Marchés financiers : le scénario « Boucle d’or » en 2024 est-il le bon ?

Asset Management - Sur les marchés financiers, les investisseurs misent sur un scénario Boucle d'or en 2024. En d'autres termes, une croissance modérée associée à une faible inflation — un contexte qui encourage les politiques monétaires accommodantes. Faut-il souscrire à ce point de vue ? Le point avec Knut Hellandsvik, responsable de la gestion actions chez DNB AM et l’un des gérants du fonds DNB Global.

Avant de détailler nos prévisions pour l’année à venir, il convient de rappeler brièvement comment nous sommes arrivés à la situation actuelle. Les trois dernières années n’ont pas été de tout repos. Nous avons traversé une pandémie mondiale, une mini-crise bancaire et un bouleversement technologique grâce à l’IA. Surtout, deux guerres ont éclaté et l’environnement géopolitique est le plus inquiétant que nous connaissons depuis des décennies.

Hausse de taux à venir en 2024

Sur les marchés financiers, c’est la réponse budgétaire et monétaire des autorités au niveau mondial, consécutive à la pandémie, qui a eu l’impact le plus fort sur les marchés financiers. Avec le recul, nous pouvons remarquer que les plans de relance anti-Covid sont allés trop loin et ont conduit à la surchauffe de l’économie mondiale, entraînant un bond de l’inflation.

Pour y remédier, les banques centrales ont dû se résoudre à mettre en place le programme de hausse des taux d’intérêt le plus agressif depuis des décennies. Un programme dont on perçoit aujourd’hui les conséquences. Au cours du mois écoulé, nous avons assisté à un recul significatif de l’inflation accompagné d’une baisse significative des taux d’intérêt de long terme. Cela a fait gagner plus de 9 % à l’indice MSCI World au cours du seul mois de novembre.

Tech US, marché très concentré

Dans ce contexte, les marchés actions mondiaux ont relativement bien réagi. Depuis début 2020 (avant les confinements de la période Covid) jusqu’à aujourd’hui, le MSCI World est en hausse de 26 %, poussé par le marché actions américain. L’indice S&P 500 gagne 36 % et le Nasdaq 45 % au cours de la même période.

Au-delà de ces performances globales, nous sommes cependant en présence d’un marché particulièrement concentré, ce qui est un signe inquiétant. Les Etats-Unis n’ont pas connu un marché aussi concentré depuis les années 1970 et la capitalisation boursière des « sept magnifiques » (Apple, Microsoft, Meta, Alphabet, Tesla, Nvidia et Amazon) représente désormais 28% du S&P 500.

La capitalisation combinée de ces actions a augmenté de plus de 100 % cette année alors que le S&P 500 équipondérée n’a progressé que de 6 % sur la même période. L’indice Russell 2000, qui comprend les 2 000 plus petites capitalisations de l’indice Russell 3000, ne progresse que d’un petit 6 %. En fait, plus de 40 % des actions de l’indice S&P 1500 sont en baisse depuis le début de l’année.

Vents contraires sur les actions

Par conséquent, nombreux sont ceux qui estiment que le prochain cycle de hausse du marché boursier sera mené par les valeurs à la traîne, telles que les petites capitalisations, les marchés émergents et la Chine, les banques et les actions de type « Value ». Nous ne souscrivons pas à ce point de vue. Nous observons les vents contraires suivants pour les marchés actions en 2024 :

