Marché obligataire : chahuté, il offre des opportunités

Asset Management - Craintes de défauts et absence de liquidité ont enflammé les spreads de crédit. Quelles opportunités les marchés obligataires offrent-ils désormais aux investisseurs ? L'analyse de Nicolas Bickel, responsable des mandats de conseil chez Edmond de Rothschild (Suisse).

Tous les regards ont été braqués sur les marchés actions qui ont battu des records à la baisse, à la hausse et de volatilité, mais le marché obligataire a également été fortement perturbé. La majorité des obligations d’entreprise ont vu leurs spreads de crédit s’envoler.

Ceux qui ont le plus fortement augmenté sont les spreads des obligations à haut rendement (High Yield) et des obligations émergentes. La moyenne des spreads de crédit du High Yield européen est passée de 3 % en février à plus de 8 % actuellement, avec certains secteurs tels que l’énergie ou la consommation discrétionnaire qui ont vu des pics à 12 % au-dessus du taux de référence.

Crainte d’une hausse des taux de défauts

La principale raison de cette hausse des primes de risques est la crainte de faillites en cascade à la suite du ralentissement économique engendré par la pandémie. La forte baisse des taux d’intérêts depuis la crise de 2008, en Europe en particulier, a poussé un grand nombre d’entreprises à émettre de la dette. Le volume la dette High Yield européenne a ainsi augmenté de 450 %, passant de 62 à 280 milliards en 10 ans.

En raison de rendements un peu plus élevés, la demande des investisseurs privés pour ce type de papier a fortement augmenté et la réglementation de Bâle III — très consommatrice de fonds propres pour les banques prêteuses — a accentué cette tendance. Cette dette d’entreprise est donc majoritairement détenue par des investisseurs privés ou institutionnels alors qu’elle était détenue auparavant par les banques.

Manque de liquidité et spreads de crédits

Au risque lié à l’augmentation de l’endettement des entreprises s’est ajouté le risque de liquidité. Les obligations se traitent toujours de gré à gré malgré le triplement de la masse de la dette mondiale d’entreprises cette dernière décennie. Or, après la dernière crise financière, les capacités des « market makers » ont fortement diminué. Alors qu’il était aisé de vendre en un bloc une obligation auparavant, il est devenu maintenant fréquent de devoir passer par plusieurs contreparties.

Ce manque de liquidité avait été ressenti lors de la crise de la dette en Europe, mais il avait alors été atténué par des rachats massifs d’actifs par les banques centrales — à l’exception des obligations hors du périmètre de ces programmes. La crise actuelle a de nouveau testé les limites de capacité des « market makers », qui ont également été amputés d’une bonne partie de leurs moyens en raison du confinement et du travail à domicile. Ceci a encore plus raréfié l’offre sur le marché obligataire, ce qui a contribué à l’élargissement des spreads entre l’achat et la vente.

Taux de défaut implicites

En juin 2019, Fitch s’attendait pour 2020 à des taux de défaut de 2 % dans l’environnement de la dette à haut rendement mais ce chiffre sera certainement beaucoup plus important. Le taux implicite de défaut sur le High Yield Européen est monté à plus de 11 % en mars 2020 et plus de 45 % sur un horizon de cinq ans.

Ce chiffre colossal reflète non seulement le risque réel d’une économie transformée par des mois de ralentissement mais également la situation d’illiquidité du marché du crédit. Or celui-ci devrait graduellement se normaliser avec le « déconfinement » de l’économie mondiale.

Réalités surestimées après les crises

De plus, durant les trois dernières grandes crises, les taux de défaut implicites ont — à chaque fois — surestimé ceux réellement observés par la suite. Finalement, certaines entreprises — notamment dans les services — n’ont vu qu’un ralentissement modéré de leurs activités et accéléré la transformation digitale et le travail à domicile. Il se peut que l’impact de cette crise soit inférieur à celui attendu pour quelques sociétés de niche.