Rémi Adam – Comgest : valeurs tech américaines, « diversifier les leviers de croissance »

Asset Management - En 2023, pourquoi conserver des valeurs tech américaines en portefeuille ? Comment sélectionner les entreprises ? Rémi Adam, gérant de portefeuille et analyste spécialiste des actions américaines chez Comgest, répond au Courrier Financier.

En 2022, la tech a connu une année très chahutée sur les marchés actions américains. Les Etats-Unis ont connu 6,5 % d’inflation en 2022, d’après le ministère américain du Travail. Quels sont les atouts des valeurs technologiques américaines ? Quelle place donner à cette catégorie d’actions croissance dans son portefeuille ? Dans ce contexte macroéconomique, la société de gestion Comgest — spécialisée dans les actions « qualité et croissance » — revient sur sa stratégie de stock picking. Rémi Adam, gérant de portefeuille et analyste spécialiste des actions américaines chez Comgest, répond en exclusivité au Courrier Financier

Le Courrier Financier : Pourquoi les valeurs technologiques (tech) américaines ont-elles dévissé en bourse en 2022 ?

Rémi Adam - Comgest : valeurs technologiques américaines, « diversifier les leviers de croissance »
Rémi Adam

Rémi Adam : Après une décennie de taux d’intérêts bas et d’inflation maîtrisée, la banque centrale américaine s’est vue contrainte de fortement relever ses taux pour ralentir la hausse des prix, impactant de manière disproportionnée les entreprises à forte croissance. Malgré des fondamentaux de long terme toujours attractifs dans la technologie aux Etats-Unis, le secteur a connu une forte compression de ses multiples de valorisation au cours de l’année 2022.

L’indice S&P 500 IT a reculé de -29 %, une baisse alimentée quasi exclusivement par le recul de son multiple de BPA à douze mois passant de 28 à 20x. Les anticipations de résultats n’ont quant à elles pratiquement pas évolué sur la période. Sur 5 ans, l’indice a tout de même doublé, une performance deux fois supérieure aux autres secteurs. 

C.F. : Malgré ce contexte de marché défavorable, pourquoi conservez-vous ces valeurs en portefeuille ?

R.A. : Si la grande majorité des valeurs technologiques ont fortement souffert de la hausse des taux l’an dernier, ce n’est pas le cas de sociétés injustement délaissées par les investisseurs car considérées comme trop établies. Nous assumons pleinement de ne pas rechercher l’idée disruptive du moment ou la croissance à tout prix.

Les conglomérats « monotones » rentables offrent souvent à la fois une meilleure visibilité sans oublier d’investir les segments les plus porteurs. Par exemple, la société Oracle a tiré son épingle du jeu en reculant de 5 % seulement, malgré une croissance organique attendue entre 9 % et 10 % sur les trois prochaines années. A l’instar de Microsoft il y a dix ans, Oracle se réinvente et détient aujourd’hui 10 % du marché des applications pour entreprises (ERP SaaS). 

C.F. : Comment sélectionnez-vous les entreprises ? Quelle est votre stratégie de stock picking ?

R.A. : Notre processus de sélection s’appuie sur l’évaluation rigoureuse des attributs de qualité et de croissance des entreprises de notre vaste univers d’investissement. Découvertes au cours de visites, conférences, discussions avec clients, fournisseurs ou équipes régionales de Comgest, elles sont analysées entre autres à l’aune de leur croissance à long terme, la durabilité de leur avantage concurrentiel et la crédibilité de leurs équipes dirigeantes.

Nous attachons une importance particulière à la valorisation pour construire un portefeuille concentré de près de 30 valeurs — en veillant à en diversifier les leviers de croissance. Nos positions sont bâties progressivement. Les plus grandes pondérations reflétant à la fois une forte conviction et une détention de longue durée, de plus de 5 ans en moyenne et plus de 8 pour nos dix plus grandes convictions. 

C.F. : Les valeurs tech américaines peuvent-elles entrer dans une logique d’investissement durable ?

R.A. : La technologie n’est certes pas la panacée, mais elle offre des solutions utiles à l’heure de la sobriété. Avec des taux d’intérêt plus élevés, les entreprises retrouvent les bienfaits de la génération de trésorerie. Elles sont amenées à revoir leurs plans d’investissements pour prioriser le « faire plus avec moins ».

Qu’il s’agisse de renforcer l’efficacité des infrastructures informatiques (avec les applications de planification des ressources d’entreprise d’Oracle et Azure ou le système de « cloud » de Microsoft), de gérer les chaînes d’approvisionnement en temps réel (grâce aux étiquettes RFID d’Avery Dennison), ou d’opter pour le paiement en temps réel (services de paie externalisés de Paycom et d’Intuit), les entreprises peuvent miser sur les forces désinflationnistes pour éliminer le superflu. 

C.F. : En ce début 2023, la Value surperforme sur les marchés. Pourquoi les investisseurs devraient-ils s’intéresser à la gestion « qualité et croissance » (growth) de Comgest ?

R.A. : A fin février, la croissance fait pour l’instant jeu égal avec la value. Nous gardons la conviction qu’à long terme, la valeur des entreprises cotées suit la croissance de leurs bénéfices par action. Alors que les industries associées à la value comme l’énergie (+59 % avec la guerre en Ukraine) ou les financières (-12 %, soutenues par la remontée des taux), ont bénéficié d’une conjoncture exceptionnelle en 2022, les sociétés de croissance ont avant tout souffert d’une correction de multiple.

Cette modération offre un point d’entrée attractif pour des sociétés à la croissance visible et résiliente. Nos entreprises sont, par exemple, idéalement positionnées pour répondre aux besoins de productivité des sociétés déboussolées après deux années de crise. La value est par ailleurs souvent plus endettée, une position défavorable en période de taux élevés. 

C.F. : Quels conseils donneriez-vous aux investisseurs qui souhaitent se positionner sur les valeurs tech US ?

R.A. : Dans le secteur de la technologie comme ailleurs, toute croissance ne se vaut pas. D’où le soin particulier que nous attachons à la qualité des entreprises que nous sélectionnons. En premier lieu, nous restons à l’écart des sociétés non profitables. Nous sommes attentifs aux ajustements comptables courants qui excluent les dépenses de rétention d’ingénieurs par l’émission d’actions.

Si nous apprécions la stabilité et à la visibilité des volumes d’affaires des modèles de souscription, nous ne faisons pas l’impasse sur les barrières à l’entrée dans un secteur en mouvement rapide : effet de taille, réseaux de distribution et force de la marque restent essentiels pour générer de la croissance à long terme. Enfin, maintenir une discipline de valorisation améliore non seulement les retours sur investissement mais minimise le coût d’éventuels accidents.

Mathilde Hodouin - Le Courrier Financier

Rédactrice en chef (janvier 2019 - février 2024)

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