Chine : entre nécessité et hasard

Asset Management - Après la crise sanitaire, la Chine entend réaffirmer sa puissance économique. Comment décrypter la situation de l'empire du Milieu ? L'éclairage d'Hervé Goulletquer, Stratégiste chez La Banque Postale Asset Management (LBPAM).

La Chine veut envoyer Urbi et Orbi le message que son économie est en train de se normaliser, après le choc de la crise épidémique. La communication sans doute exagère les progrès accomplis. Mais cela sert les intérêts du Parti-Etat.

Il faut montrer que dans le « concert des Nations », la Chine fait mieux que les autres pays. Ce n’est pas pour autant que la politique économique se met en « position neutre ». Un avantage est fait pour être cultivé ; surtout quand l’environnement général n’est pas complètement stabilisé !

Croissance chinoise positive

Rouvrons le dossier chinois. Stéphane Déo en parlait ce lundi 19 octobre. Le message que veut envoyer le Parti-Etat sur la situation économique est celui d’une normalisation en train de s’installer. Au troisième trimestre, pour la deuxième fois consécutive, la croissance du PIB a été positive. Elle se rapproche très près de sa tendance de moyen terme.

Tant et si bien que la Chine sera la seule parmi les grands pays à enregistrer une progression de son économie cette année. La performance pourrait être un peu en-deçà de 2 %, contre – 10 % en Inde et au Royaume-Uni, – 8 % en Zone Euro, – 6 % au Brésil et – 4 % aux Etats-Unis et en Russie. Excusez du peu !

Rivalité avec les Etats-Unis

Sans surprise aucune, les autorités de Pékin s’appuient sur ce bon résultat pour pousser leurs avantages sur d’autres terrains ; ou pour mieux dire sur les bons résultats dans les domaines économique — nous venons de le voir — et sanitaire, nous ne devons pas mettre le point de côté. Dans les deux cas, peu ou prou concomitants avec la publication des chiffres du PIB du troisième trimestre, la cible première est les Etats-Unis.

D’abord, les médias laissent entendre — l’information est du Wall Street Journal, mais démentie auprès de Reuters ; que comprendre ? — que des citoyens américains présents en Chine pourraient être arrêtés en cas de répression « injustifiée » subie par des ressortissants chinois sur le sol américain.

Ensuite, et de façon plus tangible, Pékin vient d’adopter une loi sur les exportations. Le but est de restreindre la vente à l’étranger de matériels sensibles ; et ceci pour des raisons de sécurité nationale. Des mesures réciproques — en cas de veto mis par un pays à la vente à la Chine de produits nécessaires à la sécurité nationale — entrent dans le cadre du texte voté.

Pékin, l’irrésistible ascension

L’hypothèse selon laquelle les officiels chinois prennent les devants — parce qu’ils craignent des initiatives à l’encontre de leur pays par l’Administration Trump dans la « dernière ligne droite » de la campagne électorale américaine — peut faire sens. La Maison Blanche doit savoir que le « coût à payer » en retour sera d’autant plus fort.

La communication est bien « huilée » et n’est pas sans efficacité. Il faut de plus en plus compter avec Pékin. Il n’empêche que le socle économique, à partir duquel cette projection dans le domaine de la politique extérieure se produit, doit être regardé de près. Premièrement, si la normalisation est aboutie dans les secteurs primaire et secondaire, c’est encore loin d’être le cas dans celui des services. En se rappelant que celui-ci pèse plus de 50 % de la valeur-ajoutée.

Comment lire le PIB chinois ?

Deuxièmement, il faut rouvrir le débat sur l’image de l’économie chinois donnée par les comptes nationaux. Non pas qu’elle soit manifestement erronée. Plutôt pour rappeler ce que les « sachants » concluent : d’abord, un lissage voulue, afin de faire ressortir la notion–clé de stabilité, mais très certainement exagéré.

Et ensuite, une expression de la réalité de la dynamique de croissance un peu surestimée. Tout ceci pour conclure que, si l’économie chinoise s’en sort assurément mieux que celle de l’Europe ou de l’Amérique du Nord, le processus de convalescence pourrait ne pas être aussi avancé que cela n’est officiellement présenté.

Politique économique et déficit

D’où, malgré nombre de commentaires que nous pouvons lire, une attention maintenue donnée à la politique économique. Je voudrais insister sur deux points. Premièrement, au-delà des commentaires que nous pouvons lire sur un volontarisme, en matière de soutien à l’activité, qui pourrait dorénavant être mis en sommeil, l’activisme budgétaire ne serait pas abandonné.

C’est du moins l’analyse proposée tout récemment par le FMI. Bien sûr, il faut considérer que l’évolution du solde structurel primaire reste le bon indicateur en la matière (quel distinguo entre on-budget et off-budget ?). Venons-en au fait : contrairement à ce qui est prévu pour les Etats-Unis et en zone euro, le déficit continuerait de se creuser en Chine l’an prochain. Tant est si bien que sur deux ans, l’effort serait plus marqué là-bas que dans les deux régions économiques principales de l’Occident.

Quatorzième plan quinquennal

Deuxièmement, il est tout à fait certain que le quatorzième plan quinquennal, qui sera officiellement lancé lors du plénum du Parti communiste — réuni du 26 au 29 octobre prochains — va proposer des orientations nouvelles. Les nouvelles trajectoires de développement économique seraient au nombre de trois :

  • la « circulation duale » (nous en avons déjà parlé), avec la double ambition de dynamiser la demande intérieure tout en renforçant l’ouverture sur le reste du monde et en diversifiant les sources d’approvisionnement ;
  • faciliter la circulation intérieure, ce qui soutiendra l’investissement en infrastructure et favorisera la consommation ;
  • pousser plus avant les efforts en matière de technologie et d’innovation. 

Forces et faiblesses chinoises

Nous le comprenons, entre tendance et contingence ou entre nécessité et hasard, la Chine fait ses choix et trace sa route. Elle s’efforce, en tant que Société, de voir loin devant. Dans un monde qui entre sans doute une nouvelle fois dans une phase de changement, l’approche fait sens. En revanche, la conception, autoritaire et centralisée du Parti-Etat, dans la gestion du pays reste assurément un talon d’Achille.