Etats-Unis : tout ça pour ça !

Asset Management - Au terme d'une longue bataille électorale, les Etats-Unis sont sur le point de désigner leur nouveau président. Quel bilan économique et politique pour la première puissance mondiale ? Comment les marchés s'adaptent-ils à la transition ? L'éclairage d'Hervé Goulletquer, Stratégiste chez La Banque Postale Asset Management.

Joe Biden a quasiment emporté l’élection présidentielle américaine ; mais ses aspirations réformatrices seront en grande partie empêchées par un Sénat, qui devrait conserver sa majorité républicaine. L’ensemble décrit un paysage de politique économique pas vraiment contraire aux intérêts des marchés financiers. Ceux-ci apprécient.

Il n’empêche que le message de stabilité politique, envoyé par les électeurs américains, est préoccupant. Le pays reste profondément divisé. Comment alors réussir à se transformer dans un monde qui lui change vite ?

Joe Biden à la Maison Blanche ?

En ce « petit matin » du jeudi 5 novembre, Joe Biden a presque gagné l’élection présidentielle américaine. Il lui manque 6 grands électeurs pour atteindre la barre de la majorité de ceux-ci, fixée à 270. Une victoire probable dans l’Arizona devrait les lui apporter. Bien sûr, la contestation juridique devant les tribunaux va s’enclencher. Donald Trump l’a dit et ses équipes et soutiens entament les procédures.

Il n’empêche que l’attitude des républicains est contradictoire : empêcher le comptage des votes par correspondance là où Trump est en tête et insister qu’il se fasse bien là où il accuse un retard (comme c’est le cas en Arizona). Et puis, quand tous les bulletins auront été dépouillés, il ne restera alors qu’à remettre en cause les résultats au titre de tricheries ou d’erreurs. C’est évidemment possible, mais il me semble que la tradition de ce genre de pratiques est surtout l’apanage des Etats du Sud du pays ; ceux qui ont donné une majorité au Président sortant.

Ce qui ne veut pas dire que les républicains ne « tenteront pas leur chance » ailleurs ; nous pense au Wisconsin. Si les cas sont litigieux, ils pourraient être « escaladés » jusqu’à la Cour Suprême des Etats-Unis. Ce que Donald Trump souhaite, caressant l’espoir de décisions alors en sa faveur. Tout ceci est quand même très aléatoire, avec l’organe de tête du système judiciaire davantage garant des institutions et de la constitution que des intérêts du « locataire » du moment de la Maison Blanche. 

Difficile passation des pouvoirs

Pour ce qui est du Congrès, peu de changements paraissent devoir être à attendre. La majorité de la Chambre des représentants restera démocrate, et ceci sans surprise. Celle du Sénat ne changera pas, le Parti républicain ayant réussi apparemment à la conserver. Le message est simple et clair : la Maison Blanche de Joe Biden n’aura pas spontanément les moyens parlementaires de ses objectifs. Il faudra passer des compromis avec un Sénat, dirigé par un Parti républicain qui ambitionnera sûrement de reprendre vite le contrôle des affaires du pays.

Tous ces évènements décrivent finalement un panorama politique américain d’une étonnante stabilité. Un Président atypique, plus en phase avec « les contradictions culturelles du capitalisme » (Daniel Bell, 1976) qu’avec « l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme » (Max Weber, 1904 – 1905), n’aurait été désavoué qu’à la marge. La polarisation de la Société reste entière et centrale.

Dans ces conditions, comment adapter le pays à un monde qui change vite et au sein duquel son rôle a été jusqu’ici crucial ? Cela va être difficile. Il y a ici un message que la Chine va capter immédiatement, pour pousser ses avantages sur la scène internationale. A l’Europe de l’entendre aussi. Comment trouver sa place face à une Chine aux ambitions expansionnistes et à des Etats-Unis qui auront probablement du mal à dégager un consensus sur les politiques à mettre en place ?

Un leadership américain écorné

Voilà pour la toile de fond. Je la juge fondamentalement préoccupante pour le leadership américain. Mais changeons de perspective et regardons la situation sous l’angle des marchés. Quatre angles vont être scrutés de près. Il s’agit des politiques budgétaire, fiscale, commerciale et réglementaire.

  • Budget : plan de relance il y aura ; mais quelle en sera la taille ? La majorité républicaine du Sénat pourrait renâcler à l’idée d’un dimensionnement important. Dans ce cas, ce sera à la Fed d’en faire plus. Mais y a-t-il une substitution parfaite ?
  • Impôts : le projet démocrate de plus forte taxation des grosses entreprises, des plus-values et des ménages aisées ne verra pas le jour ; ou alors sous une forme édulcorée ;
  • Relations commerciales : les coups de menton et de bâton vont laisser place, au moins dans une première phase, à un jeu diplomatique visant à créer des coalitions à même de renforcer et au final d’imposer le point de vue américain. La Chine sera une cible de choix ;

Le chemin de politique économique paraît balisé. Cela rassure bien entendu, surtout si on considère qu’il n’est pas contraire aux intérêts de la communauté financière. Mais est-ce suffisant pour affirmer que les Etats-Unis s’engagent à coup sûr dans la bonne direction ?