Antoine Andreani – XTB France : guerre Israël-Hamas, « le pétrole et les actions pétrolières demeurent des valeurs cycliques »

Asset Management - Comment le conflit au Proche-Orient pourrait-il impacter le prix du pétrole ? Dans ce contexte économique, comment adapter sa stratégie d'investissement ? Antoine Andreani, Analyste marché senior chez XTB France, répond en exclusivité au Courrier Financier.

Fin 2023, les investisseurs sont confrontés à de nombreux risques géopolitiques — entre la guerre en Ukraine, le conflit au Proche-Orient ou encore les tensions entre la Chine et Taïwan. Dans un rapport publié ce lundi 30 octobre, la Banque mondiale se penche sur l’impact du conflit au Proche-Orient sur les marchés mondiaux. Faut-il craindre des turbulences sur le marché de l’énergie ? Quel impact la guerre entre Israël et le Hamas pourrait-elle avoir sur les prix du pétrole d’ici la fin de l’année 2023 ? Antoine Andreani, Analyste marché senior chez XTB France, répond en exclusivité aux questions du Courrier Financier.

Le Courrier Financier : Dans son rapport publié le 30 octobre, la Banque Mondiale parle d’un « effet limité » de la guerre au Proche Orient sur le marché mondial des matières premières. Pourquoi la hausse des cours du pétrole (+6 % environ) reste-elle limitée ?

Antoine Andreani – XTB France : guerre Israël-Hamas, « le pétrole et les actions pétrolières demeurent des valeurs cycliques »
Antoine Andreani

Antoine Andreani : C’est ce qu’en ont décidé les marchés ! Les marchés en général, et celui du pétrole en particulier, sont contrôlés par ce que l’on appelle les « algos », des logiciels de trading automatisés qui sont utilisés par les plus grandes institutions financières. Ces robots traders représentent plus de 90 % des transactions dans les contrats à terme du pétrole, ce qui est énorme. Il est donc impensable d’ignorer leur influence.

Depuis les événements du 7 octobre dernier au Moyen Orient, les prix du West Texas Intermediate (WTI) sont pris dans une bataille de robot traders, entre ceux qui vendent à terme (à 91,5 dollars) et ceux qui achètent (à 82 dollars). Ceux qui vendent sont actuellement en train de bien résister, voire de gagner la bataille.

Le pétrole est une commodité essentielle, rattachée à l’économie comme nulle autre et qui sert de baromètre économique. En tant qu’analyste, il est donc indispensable de mêler analyses fondamentale et technique.

C.F. : A moyen terme, faut-il craindre une hausse durable des cours du pétrole avec un baril autour de 150 dollars (scénario de « perturbation moyenne » de la Banque Mondiale) ?

A.A. : La cible des « robots investisseurs » est fixée à 170 dollars pour le WTI — ceux-ci ont massivement acheté le support à 66 dollars, à deux reprises au printemps dernier. Si le niveau des 91,5 est percé, les prochains niveaux de résistance attendus seront 102, 125 puis 170. Ce niveau des 91,5 dollars est donc très important. Côtés fondamentaux, les discours pro-troisième guerre mondiale des leaders mondiaux sont inquiétants.

Depuis l’attaque du Hamas du 7 octobre et la contre-attaque israélienne, le risque géopolitique a drastiquement augmenté. Le jeu des alliances a vu le leader des pays chiites (Iran) se rapprocher du leader des pays sunnites (Arabie saoudite), sous l’influence potentielle de la Chine. Si l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis s’associaient avec l’Iran et l’Irak pour couper l’offre de la même façon qu’il y a 50 ans, les prix du baril pourrait en effet exploser à la hausse. Ces pays représentent à eux quatre 48 % de la production pétrolière de l’OPEP.

La réunion de l’OPEP du 26 novembre est par conséquent attendue. Sachant que l’économie mondiale est très dépendante des énergies fossiles et que les investissements dans l’exploration pétrolière sont en baisse depuis 2013, le scénario de la Banque Mondiale est possible. Mais les algo traders devront, pour le valider, casser le niveau des 91,5 dollars à la hausse. Il faudra pour cela effectuer un double creux à 82, niveau actuellement testé au moment où nous parlons.

