Baptiste Forestier – LinkCy : cryptomonnaies, « MiCA permettra de généraliser leur adoption par le grand public »

Patrimoine - La semaine dernière, le marché des cryptos a connu une forte volatilité. Quel sera l'impact du projet de règlement européen « Market in Crypto Assets » (MiCA) sur le marché des cryptomonnaies ? Baptiste Forestier, Chief Compliance Officer chez LinkCy, répond en exclusivité au Courrier Financier.

L’avenir des cryptomonnaies en Europe passera-t-il par plus de régulation ? Depuis le début de l’année 2022, l’Union européenne (UE) prend résolument cette direction. Le 14 mars dernier, la Commission des affaires économiques du Parlement européen a ainsi adopté le projet de règlement « Market in Crypto Assets » (MiCA). Ce texte doit entrer en vigueur d’ici 2024. Objectif principal affiché, lutter contre le blanchiment d’argent. Comment l’UE prévoit-elle de réguler le marché des crypto-actifs ? Quels sont les enjeux économiques soulevés par le projet MiCA ? Baptiste Forestier, Chief Compliance Officer chez LinkCy, répond en exclusivité au Courrier Financier.

Le Courrier Financier : Sur le marché européen des crypto-actifs, à quels enjeux le projet MiCA répond-t-il ?

Baptiste Forestier - Linkcy : cryptomonnaies, « MiCA permettra de généraliser leur adoption par le grand public »
Baptiste Forestier

Baptiste Forestier : Le règlement MiCA, à l’image des directives européennes anti-blanchiment, a pour objectif d’harmoniser les réglementations nationales relatives aux crypto-actifs des pays de l’Union européenne.

Il permettra notamment d’assurer une meilleure protection des consommateurs en imposant aux plateformes cryptos une plus grande transparence de leurs tarifs, des conditions d’honorabilité de leurs dirigeants, la déclaration aux autorités des opérations d’un montant important et même la mise en place de mesures techniques pour protéger les actifs de leurs clients.

Il devrait également limiter considérablement les risques de blanchiment de fonds grâce à la généralisation de l’identification des titulaires des portefeuilles cryptos qui ne pourront plus être anonymes. Leurs transactions devront d’ailleurs être monitorées à l’aide de logiciels spécialisés tirant avantage de la traçabilité inhérente à la chaîne de blocs (« blockchain »).

C.F. : Pourquoi l’amendement sur l’interdiction de la preuve de travail a-t-il été rejeté le 14 mars dernier ?

B.F. : Le 14 mars dernier, l’amendement visant à interdire la preuve de travail (« proof of work ») a été rejeté par les députés européens à seulement 8 voix près. C’est le protocole sur lequel repose de nombreuses blockchains, dont le bitcoin et l’éthereum qui représentent à elles seules plus de la moitié de la capitalisation totale du marché des cryptomonnaies. 

Celui-ci étant très énergivore, l’objectif était de donner au règlement MiCA la même orientation que les directives européennes relatives à l’environnement et la finance durable. Cela aurait favorisé le recours à la preuve d’enjeu proof of work ») que le réseau éthereum doit d’ailleurs adopter dans les prochains mois.

Bien que louable, cette volonté a entraîné à juste titre une levée de bouclier de la part des professionnels du secteur. Cela aurait été très préjudiciable à la compétitivité à l’international de l’Europe et à la protection des consommateurs, qui se seraient tournés vers des prestataires étrangers présentant un risque d’arnaques plus important.

C.F. : Quels sont les avantages du statut européen CASP ? Quelles différences avec le statut français PSAN ?

B.F. : Le principal avantage du règlement MiCA repose sur le passeport européen qui permettra aux entreprises disposant du sésame d’opérer dans tous les pays de la zone sans avoir à aller chercher un enregistrement par marché. Les Prestataire de Services sur Actifs Numériques (PSAN) français disposeront d’ailleurs d’une longueur d’avance sur leurs concurrents étrangers car le règlement européen est largement inspiré du cadre juridique français.

