Investissement : la gamification augmente la prise de risque chez les jeunes

Asset Management - Investir en bourse, ce n'est pas jouer à la loterie. Le 22 novembre dernier, l'Autorité des marchés financiers (AMF) publiait les résultats d'une expérience sur la gamification et l'augmentation de la prise de risque chez les jeunes investisseurs. Comment aider les investisseurs particuliers à mieux évaluer les risques ? Le point avec Le Courrier Financier.

« Jouer en bourse » s’entend parfois de manière littérale. Le 22 novembre dernier, l’Autorité des marchés financiers (AMF) publiait une note sur l’impact de la gamification et du copy trading dans la prise de risque des investisseurs. Le régulateur y présente une expérience menée par le Laboratoire d’économie expérimentale (LEES) de l’Université de Strasbourg (Bas-Rhin), sous la direction de Marie-Hélène Broihanne. Les données ont été récoltées auprès d’un échantillon de 366 étudiants, âgés de 22 ans en moyenne, en mai et juin 2023. Objectif, évaluer l’influence des procédés de gamification (trophées ou confettis virtuels) sur les jeunes investisseurs.

La bourse n’est pas un jeu d’enfant

Dans ce cadre, les participants ont été placés dans une situation d’investissement. Dans un box individuel face à un ordinateur, ils ont reçu la somme initiale de 22 euros. Au cours de 16 sessions, ils devaient choisir la proportion investie en actifs risqués et celle conservée sans risque. Par ailleurs, ils pouvaient copier automatiquement les décisions du participant qui avait obtenu la meilleure performance au cours des périodes précédentes. Les résultats montrent que la possibilité d’obtenir un trophée incite les jeunes à investir — qu’il s’agisse d’un trophée qui récompense la prise de risque, ou à l’inverse l’épargne sans risque.

En revanche, un simple nuage de confettis avec un message d’encouragement ou de félicitations sur l’écran ne produit pas d’effet significatif. L’expérience met en avant le pouvoir d’incitation (en anglais « nudge ») des trophées symboliques dans la prise de risque. Toutefois, le partage du classement des participants n’accentue pas cet effet. Un étudiant sur cinq (20 %) choisit de copier les résultats du plus performant (copy trading) quand il le peut. Ce contexte favorise la prise de risque chez l’ensemble des participants. Les femmes se montrent moins réceptives à la gamification, mais aussi plus enclines au mimétisme.

Investissement : la gamification augmente la prise de risque
Investissement : la gamification augmente la prise de risque
Source : étude « Gamification et copy trading en finance : une expérience en laboratoire », novembre 2023
Marie-Hélène Broihanne, LaRGE, EM Strasbourg Université de Strasbourg & Conseil scientifique de l’AMF

« L’expérience sur les effets de la gamification sur les comportements d’investisseurs est une première en France. Le choix d’une expérience en laboratoire permet d’obtenir des résultats solides qui prouvent que ces techniques ne sont pas neutres », déclare Marie-Hélène Broihanne, professeur agrégé des Universités en sciences de gestion, au Laboratoire de recherche en gestion et en économie (LaRGE, EM Strasbourg). « L’investissement n’est pas un jeu et la gamification ne doit pas faire oublier les risques. L’AMF y est très attentive », réagit Marie-Anne Barbat-Layani, présidente de l’AMF.

Quelle appétence pour le risque ?

En 2020, la crise sanitaire a servi d’appel d’air pour les particuliers en bourse. En octobre dernier, le Baromètre des investisseurs particuliers actifs de l’AMF recensait 637 000 personnes qui avaient acheté ou vendu des actions au T3 2023 (+6 % par rapport au T3 2022). Par ailleurs, 147 000 investisseurs particuliers ont également réalisé des transactions en ETF à cette période (+36 % rapport au T3 2022). Ces nouveaux investisseurs français sont plus jeunes, mais aussi plus enclins à prendre des risques. Dans une étude pour l’AMF, publiée le 8 novembre dernier, l’OCDE dresse leur portrait.

Un trait psychologie ressort de cette étude, la plupart des nouveaux investisseurs sont des joueurs ou des parieurs. Neuf nouveaux investisseurs sur dix (89 %) jouent à des jeux vidéos en ligne, toutes tranches d’âge confondues. Notons que dans la catégorie des 18 à 24 ans, sept sondés sur dix (68 %) jouent régulièrement en ligne. En outre, les nouveaux investisseurs sont très nombreux à parier pour de l’argent. Ils privilégient les jeux de hasard (79 %) comme les tickets de grattage ou le loto, devant les paris sportifs (67 %) en ligne ou non, et les sommes misées dans des cercles de jeu (58 %) comme le poker ou le casino.

Investissement : la gamification augmente la prise de risque
Source : étude OCDE pour l’AMF, « Les nouveaux investisseurs particuliers en France », novembre 2023

Cette appétence pour le jeu et les paris est presque deux fois plus élevée que chez la moyenne des sondés (44 %). Sans surprise, elle se traduit dans les stratégies d’investissement. Les nouveaux investisseurs « semblent jouer dans une mesure significative », pointent les auteurs de l’étude. Par exemple, 94 % de ceux qui investissent dans des produits spéculatifs — comme les turbos ou les warrants — jouent en ligne régulièrement ou occasionnellement. C’est aussi le cas pour 93 % de ceux qui investissent en financement participatif (crowdfunding). Et presque tous les investisseurs dans les NFT (99 %) ou les crypto-actifs (92 %) sont dans le même cas.

Des outils pour évaluer le risque

Dans un contexte incertain, marqué par l’inflation (+4,2 % sur un an en octobre 2023 d’après l’Insee), les risques font partie du paysage. Pour aider les investisseurs, l’AMF a publié le 30 juin dernier l’édition 2023 de sa Cartographie des marchés et des risques. D’autres acteurs privés, comme les plateforme d’investissement, proposent des fonctionnalités d’analyse de portefeuille en ligne. Par exemple, depuis le 24 octobre dernier Scalable Capital propose à ses clients l’outil « Insights » — en partenariat avec BlackRock. Objectif, détecter les risques de concentration dans le portefeuille et les réduire grâce à une diversification ciblée.

Cet outil Insights est disponible pour les clients PRIME et PRIME+ sur le web et dans les applications. « L’analyse de portefeuille permet d’obtenir une meilleure vue d’ensemble de son portefeuille et de prendre des décisions éclairées en matière d’investissement afin de se constituer un patrimoine à long terme », explique Marc Braun, Directeur France chez Scalable Capital. « Nous voulons permettre une compréhension globale de l’ensemble du portefeuille, et pas seulement des produits d’investissement individuels », ajoute Kai Bald, co-responsable EMEA de la technologie patrimoniale chez BlackRock.

Mathilde Hodouin - Le Courrier Financier

Rédactrice en chef (janvier 2019 - février 2024)

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