C.F. : Concernant les prévisions des prix du pétrole, quelles différences constatez-vous entre les algorithmes de trading et les traders traditionnels ? Selon vous, qu’est-ce qui explique cet écart entre les différents acteurs ?

A.A. : Il n’y en a pas vraiment. Les deux catégories sont généralement haussières pour le prix du baril mais leur poids au sein du marché est complètement disproportionné. Les traders traditionnels sont aux algo traders ce que le plancton est aux baleines dans l’océan. Depuis l’avènement du trading robotisé en 2000, l’importance du trading humain n’a cessé de décliner au profit des algorithmes du trading qui représentent environ 90 % des transactions.

Souvenez-vous des salles de marché remplis de traders s’agitant dans les années 1990. Les salles ont laissé la place au calme et au froid d’une multitude d’ordinateurs en série gérés par une poignée d’ingénieurs payés comme des footballeurs. Ces logiciels de trading automatisé sont utilisés par des institutions financières comme Goldman Sachs, J.P. Morgan ou BlackRock.

C.F. : Dans son rapport, la Banque Mondiale redoute un « double-choc » énergétique en raison de la guerre en Ukraine et au Proche-Orient. Quelles seraient les conséquences d’un nouveau choc pétrolier sur l’inflation — notamment dans la zone euro ?

A.A. : Les conséquences seraient rapides et brutales. Une offre fortement réduite par l’OPEP, quelque soit le mode opératoire — organisée conjointement par l’Arabie saoudite et l’Iran, ou non organisée via des sabotages ou la fermeture du détroit d’Ormuz par l’Iran — aurait des conséquences quasi immédiates pour le consommateur européen.

Sans approvisionnement de pétrole et de gaz russe, l’Europe et la France se retrouveraient encore plus dépendantes de l’Inde qui joue le rôle d’intermédiaire entre pays de l’OTAN et les BRICS. L’hyperinflation déclencherait un hard landing de l’économie mondiale, c’est à dire une récession dure et les Etats se retrouveraient en difficulté financière. A la pompe, le consommateur français réaliserait l’importance des taxes dans le prix de l’essence (60 %).

L’inflation pourrait donc déclencher la stagflation, une récession dans un environnement inflationniste, un phénomène difficile à combattre. Les banques centrales occidentales seraient prises au piège : que choisir entre récession et inflation ? Si elles choisissaient de combattre le récession, elles baisseraient à nouveaux les taux directeurs et stimuleraient les marchés, ce qui accentuerait l’inflation. Si elles choisissaient de combattre l’inflation, elles continueraient d’augmenter les taux directeurs ce qui aggraverait la récession.

C.F. : Dans cet environnement macroéconomique chahuté, comment adapter sa stratégie d’investissement ? Chez XTB, que conseillez-vous aux utilisateurs de votre plateforme ?

A.A. : Chez XTB, nous ne faisons pas de conseil en investissement financier. Dans un environnement chaotique, il faut surveiller deux instruments en priorité : le dollar — la valeur refuge par excellence, quoiqu’on en dise — et l’indice de la volatilité (le VIX, l’indice dit « de la peur »). Lorsque ces deux instruments montent ensemble, cela peut rapidement devenir toxique pour les actifs risqués comme les indices et les actions.

Dans un tel environnement, favoriser l’or est souvent récompensé, d’autant plus lorsque celui-ci est coté en euros. Depuis le 7 octobre, le bitcoin est clairement corrélé à l’or et décorrélé des instruments risqués. Les cibles algorithmiques pour l’or et le bitcoin sont respectivement fixées à 2 240 dollars l’once et 136 000 dollars. Les obligations chinoises peuvent être intéressantes également.

En cas de crise géopolitique, le pétrole et les actions pétrolières peuvent flamber à la hausse avant de violemment se retourner car elles demeurent des valeurs cycliques. Attention cependant, lorsque vous avez une méthode de trading ou d’investissement, vous vous y tenez — en vous tenant à l’écart des actualités, aussi catastrophistes soient-elles.

Mathilde Hodouin - Le Courrier Financier

Rédactrice en chef (janvier 2019 - février 2024)

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