En revanche, une différence notable entre les deux textes inquiète les professionnels du secteur. Le projet européen imposera d’obtenir un agrément très exigeant en matière de fonds propres, de contrôle interne, de sécurité informatique et même de prévention des conflits d’intérêt. 

Actuellement, ce n’est pas le cas en France où un enregistrement auprès de l’AMF, focalisé sur la lutte contre le blanchiment, suffit pour opérer. Aucune société n’a d’ailleurs fait la démarche de se faire agréer en raison de la lourdeur du dispositif, inspiré de celui des grandes banques, pour un marché émergent.

C.F. : Comment le projet MiCA pourrait-il influencer le marché des « Non-fungible tokens » (NFT) ?

B.F. : Le projet MiCA souhaite réglementer l’usage des « Non-Fungible Tokens » (NFTs), alors qu’il l’excluait à l’origine. Cela constitue un considérable élargissement du cadre européen principalement motivé par le risque important de blanchiment d’argent facilité par l’échange des jetons digitaux. Les institutions bruxelloises souhaitent également protéger les consommateurs des escroqueries dont le nombre est en forte progression et de l’extrême volatilité du marché qui dépasse déjà les 35 milliards de dollars de volume de transactions en 2022.

Parmi les contraintes envisagées, nous notons la volonté de restreindre l’émission de NFTs à des personnes morales qui auraient pour obligation de maintenir un bureau dans un pays de l’Union européenne et de se faire agréer au même titre que les PSAN. Il est néanmoins fort probable que la réglementation ne vienne encadrer que les NFTs possédant des caractéristiques d’instruments financiers, ce qui exclurait donc les jetons associés à des œuvres d’art.

C.F. : Comment l’Europe envisage-t-elle de réguler les stablecoins ? Quelles différences avec les Etats-Unis ?

B.F. : Il convient tout d’abord de distinguer les cyber-jetons indexés ( « stablecoins ») sur plusieurs monnaies ayant cours légal, crypto-actifs et/ou matières premières, et ceux adossés à une seule monnaie fiduciaire. Les premiers ne feront l’objet d’un enregistrement de type PSAN que s’ils dépassent un certain encours et s’ils souhaitent proposer leurs jetons à des investisseurs non qualifiés.

En revanche, les seconds auront un cadre plus contraignant car ils viennent directement concurrencer les monnaies fiduciaires. Ils devront obtenir un agrément d’Établissement de monnaie électronique ou de crédit accompagné de l’obligation de pouvoir rembourser à tout moment le montant total des jetons émis et de l’interdiction de proposer des intérêts liés à leur détention. 

Aux Etats-Unis, le Congrès est très divisé sur la question des stablecoins. Il est donc difficile de se prononcer sur leur approche, même s’il est fort probable qu’ils viennent limiter leur émission à des entités assurées par la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC).

C.F. : En termes de conformité, comment LinkCy va-t-elle accompagner les investisseurs en cryptomonnaies ?

B.F. : Chez LinkCy, nous sommes convaincus que le règlement MiCA, en réduisant les risques de blanchiment d’argent et de fraude, permettra de généraliser l’adoption des cryptomonnaies par le grand public. Nous sommes actuellement en cours d’obtention de notre enregistrement PSAN auprès de l’AMF et avons à cœur de proposer à nos utilisateurs l’expérience la plus fluide possible sans sacrifier leur sécurité. 

A cette fin, nous avons d’ores et déjà intégré les meilleurs outils sur le marché. Pour lutter contre le pseudonymat et les fraudeurs, nous identifions en quelques secondes chaque client grâce à une technologie de détection du vivant (liveness detection) que même les chercheurs en biométrie n’arrivent pas à tromper.

Ensuite, nous surveillons leurs portefeuilles pour détecter les schémas de transactions atypiques et s’assurer que leurs jetons ne proviennent pas d’une source illégale. Nous les accompagnons également dans le méandre des déclarations fiscales liées aux plus-values sur actifs numériques

Mathilde Hodouin - Le Courrier Financier

Rédactrice en chef (janvier 2019 - février 2024)

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