BCE, macroéconomie et résultats d’entreprises : l’Europe est-elle en train de toucher le fond ?

Asset Management - Début janvier, l'économie de la zone euro est encore à la peine. Que disent les indicateurs sur la santé des entreprises européennes ? Comment adapter sa stratégie de stock picking ? Les explications de Thomas Planell, Gérant – analyste chez DNCA Finance.

L’Europe est-elle en train de toucher le fond ? Réponse prudente de la BCE qui constate une asymétrie des risques toujours défavorable pour l’économie de la zone euro. Oui, les indicateurs PMI flash de janvier se stabilisent, mais le secteur privé enchaîne quand même un huitième mois de contraction. Certes, les conditions de crédit se dégradent moins vite qu’au troisième trimestre mais la tendance reste encore nettement négative.

Par contre, en Allemagne, l’indice du climat des affaires enfonce un nouveau plus bas de six mois en décembre tandis que celui des conditions économiques actuelles renoue avec les niveaux déprimés de juillet 2020. Visiblement, le moteur industriel du continent semble débuter l’année comme il a fini la précédente : à l’arrêt.

Des consommateurs moins confiants

Le rebond de la confiance du consommateur au troisième trimestre dernier prend aussi du plomb dans l’aile. Le sursaut inattendu de l’inflation en décembre a probablement préoccupé les sondés. Les taux des emprunts immobiliers toujours élevés découragent ceux qui espèrent profiter des baisses de prix des actifs résidentiels. Et le climat social donne l’impression de se tendre avec les risques de fermetures industrielles en Europe occidentale — hauts fourneaux d’aluminium d’Alcoa à San Ciprian, Tata Steel à Port Talbot, au pays de Galles.

En France, chacun approuve le ressentiment des professions agricoles qui pâtissent d’une baisse des prix des produits vendus largement supérieure à celle des intrants — qui avaient grimpé de 258 % sur un an mi 2022. Nous en oublierions presque que le consommateur jouit toujours d’une épargne disponible conséquente (à 565 milliards d’euros d’encours fin 2023, les livrets réglementés crèvent le plafond) que ne vient pas menacer, au contraire, la bonne tenue de l’emploi et des rémunérations.

La BCE face à la hausse des salaires

D’ailleurs, la BCE constate que les entreprises ne parviennent plus à répercuter toute la hausse des salaires. Pour la première fois depuis juillet 2020, l’INSEE fait état de baisses de prix dans l’industrie française. Pour les soldats du feu de Francfort, ces signes de pincement de marges acceptés par les entreprises augurent peut-être d’une accalmie de l’inflation sous-jacente.

Alors, au cours de cette première sortie de l’année, Christine Lagarde semblait moins contrariée à l’idée de sortir la lance à incendie de la baisse des taux, quelque part entre la fin du premier trimestre et le milieu d’année. Que la BCE puisse prendre un peu moins de retard sur la FED dans la baisse que dans la hausse des taux, voilà peut-être la lueur d’espoir de l’Europe.

Optimisme sur les marchés obligataires

S’il est un marché qui a décidé de prendre le train de cette heureuse perspective, c’est bien celui du crédit high yield (+0,9 % depuis le début de l’année). Il balaie d’un revers la vague des refinancements de 2024 et le risque de défauts (qui pourraient être causés à rebours par l’effet taux et le ralentissement) en se portant massivement acquéreur des nouvelles émissions (8,3mm€ depuis le début de l’année).

L’attentisme des émetteurs (qui espèrent profiter des baisses de taux en milieu d’année) creuse l’appétit des acheteurs qui se bousculent au portillon des rendements plus élevés qu’autrefois. Au point d’appuyer significativement à la baisse sur les valorisations. En relatif, le spread ne rémunère peut-être plus suffisamment le risque de crédit. Un optimisme biaisé qui n’est pas que l’apanage de l’Europe : la prime de risque du gisement high yield global est au plus bas depuis deux ans.

