Sébastien d’Ornano – Yomoni : Livret A, « une allocation sur un sujet aussi sensible que le nucléaire pourrait ralentir sa collecte »

Patrimoine - En janvier 2023, l'encours du Livret A atteint le montant record de 384,7 milliards d'euros. Historiquement, cette épargne finance le logement social... mais le gouvernement envisage de s'en servir pour financer le nucléaire. De quoi modifier la stratégie d'épargne des Français, de plus en plus sensibles aux enjeux de la finance durable ? Sébastien d’Ornano, Président de Yomoni, répond en exclusivité aux questions du Courrier Financier.

« Historiquement, le livret A finance le logement social — et depuis peu, en plus, le renouvellement urbain », indique Bercy sur son site. En France, la Caisse des Dépôts et Consignations utilise la collecte du livret A pour prêter de l’argent aux organismes de logement social à taux bas. Le gouvernement français envisage d’utiliser ce système pour financer ses futures centrales nucléaires. Cette hypothèse a été confirmée sur BFMTV le 15 février dernier par Éric Lombard, Directeur général de la Caisse des Dépôts. Quelles conséquences sur la stratégie d’épargne des Français ? Sébastien d’Ornano, Président de Yomoni, répond en exclusivité aux questions du Courrier Financier.

C.F. : En février 2023, que représente l’épargne des Français sur le Livret A ? Quel rendement offre-t-il ?

Sébastien d’Ornano – Yomoni : Livret A et nucléaire, « une allocation sur un sujet aussi sensible pourrait ralentir sa collecte »
Sébastien d’Ornano

Sébastien d’Ornano : Depuis le 1er février 2023, la rémunération du Livret A a évolué de 2 % à 3 %, un taux record depuis 2012. Forcément, cette revalorisation a suscité un regain d’intérêt auprès des Français qui le positionnent désormais comme leur produit d’épargne préféré devant l’assurance vie. Il s’agit d’une première ! [L’encours du Livret A atteint 384,7 milliards d’euros en janvier 2023, d’après la Caisse des dépôts NDLR]

Selon les chiffres de France Transaction, la collecte sur le Livret A et le Livret de développement durable et solidaire (LDDS) s’élève en cumulé à 33,49 milliards d’euros en 2022 — dont dont 2,69 millions d’euros au titre du mois de décembre dernier. L’encours total sur les deux produits atteint 509,7 milliards d’euros fin décembre 2022. En ce qui concerne l’année 2023, le Livret A a collecté 9 milliards d’euros depuis janvier — un record depuis 14 ans.

C.F. : Pourquoi ce produit reste-il si populaire auprès des Français, malgré une inflation à 5,2 % en 2022 ?

S.O. : Le livret A est un produit d’épargne dont nous parlons beaucoup en ce moment, pour deux raisons : la première étant l’effet d’annonce d’un taux revalorisé ; la seconde étant tout simplement parce qu’il s’agit d’une bonne solution. Le livret A est une étape nécessaire dans la construction d’un patrimoine financier cohérent. 

Le but du Livret A n’est pas de gagner de l’argent. Il sert à conserver une épargne de sécurité disponible à tout moment, par simple virement, pour faire face à une dépense imprévue ou pour combler un découvert. Il s’agit d’une épargne de précaution. 

C.F. : Pourquoi le gouvernement envisage-t-il d’utiliser le Livret A pour financer le nucléaire ?

S.O. : D’abord, il s’agit de préciser qu’il s’agit d’une proposition encore loin d’être approuvée. Ensuite, voyons comment se répartissent les encours de ces livrets (Livret A, LDDS, LEP) : 

  • 30 % financent des prêts en faveur du logement social et depuis peu, de la politique de la ville ;
  • 40 % sont conservés par les banques chargées de la collecte ;
  • 20 % sont placés sur les marchés ;
  • 10 % sont utilisés pour d’autres types de prêts.

Concernant le nucléaire, l’État envisagerait d’utiliser une partie des encours de ces livrets afin de financer la construction des six « EPR », les réacteurs nouvelle génération, au programme du président de la République, Emmanuel Macron. En choisissant ce mode de financement permis par la Caisse des Dépôts, l’exécutif n’aurait pas besoin d’avoir recours aux fonds privés. 

C.F. : Comment cette réorientation de l’épargne pèserait-elle sur le financement du logement social ?

S.O. : L’enveloppe allouée au financement du logement resterait, a priori, la même. [NDLR Le secteur du logement social représente un total d’investissements estimé à 18,4 milliards d’euros en 2019 source La Caisse des Dépôts et Consignations, 2022, « Perspectives L’étude sur le Logement social » ]

C.F. : En 2023, l’Europe intègre le nucléaire dans sa taxonomie verte — mais ce lien ne va pas de soi. Les Français risquent-ils de se détourner du Livret A ? Sont-ils très sensibles aux enjeux de la finance verte ?

S.O. : L’investissement responsable est une tendance éminemment importante ces dernières années. Les jeunes générations sont particulièrement alertes et actives sur le sujet. Il est vrai qu’une allocation des fonds du Livret A sur un sujet aussi sensible que le nucléaire pourrait tout à fait ralentir sa collecte. 

Le nucléaire opposant deux philosophies : les uns qui le considèrent comme la source d’énergie la plus viable à moyen et long terme ; les autres qui fustigent les effets irrémédiables des déchets radioactifs sur l’environnement. 

C.F. : Comment associer écologie et placements financiers ? Chez Yomoni, comment accompagnez-vous les investisseurs qui s’intéressent à la finance verte ?

S.O. : Il est tout à fait possible aujourd’hui de concilier épargne et durabilité. C’est ce que nous appellons l’investissement socialement responsable (ISR). Cela désigne une stratégie d’investissement qui considère à la fois les facteurs financiers et des facteurs « extra-financiers » lors du processus de sélection des actions et obligations qui sont intégrées dans un portefeuille.

Les facteurs extra-financiers se regroupent généralement autour de trois critères, nommés critères « ESG », qui mesurent respectivement l’impact de l’entreprise sur l’Environnement, sa préoccupation des aspects Sociaux liés à son activité et la qualité de sa Gouvernance. Les gérants peuvent aussi adopter d’autres approches ISR. Par exemple, exclure certaines entreprises ou certains secteurs dans leur globalité. 

Chez Yomoni, nous intégrons ces critères dans nos processus de sélection. Depuis deux ans, nous proposons une assurance vie 100 % labellisée ISR. 

Mathilde Hodouin - Le Courrier Financier

Rédactrice en chef (janvier 2019 - février 2024)

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