Julien Delrieu & Guillaume Pajczer — Vertuo Conseil – Square Management : crise bancaire, « la faillite de SVB est un cas d’école »

Asset Management - Depuis la faillite de SVB aux Etats-Unis, l'Union européenne (UE) redoute la propagation de la crise. Faut-il craindre un risque systémique dans le secteur bancaire ? De quels outils l'UE dispose-t-elle pour s'en protéger ? Julien Delrieu et Guillaume Pajczer seniors manager chez Vertuo Conseil - Square Management, répondent au Courrier Financier.

Depuis la faillite de la Silicon Valley Bank (SVB) aux Etats-Unis, l’Europe redoute la contagion. Ce jeudi 16 mars, le Crédit Suisse rebondit en bourse après une chute record la veille — grâce à un emprunt de 50 milliards de francs suisse auprès de la banque centrale helvétique. De son côté, la Banque centrale européenne (BCE) maintient sa politique de hausse des taux. Comment l’Union européenne (UE) peut-elle protéger ses banques ? Quel rôle la BCE joue-t-elle dans l’équation ? Julien Delrieu et Guillaume Pajczer, seniors managers chez Vertuo Conseil – Square Management, répondent en exclusivité au Courrier Financier.

Le Courrier Financier : Comment la Silicon Valley Bank (SVB) a-t-elle fait faillite ? Qu’est-ce qui a déclenché ce bank run ?

Julien Delrieu & Guillaume Pajczer — Vertuo Conseil - Square Management : crise bancaire, « la faillite de SVB est un cas d'école »
Julien Delrieu

Julien Delrieu et Guillaume Pajczer : Le phénomène de bank run observé sur SVB — qui consiste en un retrait massif des dépôts en une très courte période — résulte de la perte de confiance des déposants dans l’établissement. En réalité, un « slow » bank run, suite à des conditions de financement plus restrictive des start-ups américaines avait déjà commencé avant.

Le bank run s’est accéléré suite à une tentative échouée par SVB de recapitalisation externe et à l’appel au retrait de plusieurs entrepreneurs de la sphère startup. Il convient de noter que ce bank run a atteint des volumes inconnus dans l’histoire de la finance mondiale — 42 milliards de dollars en moins de 10 heures !

La faillite de SVB est un cas d’école sur bien des aspects : une exposition majoritaire sur un secteur d’activité spécifique (la tech), une absence de diversification des sources de financement (quasi-exclusivement par des dépôts à vue), la faible couverture du risque de taux, etc.

C.F. : Quelles mesures les autorités américaines ont-elles prises depuis pour garantir les dépôts de la SVB ?

Julien Delrieu & Guillaume Pajczer — Vertuo Conseil - Square Management : crise bancaire, « la faillite de SVB est un cas d'école »
Guillaume Pajczer

J.D. & G.P : L’Agence de garantie des dépôts (FDIC) couvre aux Etats-Unis jusqu’à 250 000 dollars par compte bancaire. Le financement de la tech passe par des levées de fonds auprès des investisseurs, ensuite déposées en banque sur des sommes qui dépassent largement le montant de garantie fixé. La faillite de SVB aurait pu entraîner la perte de trésorerie d’une très grande partie du secteur tech, qui faisait la fierté (et la croissance) des Etats-Unis.

Cette position inconcevable a mené la Federal Reserve (Fed), le FIDC et le Trésor américain à débloquer un fonds de garantie exceptionnel pour dédommager la totalité des dépôts non-assurés de SVB. Il s’agit de mesures exceptionnelles : sans intervention directe, la perte pour les déposants aurait été quasiment totale.

C.F. : La faillite de SVB est-elle une conséquence indirecte de la politique monétaire de hausse des taux de la Fed ?

J.D. & G.P : Oui, mais indirectement. La chute de SVB résulte surtout d’une mauvaise gestion des risques ! SVB a commis deux erreurs : investir l’essentiel des dépôts collectés dans des titres à taux fixe et à maturité longue, et ne pas couvrir le risque de taux d’intérêt. La hausse des taux a naturellement induit une perte de valeur de ces titres qu’aucune couverture ne venait compenser.

La responsabilité du système de supervision apparaît également engagée sur le contrôle du risque de taux de SVB. Sa faible couverture — moins de 600 millions de dollars de notionnel de dérivés de taux pour un portefeuille de titres à taux fixe de plus de 120 milliards de dollars — aurait dû alerter bien avant l’incident. La remontée des taux n’a fait qu’amplifier des défaillances déjà existantes.

C.F. : L’Europe est-elle à l’abri de la contagion ? Faut-il craindre un risque systémique dans le secteur bancaire ?

J.D. & G.P : La règlementation et la supervision bancaire ont érigé des digues plus solides de ce côté de l’Atlantique. Les mesures et les reportings réglementaires sont obligatoires pour tous les établissements de crédit, quels que soient leur taille. Les banques disposent également de limites de concentration par contrepartie, par secteur, par type d’instrument qu’elles présentent à leur superviseur tous les mois. Les obligations de déclaration réglementaire sont efficacement complétées par un monitoring permanent du superviseur.

D‘autre part, la structure même des instruments échangés entre banques limite le risque de contagion en Europe : les opérations de prêt / emprunt sont quasi-exclusivement sécurisées avec le reverse repo [NDLR en français achat suivi de revente] depuis la crise de liquidité survenue entre 2008 et 2011. La réglementation impose de facto une compensation ou une collatéralisation efficace des instruments dérivés.

C.F. : De quels outils les Etats de l’Union européenne (UE) disposent-ils pour se protéger ? Qu’en est-il de la France ?

J.D. & G.P : Pour lutter contre la propagation systémique d’une faillite, la directive BRRD impose aux établissements de crédit d’organiser en avance la façon de les éteindre progressivement, et sans faire appel aux deniers publics.

Sur la protection des déposants, la création du Fond de Garantie des Dépôts et de Résolution (FGDR) garantit l’indemnisation à hauteur de 100 000 euros si une banque ou une entreprise d’investissement est déclarée en faillite. La France applique des couvertures complémentaires au FGDR pour nos produits d’épargne (Livret A, LDDS, LEP).

Le législateur européen a également imposé la création d’un Fond de Résolution Unique (le FRU) qui assure la continuité de fonctionnement des banques par recapitalisation. Pour contrer le phénomène de bank run, la règlementation donne le pouvoir aux Etats membres d’encadrer le montant possible des retraits, et au superviseur de geler les dépôts pendant une courte période.

C.F. : Quel sera l’impact de la faillite de SVB sur la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE) ?

J.D. & G.P : La BCE a réitéré à l’issue de sa réunion de politique monétaire du 16 mars sa détermination à combattre l’inflation, en actant la hausse de 0,5 % prévue de ses taux d’intérêt. Par ailleurs, le communiqué ne mentionne ni SVB, ni Crédit Suisse, ni une raison d’infléchir la trajectoire initiée de normalisation de sa politique monétaire.

En tant que superviseur ultime, la BCE a pour mandat la stabilité du système financier et la lutte contre l’inflation. La BCE laisse toutefois ouverte la possibilité d’interventions ponctuelles, comme l’injection ciblée de liquidités par la BNS pour éviter toute perte de confiance.

Mathilde Hodouin - Le Courrier Financier

Rédactrice en chef (janvier 2019 - février 2024)

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