Résultats d’entreprises, premier tour…

Premier tour de piste du côté des résultats d’entreprises. A l’instar des 24 Heures du Mans, cette première revue des effectifs permet de peaufiner les réglages, tirer les premières conséquences et tenter de réconcilier micro et macro-économie.

Les trois poids lourds de l’EURO STOXX 50 (LVMH, ASML et SAP, 875 milliards d’euros de capitalisation à eux trois) terminent le tour de chauffe pied au plancher. ASML pousse le compte-tours de son carnet de commandes dans la zone rouge et pulvérise son chrono :  9 milliards d’euros sécurisés au quatrième trimestre.

Après les bons résultats de TSMC et d’AMD, le géant européen s’affranchit des 300 milliards d’euros de capitalisation boursière et entrevoit que l’intelligence artificielle pourrait initier un nouveau cycle de CAPEX dans lequel chaque machine-outil peut coûter plusieurs centaines de millions de dollars… SAP recueille les fruits de sa transition vers le cloud, et LVMH bat les attentes, avec une fin d’année en amélioration en Chine et une inflexion positive aux Etats-Unis.

…et premières sorties de piste

Malheureusement, les performances du trio de tête ne sont pas extrapolables au reste de la cote. A côté du paddock de la « croissance séculaire » les écuries industrielles cycliques accumulent les sorties de piste. ST Micro Electronics pâtit de la digestion des inventaires trop élevés et de réservations de capacités en baisse dans la partie automobile et industrielle.

Le chimiste BASF clôture l’année avec un avertissement sur résultats. La division très cyclique des produits chimiques souffre d’arrêts impromptus de lignes de production qui aggravent la faiblesse du segment pourtant plus défensif de la nutrition et des soins. Pris dans la restructuration de son bilan, ALSTOM déçoit du côté du carnet d’ordres dans le matériel roulant.

Construction et chaînes d’approvisionnement

Les commandes peuvent parfois tenir mieux que prévu, sans toutefois permettre de délivrer les marges attendues. C’est le cas chez Epiroc, où le segment construction souffre des mêmes tendances difficiles que GEBERIT qui admet s’attendre à une baisse de 20 % des permis de construire, que ne compensera probablement pas la robustesse des chantiers de rénovation. Le fabricant suisse table en outre sur une poursuite de la hausse des salaires un peu plus forte que prévue cette année (+5 à 6%).

Chez Volvo, la demande de camions ralentit et reflète des volumes transportés et une économie en dégradation. Du côté de la consommation, Remy Cointreau souffre de déstockage en Chine, d’un environnement très compétitif aux Etats-Unis et d’un effet négatif de l’inflation sur les ventes en Europe. Des tendances difficiles que le marché semble toutefois accepter de mettre de côté en jouant la stabilisation en 2024

L’art du stock picking fait son grand retour

Car les investisseurs renouent avec l’art du stock-picking. Moins que les performances commerciales et opérationnelles du dernier trimestre, ils cherchent, comme les économistes et stratégistes, à mettre sur la frise chronologique de 2024 le curseur de l’inflexion des carnets de commandes, des ventes ou des marges. L’enjeu est d’acheter la fin des révisions baissières des bénéfices.

Un exercice périlleux qui conduit à jongler entre les lignes des discours des dirigeants, les données en provenance des marchés finaux des sociétés comparables et les tendances macro-économiques. Le rebond des vins et spiritueux chez LVMH donne par exemple le bénéfice du doute au discours de Remy Cointreau alors jugé trop prudent.

Mais dans tous les cas il semble être contre trop tôt pour agiter le drapeau à damier de la reprise en Europe. D’autant que le passage au pit-stop des petites et moyennes capitalisations s’effectue généralement en fin de saison des publications. Il nous livrera un aperçu particulièrement intéressant de l’état du moteur commercial et industriel domestique du vieux continent…

Achevé de rédiger le 26 janvier 2024

Thomas Planell - DNCA

Gérant analyste

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