Ladislas Manset – Pono : crowdfunding, « la fiducie est un outil de réassurance mis en avant par les plateformes »

Patrimoine - Pourquoi les plateformes de crowdfunding se tournent-elles vers la fiducie ? Comment fonctionne cette garantie de financement ? Ladislas Manset, cofondateur et PDG de Pono Technologies, répond aux questions du Courrier Financier.

En 2023, l’accès au financement se tend pour les entreprises. L’économie française oscille entre flambée de l’inflation (+6,2 % en février d’après l’Insee) et hausse des taux d’intérêt. Les prêteurs cherchent donc davantage de sécurité, de qui renforce le rôle des garanties de financement. Dans ce contexte, pourquoi les plateformes de financement participatif (crowdfunding) se tournent-elles vers la fiducie ? Comment fonctionne ce système qui séduit de plus en plus d’investisseurs ? Ladislas Manset, cofondateur et PDG de Pono Technologies, répond en exclusivité aux questions du Courrier Financier.

Le Courrier Financier : Qu’est-ce qu’une fiducie ? A quoi sert-elle ?

Ladislas Manset – Pono : crowdfunding, « la fiducie est un outil de réassurance mis en avant par les plateformes »
Ladislas Manset

Ladislas Manset : La fiducie est une garantie utilisée pour sécuriser les opérations de financement sous le contrôle d’un tiers de confiance réglementé, le fiduciaire — typiquement une banque, un avocat ou une société de gestion. Elle prend la forme d’un contrat, signé entre l’emprunteur, le prêteur et le fiduciaire. Il est prévu que le prêteur peut tout à fait être fiduciaire sur ses propres opérations de financement, sans avoir recours à un tiers.

La mise en place d’une fiducie permet à l’emprunteur de transférer temporairement la propriété juridique d’un bien au fiduciaire en garantie d’un financement. L’actif transféré en garantie peut être celui faisant l’objet du financement. Le fiduciaire a alors un rôle de conservation des actifs qui lui ont été confiés, en conformité avec les objectifs du contrat.

C.F. : Pourquoi les investisseurs particuliers devraient-ils s’intéresser à cet outil ?

L.M. : Les investisseurs particuliers qui ont recours aux plateformes de financement analysent avec attention les risques associés à ces investissements, tels que le risque de non-remboursement en cas de défaillance des porteurs de projet.

La fiducie permet aux plateformes de crowdfunding d’avoir une garantie robuste face au risque de défaut, capable de rassurer les investisseurs et les plateformes de crowdlending. Elle est à ce titre surnommée la « reine des sûretés » par la pratique. Dans le cadre d’une opération de crowdfunding, la fiducie est un outil de réassurance mis en avant par les plateformes auprès de leur communauté d’investisseurs.

C.F. : La fiducie s’inspire du concept anglo-saxon du trust. Qu’apporte-elle par rapport aux autres garanties ?

L.M. : Bien avant le concept du trust anglo-saxon, la fiducie remonte en réalité à l’époque romaine ! Pour le constituant-emprunteur, sous réserve de sa solvabilité, la fiducie permet d’avoir accès au financement en mettant en garantie un bien, quel qu’il soit. Ce bien mis en garantie est « sanctuarisé » dans la fiducie.

Cela signifie que le prêteur-bénéficiaire, par exemple un crowdlender ou une banque, bénéficie d’un accès privilégié aux actifs mis en garantie afin de les faire vendre en cas de défaut — notamment dans le cas d’une éventuelle procédure collective de l’emprunteur.

C’est aussi une source de réassurance pour le constituant-emprunteur : l’exécution de la garantie suit une procédure contractuelle. Elle permet notamment une réalisation à des conditions normales de marché, sans avoir recours à des procédures judiciaires, souvent longues, coûteuses et destructrices de valeur.

C.F. : Pourquoi la fiducie peut elle coûter moins cher que d’autres garanties traditionnelles ?

L.M. : Le coût de la fiducie est généralement forfaitaire et lissé dans la durée ce qui permet à l’emprunteur d’immobiliser moins d’apport financier à la signature de l’opération. A l’inverse, une hypothèque par exemple, nécessite des coûts de constitution calculés en pourcentage du montant du financement.

Ces coûts sont payés dès la signature du financement par l’emprunteur, quelle que soit la durée de ce dernier. Ce différentiel de coût explique en partie l’engouement récent des emprunteurs pour la fiducie, notamment dans le secteur des professionnels de l’immobilier.

C.F. : Comment cet outil s’adapte-il aux besoins des plateformes crowdfunding ?

L.M. : Les plateformes de financement participatif sont amenées à demander des garanties auprès des porteurs de projets qu’elles financent. Les covenants du financement — les engagements consentis par l’emprunteur d’informer le prêteur (ratio financiers, informations commerciales, documents comptables, etc.) — constituent également un facteur de réassurance pour les prêteurs.

Comme je l’ai expliqué, la fiducie offre un cadre sécurisant pour les prêteurs, tout en permettant une protection de la valeur satisfaisante pour toutes les parties en cas de réalisation. Outre son coût souvent attractif pour les emprunteurs, il s’agit d’une alternative relativement rapide et simple à mettre en place. Dans la majorité des cas, il s’agit d’un acte sous seing privé qui peut être signé électroniquement.

C.F. : Le recours à la fiducie a triplé entre 2021 et 2022. Quelles perspectives en 2023 ?

L.M. : L’utilisation des garanties du financement par les plateformes de crowdfunding s’est intensifiée avec un recours à la fiducie qui a plus que triplé pour passer de 50 millions d’euros en 2021 à 175 millions d’euros en 2022. Le crowdfunding est devenu une classe d’actifs à part entière, comme l’atteste la collecte record (2,3 milliards d’euros) des plateformes en 2022.

Les plateformes gagnent en maturité. Elles placent ainsi davantage la sécurité des investisseurs au cœur de leur stratégie, notamment par la mise en place de garanties efficaces comme la fiducie. L’usage de la fiducie devrait donc se renforcer en 2023.

De manière générale, depuis 24 mois, les plateformes ont fait davantage de pédagogie sur les garanties qu’elles utilisent pour protéger leurs investisseurs. Nous constatons que la bonne utilisation des garanties devient un véritable argument de différenciation vis-à-vis de la concurrence.

C.F. : Comment Pono accompagne-t-elle la mise en place d’une fiducie ? Qui a recours à ce type d’outil ?

L.M. : Pono commercialise sa solution SaaS [NDLR en anglais Software as a Service] auprès de fiduciaires, banques, avocats ou sociétés de gestion, afin de les aider à gérer efficacement leur portefeuille de contrats de fiducie. Notre solution s’applique également à tous les types de garanties telles que le gage, le nantissement ou la caution.

Pour les prêteurs, s’appuyer sur la technologie de Pono permet de remplacer des processus manuels de gestion du risque de crédit par une brique technologique. Cette solution leur permet ainsi d’automatiser le suivi administratif et opérationnel des garanties et des financements — formalités, KYC, covenants, reporting, etc.

Les back/middle office et les juristes gagnent en efficacité opérationnelle. Quant aux autres métiers, la solution leur permet de mieux maîtriser le risque opérationnel et la qualité de l’information sur leur portefeuille de prêts.

Mathilde Hodouin - Le Courrier Financier

Rédactrice en chef (janvier 2019 - février 2024)

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