Billet du Docteur Leber – juillet 2020 : Covid et Wirecard, quelles leçons économiques à long terme ?

Asset Management - L'actualité économique oscille toujours entre court terme et perspectives à long terme. Quels enseignements pouvons-nous tirer de la gestion du coronavirus et du scandale Wirecard ? Voici le billet mensuel du docteur Leber, fondateur d’Acatis, société de gestion indépendante allemande.

Sur le long terme, l’économie est mue par des changements larvés, tandis que sur le court terme, c’est l’actualité quotidienne qui retient l’attention. Les principaux problèmes à long terme sont actuellement la renonciation unilatérale des États-Unis au multilatéralisme d’après-guerre et la renonciation unilatérale du Royaume-Uni à l’alliance européenne.

La Chine s’engouffre dans cette brèche avec une alliance impériale et une politique économique à long terme. Dans le monde physique, nous assistons à un abandon progressif, clair mais trop tardif des combustibles fossiles et à un changement climatique mondial déjà presque déterminé.

À ces changements spectaculaires et effrayants, qui ne provoquent aucune réaction manifeste, se superposent deux questions d’actualité, le coronavirus et le scandale Wirecard.

Coronavirus, face à la pandémie

Si l’Europe occidentale, la Chine, le Japon, Taïwan, l’Australie et la Nouvelle-Zélande maîtrisent bien la propagation du virus, le nombre de cas explose dans le reste du monde. Par conséquent, les voyages resteront restreints vers les pays fortement touchés : États-Unis, Russie, Brésil, Inde, etc. La réplication du coronavirus est très bien étudiée par la science. Grâce à une coopération mondiale unique dans l’histoire du monde, de nombreuses possibilités ont été identifiées pour maîtriser les effets du virus.

Par exemple, ont été identifiés 69 principes actifs déjà connus qui seraient susceptibles d’arrêter le virus de diverses manières. 44 ont été testés, 10 sont prometteurs. Néanmoins, la mise en œuvre prendra du temps. Les premières options de traitement médicamenteux, encore insuffisantes, sont d’ores et déjà disponibles (réduction de la durée de la maladie grâce au Remdesivir, réduction de la mortalité grâce à la Dexaméthasone) et les premiers vaccins ont passé avec succès les phases 1 et 2 des essais cliniques.

Espérons que la pandémie perdra bientôt de son horreur, grâce à la vaccination, à des tests approfondis et à de meilleures options de traitement. Il y a un décalage problématique d’environ neuf mois entre l’explosion actuelle de l’épidémie et le futur traitement. Une économie peut certainement encaisser un coup dur, mais deux d’affilée — c’est-à-dire deux vagues — causeraient de très gros dommages. Nos préoccupations relatives à notre économie ont considérablement augmenté en raison de la négligence d’autres pays.

Des plans d’urgence faillibles

L’Allemagne vit des exportations et est plus affectée par le Covid-19 que par la guerre tarifaire de Trump. D’après les prévisions, les importations devraient diminuer d’environ 7 %, tandis que les exportations devraient elles baisser du double. Paul Romer, économiste et prix Nobel, a qualifié « d’échec intellectuel » l’incapacité d’évaluation du rapport coûts/avantages des mesures prises. Par exemple, les mesures de confinement et les tests de dépistage).

A cela s’ajoutent les échecs de nature pratique visibles en Allemagne et dans d’autres pays : manque de stocks de masques, utilisation délibérée de tests d’anticorps défectueux, recommandations strictes tant contre que pour le port des masques, désorganisation des autorités sanitaires, manque de clarté des critères de confinement et de déconfinement, subventions à l’arrosoir.

La somme totale des ratages est importante, alors même que les pandémies font partie des plans d’urgence des gouvernements. Mais quand les choses deviennent sérieuses, personne n’est préparé. Après la hausse massive du prix des cours, nous avons donc décidé de recourir à des instruments de couverture pour certains fonds, afin d’être préparés à ces éventualités.

Le scandale Wirecard Bank

Quel dommage que l’entreprise vedette du Dax n’ait été qu’une imposture. Si nous soustrayons des fonds propres les avoirs bancaires inexistants et les actifs incorporels, les fonds propres s’avèrent négatifs et il ne reste donc plus rien pour les actionnaires.

Tant d’argent ne peut pas disparaître sans qu’une énergie criminelle ne soit à l’œuvre. Nous, les investisseurs, devons pouvoir compter sur le travail correct des commissaires aux comptes et sur le pouvoir de sanction de l’autorité de surveillance des marchés financiers.

Ni l’un ni l’autre n’a été assuré. Nous ne sommes pas censés, pour nos investissements, nous reposer sur les intuitions, les articles de journaux ou les études de vendeurs à découvert, mais uniquement sur des faits. Mais si ceux-ci ne sont pas corrects, nous ne pouvons pas travailler.

Ni responsables, ni coupables

Il est possible que toute l’affaire se termine sans condamnation, et ce pour la raison suivante : nous supposons que bien que toutes les personnes impliquées aient fait leur travail d’audit correctement, elles n’ont jamais procédé à des considérations de plausibilité.

La Bafin (autorité de contrôle des marchés financiers en Allemagne) était l’autorité compétente pour la Wirecard Bank, mais le gouvernement régional de Basse-Bavière était le centre de compétence désigné pour contrôler les volumineuses transactions de paiement du groupe Wirecard dans le monde entier.

Le service allemand de contrôle de la comptabilité (la « police des bilans »), qui compte 15 employés et surveille les bilans de l’ensemble des marchés financiers allemands, était chargé d’examiner les reproches relatifs aux bilans. Il n’y avait donc pas les ressources disponibles. Le cabinet d’audit EY n’a sans doute pas commis d’erreurs d’addition lors de l’établissement du bilan consolidé. Donc, tout va bien. Bien joué. Mais nous sommes hors sujet.

Indispensables contrôles de plausibilité

Dans un second temps, nous trouverons des boucs émissaires, puis nous réformerons le contrôle prudentiel et nous édicterons de nouvelles lois. Les contrôles seront plus stricts (cette fois-ci, c’est sûr !), les sanctions seront durcies, de nouveaux organes de supervision seront créés. Et la scène Fintech sera mise à mort.

De véritables réformes comprendraient plutôt : un engagement de responsabilité pertinent en matière d’audit et de supervision et l’obligation de procéder à des contrôles de matérialité et de plausibilité. Aujourd’hui, l’audit produit beaucoup de papier ; à l’avenir, l’audit devrait vérifier si les clients, les chiffres d’affaires ou les marges sont cohérents.

Les contrôles de plausibilité auraient pu éviter Enron, Parmalat, Madoff, Balsam, Flowtech, Steinhoff, et aussi Wirecard en l’occurrence. Nous devrions former des commissaires aux comptes juricomptables, offrir des primes de succès pour la détection des fraudes, payer généreusement les lanceurs d’alertes et encourager les vendeurs à découvert. Et les personnes qui expriment leur scepticisme ne devraient pas être découragées par des avertissements, menacées ou ignorées.

Hendrik Leber - ACATIS Investment

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