Marchés financiers : dans quel « monde » vivons- nous ?

Asset Management - L'année 2023 devrait être davantage axée sur le risque de crédit. La Réserve fédérale américaine (Fed) va-t-elle baisser ses taux d'ici la fin de l'année 2023 comme le pensent les marchés ? Les équipes de Muzinich & Co. publient leur analyse de marché hebdomadaire.

Malgré le jour férié dans plusieurs pays en Europe, les marchés financiers mondiaux ont connu une semaine chargée. Le rachat de la First Republic Bank par J.P. Morgan et l’effondrement du cours des actions d’autres banques régionales américaines ont constitué une toile de fond incertaine pour les réunions du Federal Open Market Committee (FOMC) et de la Banque centrale européenne (BCE) de ce mois-ci.

Les hausses de taux en pause ?

Les données économiques ont continué à soutenir plusieurs thèmes macroéconomiques récents — un marché du travail solide aux États-Unis, une inflation toujours élevée en Europe et un ralentissement de l’activité manufacturière avec une croissance continue dans le secteur des services. Les deux banques centrales ont procédé à des augmentations de 25 points de base (pb) comme prévu, bien que les messages suggèrent une divergence future.

La Fed a signalé une éventuelle pause en juin, reconnaissant l’impact restrictif des tensions actuelles dans le secteur bancaire et les « retards longs et variables » avant de constater les effets du resserrement de la politique monétaire. Christine Lagarde a fermement indiqué que la BCE n’était pas encore prête à faire une pause, laissant même entendre que de multiples hausses étaient encore à l’ordre du jour.

Nous notons toutefois qu’au sein de la BCE, les voix « hawkish » avaient précédemment poussé à des hausses continues de 50 points de base semblent s’être estompées assez rapidement. Cette prudence accrue a probablement été encouragée par une deuxième enquête consécutive sur les prêts bancaires — publiée cette semaine — qui montre un resserrement des conditions de prêt et une forte baisse de la demande de crédit de la part des entreprises et des consommateurs européens.  

Le monde de Jerome Powell

Lors de la conférence de presse du FOMC (Federal Open Market Committee), Jerome Powell s’est opposé à l’opinion apparente du marché selon laquelle la Fed réduira ses taux au deuxième semestre 2023, en citant un scénario de base d’une inflation qui diminue lentement et d’un marché du travail toujours solide, les baisses de taux ne se justifiant pas « dans ce monde ». Néanmoins, le marché des contrats futures continue d’anticiper trois réductions de taux de 25 points de base jusqu’à la fin de l’année 2023 (voir le graphique ci-dessous). 

Non seulement cette position est en contradiction avec le scénario de base du FOMC, mais elle ne semble pas non plus justifiée par les données économiques. Cette semaine, les offres d’emploi se sont maintenues à des niveaux historiquement élevés et les demandes d’allocations chômage sont repassées sous la barre des 250 000. Le nombre des emplois non agricole a largement dépassé les attentes et le taux de chômage est tombé à son plus bas niveau depuis plusieurs décennies.

Le marché doit donc voir un « monde » différent à l’avenir, pour reprendre la référence de Jerome Powell, dans lequel de multiples baisses de taux à court terme sont justifiées. Une explication pourrait être une baisse de l’inflation plus rapide que prévu, mais cela semble peu probable compte tenu de la vigueur du marché du travail et de la croissance continue des salaires. Nous pensons que le marché se concentre plutôt sur une crise d’origine externe, telle qu’une crise bancaire américaine potentiellement incontrôlée.

Marchés financiers : dans quel « monde » vivons- nous ?
Marchés financiers : dans quel « monde » vivons- nous ?
Source : Muzinich & Co.

2023, l’année du risque de crédit

Les deux banques actuellement sous les feux de la rampe — PacWest et Western Alliance — auront peut-être besoin d’une solution de soutien, mais à mesure que l’on monte dans la pyramide des banques américaines, les vulnérabilités semblent moins évidentes et les inquiétudes moins justifiées. Si les États-Unis parviennent à contenir ces inquiétudes, peut-être par le biais de rachats d’acteurs plus petits, alors les baisses de taux de cette année sembleraient profondément déconnectées des données macroéconomiques.

Nombreux étaient ceux qui pensaient que 2022 était l’année où il fallait se préoccuper de la duration des portefeuilles et que 2023 serait davantage axée sur le risque de crédit. Si les taux n’ont pas continué à générer des performances négatives comparables à celles de 2022, la volatilité des taux a été persistante et les inquiétudes concernant le crédit (en dehors des secteurs évidents) sont restées modérées jusqu’à présent. Toutefois, même si le calendrier est difficile à définir, l’enchaînement du cycle économique classique devrait se poursuivre. 

Le temps d’ajuster son portefeuille

Bien que les bénéfices et la rentabilité des entreprises soient solides pour l’instant — et que les entreprises puissent répercuter la hausse des coûts sur les consommateurs qui en ont encore les moyens — nous pensons que les effets négatifs de la hausse des taux d’intérêt deviendront progressivement plus évidents.

Les principales banques centrales ont relevé leurs taux de manière agressive, ce qui, à terme, aura des conséquences pour ceux qui interagissent avec les marchés de la dette : coûts d’emprunt plus élevés pour les entreprises et les consommateurs, pression sur les prix des actifs (à mesure que les taux de capitalisation augmentent), augmentation du risque de refinancement, niveaux d’investissement plus faibles et consommateurs plus contraints.

Le timing n’est pas aisé à établir. L’impact sera probablement retardé par des banques centrales plus prudentes — comme nous l’avons vu cette semaine — et amorti par les liquidités existantes dont disposent les entreprises et les consommateurs. Mais selon nous, la question est plutôt de savoir « quand » et non « si ». Nous pouvons nous attendre à ce que les défauts augmentent et que les primes de risque soient plus élevées. Mais nous n’en sommes pas encore là, et un cycle de crédit plus fastidieux — tel qu’il est envisagé dans le « monde » de Jerome Powell — donne aux investisseurs le temps d’ajuster leurs portefeuilles.  

Nouvel environnement de taux

Dans le domaine du crédit, la réduction du risque d’un portefeuille peut être difficile, en particulier lorsque d’autres font de même. En fin de compte, le marché favorisera probablement ceux qui agissent tôt, mais pas avec précipitation ou « à n’importe quel prix ». Nous pensons qu’une réduction régulière du risque, une rotation vers des actifs de meilleure qualité et un recentrage sur la diversification et l’analyse du crédit semblent prudents à ce stade du cycle.

Réduire le risque maintenant peut signifier une certaine sous-performance à court terme, mais dans le domaine du crédit, il vaut généralement mieux être en avance qu’en retard, en particulier lorsque les rendements restent intéressants, même pour les émetteurs de qualité supérieure. 

Si les faillites de la Silicon Valley Bank et du Crédit Suisse peuvent nous apprendre quelque chose, c’est peut-être que dans ce nouvel environnement de taux d’intérêt plus élevés et de fragilité des marchés, des tensions peuvent survenir de manière inattendue et avoir des conséquences immédiates et douloureuses. En tant qu’investisseurs, nous ne devrions pas être complaisants quant à notre capacité à les prévoir ou à les anticiper.

Les équipes de Muzinich & Co. - Muzinich & Co.

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