard par rapport à Joe Biden. L’INSEE prévoit une croissance française nulle au quatrième trimestre. Un effet de l’incertitude probablement et une mauvaise nouvelle assurément.

Un Occasional Paper de la Banque centrale européenne (BCE) insiste sur la nécessité de ne pas augmenter les objectifs confiés à une banque centrale. La stabilité (des prix et financière) est sa raison d’être. S‘aventurer sur d’autres terrains serait s’exposer au risque d’une remise en cause de son indépendance.

Bras de fer budgétaire

Revenons sur la décision du Président Trump d’arrêter les discussions avec les démocrates du Congrès sur un nouveau plan de soutien/relance. Nous avons discuté un certain nombre de fois l’importance qu’il y avait à continuer de soutenir une activité économique encore fragile. N’y revenons pas. Arrêtons-nous plutôt sur la rationalité politique qui justifie un tel geste. En laissant de côté l’explication selon laquelle le caractère impulsif et peu rationnel du Chef de l’exécutif américain aurait une nouvelle fois frappé. Je vois deux pistes à proposer et une implication à prendre en compte.

D’abord, le besoin à quelques semaines de l’élection de réunifier le front républicain. Souvenons-nous que sur la période passée, la Maison Blanche avait fait preuve de plus d’allant que la majorité républicaine du Sénat pour pousser l’initiative d’un quatrième plan budgétaire. Envoyer une image de division dans la perspective d’un rendez-vous électoral qui s’annonce difficile est malvenu. Reste à adresser le point d’un Président qui s’aligne sur la position des sénateurs républicains. Cela fait l’objet de la deuxième piste.

Ensuite donc, avec une contrainte de calendrier forte — les électeurs se rendent aux urnes le 3 novembre —, une hiérarchie des priorités est à proposer. Il apparaît que la nomination avant cette date d’un neuvième juge à la Cour suprême des Etats-Unis est positionnée en tête de liste. Pourquoi ? Sans doute parce que, en cas de contestation du résultat de l’élection présidentielle, le processus juridique des recours est la première « ligne d’attaque » des Républicains et que celui-ci peut remonter jusqu’à la Cour suprême. Au sein de celle-ci, une majorité de six contre trois en faveur des juges estampillés conservateurs, fait espérer à la Maison Blanche une éventuelle décision en la faveur de son champion.

Tensions avec la Chine

Passons à l’implication. Nous le rappelions en début de semaine ; parmi les quatre sujets de fond sur lesquels l’élection se décidera, l’économie est celui pour lequel le Président a le plus de traction. Justement au travers de la mise en place de nouvelles mesures de soutien/relance. S’il l’abandonne, il en reste deux qui ne sont pas à son avantage (la polarisation de la vie politique et la pandémie) et un troisième (la fermeté par rapport à la Chine) pour lequel les deux concurrents sont perçus à égalité. 

Devons-nous considérer que Donald Trump pourrait vouloir dramatiser les relations entre les deux pays pour rassembler l’électorat autour de lui ? La piste fait sens et est peut-être déjà explorée, avec le projet de restreindre l’activité aux Etats-Unis de deux entreprises chinoises de paiement en ligne. De plus, le contexte chinois se prête à ce type d’initiative. Pourquoi cela ? Simplement parce que l’année 2020 offre un contraste Chine – Etats-Unis en faveur du premier pays ; qu’il s’agisse de croissance économique ou de lutte contre la pandémie (la référence est bien sûr les chiffres officiels). 

Les autorités de Pékin profitent assurément de cet avantage pour « avancer leurs pions » sur la scène mondiale (Hong Kong, Inde, voire Taïwan). La « supériorité » du modèle chinois devrait être réaffirmée avec le lancement du XIVe plan quinquennal (2021 – 2025), prévu entre les 26 et 29 octobre. Juste avant l’élection américaine ; comme de fait exprès ! N’est-il pas alors plus que temps pour l’Administration américaine d’envoyer le message de savoir ne pas aller trop loin au Parti-Etat à la tête de la Chine ?

Croissance française, morne plaine

Si la situation politique américaine est le premier sujet de vigilance des marchés à l’heure actuelle, le second est assurément le profil de la croissance économique au quatrième trimestre 2020 et au-delà. A ce titre, il faut écouter le message envoyé par la dernière note de conjoncture de l’INSEE.

Il ne concerne que la France ; mais le message de plus grande incertitude couvre assurément une géographie plus large. L’institut de statistique note la plus grande réserve des chefs d’entreprise concernant leur activité au cours des prochains mois. Cela vaut pour l’industrie comme pour les services.

Fort de ce constat et en prenant en compte le « vif rebond associé au déconfinement », avec un PIB progressant d’un trimestre à l’autre de 16% en T3 (après -13,8% en T2), l’INSEE retient une stagnation de l’activité en T4. Le PIB resterait ainsi quelque 5% en deçà de son niveau d’avant l’épidémie. Quid de la suite dans un contexte épidémique toujours incertain ?

Politique monétaire, la stabilité ?

Finissons en évoquant la politique monétaire ; ne reste-t-elle le Deus ex machina pour les marchés ? Pointons deux choses. D’abord le tir groupé de la Fed et de la BCE pour demander le maintien d’une politique budgétaire proactive et ensuite la publication par la BCE d’un Occasional Paper dont le but est « la défense et l’illustration » de l’indépendance des banques centrales. 

La thèse défendue est que la multiplication des modes d’intervention des banques centrales ne doit pas pousser à une augmentation du nombre des objectifs retenus dans le mandat confié à la banque centrale. La double stabilité des prix et financière doit rester leur raison d’être. « Il faut résister publiquement aux élargissements inutiles des mandats et aussi souligner les limites de la politique monétaire, tout en appelant les autres acteurs de la politique économique à faire leur part à chaque fois que de besoin ».

Nous le comprenons, la banque centrale doit rester sur le terrain de la stabilité et pas s’aventurer sur ceux de l’allocation ou de la distribution. C’est son indépendance qui serait alors en jeu. Pourtant, nous pouvons avoir l’impression que ces pistes commencent à être explorées. A suivre donc.