  • Ralentissement économique : dans cette période post-Covid, la croissance mondiale a mieux résisté qu’attendu en 2023, grâce à un taux de chômage historiquement bas, une croissance des salaires réels, une consommation soutenue par l’épargne des ménages et des carnets de commandes post-pandémie solides. Pour 2024, nous prévoyons une croissance économique plus faible, au vu des indices PMI composites globaux ainsi que des politiques monétaires et budgétaires beaucoup plus restrictives ;
  • Disparition de l’excédent d’épargne : L’excédent de cash que les ménages ont accumulé pendant la pandémie diminue rapidement. JP Morgan estime que cet excédent se retrouve principalement dans les portefeuilles des Américains relativement aisés (les 20 % les plus riches) tandis que la classe moyenne (les 20 % à 60 % des plus riches) a retrouvé son niveau d’épargne disponible au niveau d’avant la crise sanitaire et que les 40 % les plus pauvres ont vu leur situation empirer ;
  • Diminution de la liquidité et affaiblissement des marchés du crédit : la masse monétaire diminue aux Etats-Unis et en Europe. Les banques restreignent les conditions d’emprunt aussi bien pour les consommateurs que pour les entreprises et le coût du crédit continue d’augmenter. Les impayésconstatéssur les cartes de crédit sont en progression et le marché de l’immobilier commercial montre des signes de faiblesse alors que des échéances significatives arrivent à échéance en 2024. Les prêts syndiqués connaissent également des taux de défaut en augmentation ;
  • Plus haut pendant plus longtemps ? Jerome Powell, le president de la Fed, a maintenu son mantra « plus haut pendant plus longtemps». Oui, le taux d’inflation a reculé de manière significative, mais étant donné que le marché attend désormais une baisse de 130 points de base des taux de la Fed l’an prochain, on peut se demander si le marché n’est pas en avance sur lui-même? Une réduction aussi massive n’adviendra que si i) l’économie américaine se retrouve en difficulté, ce qui ne serait pas une bonne nouvelle pour les marchés actions, ou ii) si l’inflation chute encore ce qui nous paraît un scénario assez improbable ;
  • Pression sur les marges : les marges bénéficiaires devraient s’affaiblir à partir de maintenant en raison de la désinflation, d’un « pricing power » plus faible, d’un ralentissement de la demande mondiale, de conditions d’emprunt plus restrictives et de coûts salariaux plus tendus. Le consensus s’attend néanmoins à une croissance du bénéfice net par action (BPA) de 9% en 2024 pour le MSCI World ;
  • Courbe des taux inversée : historiquement, nous n’avons jamais réussi à éviter la récession à la suite d’une période prolongée d’inversion de la courbe des taux. Espérons que l’histoire ne se répète pas ;
  • Valorisation : le marché anticipe un atterrissage en douceur marqué par une baisse de l’inflation qui n’aurait pas d’impact sur la demande ou sur le «pricing power» des entreprises. Le marché actions américain, qui représente plus de 70 % du MSCI World, offre un PE de 19 à comparer avec une moyenne historique de 16. Les valorisations au Japon et en Europe semblent plus raisonnables, globalement en ligne avec leurs moyennes historiques. Quoi qu’il en soit, il n’y a pas beaucoup de marges en cas de mauvaise nouvelle, surtout depuis que nous pensons que les estimations de BPA sont globalement un peu optimistes ;
  • Risque géopolitique : avec deux guerres en cours, toutes deux comportant un risque inhérent d’escalade, nous pouvons dire que le risque géopolitique n’a jamais été aussi élevé depuis plusieurs décennies. Remarquons aussi que l’année 2024 sera une année électorale importante avec plus de 40 pays organisant des élections nationales (y compris aux Etats-Unis), ce qui pourrait provoquer des changements politiques majeurs.

Quel scénario haussier pour les actions ? 

Un recul ordonné de l’inflation vers l’objectif de 2 % qui permettrait aux banques centrales de baisser significativement les taux d’intérêt. Le ralentissement de la croissance est contenu, le marché du travail se stabilise et les bénéfices des entreprises surprennent à la hausse. Dans un tel scénario, nous pourrions assister à une hausse des multiples de valorisation étant donné la baisse du coût du capital. De toute évidence, un apaisement des tensions géopolitiques contribuerait aussi à rehausser la confiance générale des investisseurs.

Le scénario baissier pourrait être déclenché par un choc géopolitique comme une escalade de la guerre au Moyen-Orient conduisant à une envolée des prix de l’énergie et de l’inflation, ce qui pourrait entraîner une baisse des profits et éventuellement une récession. Nous remarquons également que la situation en mer de Chine est très tendue et qu’un conflit armé pourrait être dévastateur pour l’économie mondiale.

Il existe également un scénario dans lequel la compression des marges mentionnée ci-dessus est si forte que les entreprises commencent à réduire drastiquement leurs effectifs. Cela se produit généralement à la fin d’un cycle économique. Une hausse du chômage pourrait nuire considérablement à l’activité alors que les dépenses de consommation représentent environ 2/3e du PIB et pourraient conduire à une récession marquée. Dans ces épisodes récessifs, les marchés actions chutent généralement entre 20 % et 30 %.

« Boucle d’or », scénario irréaliste en 2024

Pour les raisons mentionnées précédemment, nos perspectives restent prudentes pour 2024 — alors que nous estimons que le marché intègre actuellement un scénario irréaliste à la « Boucle d’or ». Nous maintenons une stratégie équilibrée combinant la recherche de valeurs de croissance premium avec des poches de stratégie Value (énergie, et certaines valeurs financières et technologiques).

Au sein de la catégorie des valeurs de croissance premium, nous surpondérons la santé, les soins personnels et les produits de luxe, secteurs dans lesquels nous détenons des valeurs bénéficiant de solides moteurs de croissance structurelle et qui ne sont pas correctement évaluées par le marché, selon nous, aux cours actuels. Au niveau géographique, nous préférons l’Europe et le Japon aux Etats-Unis au vu des niveaux de valorisation.   

Knut Hellandsvik - DNB AM

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