Réda Aboutika – XTB France : faillite de FTX, « la saga devrait accélérer la régulation » des cryptomonnaies

Asset Management - Après la faillite de FTX, comment les marchés financiers réagissent-ils ? Quelles perspectives en termes de régulation des cryptomonnaies ? Réda Aboutika, Chef Analyste chez XTB France, répond en exclusivité au Courrier Financier.

Il n’y a pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne. Le 11 novembre dernier, la faillite de FTX ébranlait l’univers des cryptomonnaies. L’ex-deuxième plus grosse plateforme d’échange fait désormais l’objet d’une enquête de la Securities Exchange Commission (SEC) — le régulateur américain — et du département de la Justice à New York. Aux Bahamas, paradis fiscal où était implantée FTX, les autorités mènent leurs propres investigations. Quelles conséquences cette affaire aura-t-elle dans le monde des cryptos ? Réda Aboutika, Chef Analyste chez XTB France, répond en exclusivité au Courrier Financier.

Le Courrier Financier : Le 8 novembre dernier, la plateforme Binance a évoqué le rachat de sa concurrente FTX avant de se rétracter 24 heures plus tard. Pourquoi ce revirement ?

Réda Aboutika : Tout a commencé le 2 novembre, lorsque CoinDesk a révélé que le bilan de Alameda Research était principalement constitué de tokens FTT émis par l’exchange FTX. Des tokens FTT ont également été utilisés en tant que collatéral par Alameda Research afin d’emprunter des fonds. Quelques jours plus tard, le 6 novembre, Changpeng Zhao, PDG de Binance, annonce que son entreprise allait vendre ses avoirs en FTT. Le 9 novembre, FTX suspend les retraits, entraînant un vent de panique sur le marché des cryptomonnaies.

Réda Aboutika – XTB France : faillite de FTX, « la saga devrait accélérer la régulation » des cryptomonnaies
Réda Aboutika

La panique s’estompe quelque peu lorsque Sam Bankman-Fried, PDG de FTX, a annoncé l’intention de rachat par Binance afin de protéger les clients de la plateforme américaine. A ce moment-là, Binance représentait la seule lueur d’espoir pour éviter une contagion dans le secteur et la crise de liquidité que nous connaissons à l’heure actuelle.

Cependant, l’exchange a cité des « problèmes hors de contrôle » et des « fonds clients mal gérés » pour justifier ce retour en arrière. Ce qui s’apparentait à une guerre économique entre le leader Binance et le numéro deux FTX s’est rapidement transformé en crise de liquidité, entraînant le marché des cryptomonnaies dans le rouge profond tout en érodant la confiance des investisseurs vis-à-vis de ce marché.

Le but annoncé par Binance était de soutenir les clients de la plateforme FTX en fournissant des liquidités. Ce revirement prendra tout son sens au fil des jours, au gré des révélations sur la gestion des fonds clients par FTX, alors que Sam Bankman-Fried était perçu depuis quelques semaines comme le « chevalier blanc » qui vole au secours des acteurs du secteur en difficulté.

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Source : Statista

C.F. : Le 11 novembre dernier, FTX s’est déclarée en faillite. Quelle est la nature du montage financier avec la société Alameda, à l’origine de cette chute ?

R.A. : FTX et Alameda Research ont été fondées par Sam Bankman-Fried. Au fur et à mesure que ses agissements sont exposés au grand jour, les liens entre ces deux entreprises ne cessent de se dévoiler. Le token au centre de cette affaire est le FTT, la cryptomonnaie de la plateforme FTX. Des analyses approfondies des transactions ont révélé que sur les 350 millions de tokens FTT, 280 millions étaient détenus directement ou indirectement par FTX.

De plus, Alameda Research détenait 27 millions de tokens FTT issus des ventes privées de 59,3 millions de tokens. A eux deux, FTX et Alameda détenaient près de 87 % de l’offre totale de FTT. De graves irrégularités au cours du listing de FTT le 29 juillet 2019 ont également été signalées. Alameda aurait reçu 25 % de l’offre totale de FTT deux jours avant le listing, pour les retourner à l’adresse d’origine (FTX) une semaine après.

Au moment où nous rédigeons ces lignes, le doute persiste quant à l’utilisation de ces tokens au cours de la semaine précédant leur restitution à FTX, mais l’hypothèse d’une vente au prix fort au moment du listing, pour un rachat à un prix plus avantageux, reste hautement probable. Par la suite, le marché haussier de 2021 aurait poussé FTX et Alameda à avoir recours à d’autres pratiques en vue de faire fructifier les FTT détenus.

C’est bien la finance décentralisée (DeFi), sur laquelle Sam Bankman-Fried a bâti sa fortune, qui va leur permettre d’emprunter des sommes considérables en déposant des FTT en collatéral. Globalement ce sont 1,6 milliard de dollars de token qui ont transité entre Alameda Research et Genesis Trading (filiale du groupe Digital Currency Group), aujourd’hui en grande difficulté.

Alors que la perte de plus d’un milliard de dollars suite à la déroute de Three Arrows Capital (3AC) est encore récente, Genesis Trading annonce aujourd’hui disposer de 175 millions de dollars bloqués sur la plateforme FTX. Après la chute de Luna, la faillite de Three Arrows Capital (3AC) et celle de Celsius, ce sont 4 milliards de dollars issus des fonds des clients de la plateforme FTX qui sont transférés à Alameda Research.

Nous en saurons davantage dans les semaines à venir. Ce qui est certain, c’est que Sam Bankman-Fried a encore beaucoup de détails à livrer aux autorités américaines, alors que le tribunal des Bahamas a récemment accepté de transférer une partie du dossier aux Etats-Unis, après un long bras de fer entre les deux pays.

C.F. : Depuis cette procédure, FTX a évoqué des « transactions non autorisées ». Les investisseurs en cryptos sont-ils particulièrement exposés au risque de piratage ?

R.A. : La promesse faite par l’inventeur du bitcoin est la suivante : éliminer les intermédiaires, la centralisation. Nul besoin d’un organisme central auquel octroyer sa confiance, tout est vérifiable sur la blockchain, ouverte à tous et résistante à la censure. Les blockchains décentralisées éliminent donc le risque d’intermédiaire, mais cela à un prix, la vulnérabilité au piratage.

Notons que FTX est un exchange centralisé. L’affaire actuelle illustre parfaitement les risques de l’intermédiation, notamment dans un milieu où des centaines de millions, voire des milliards de dollars sont en jeu. Les sommes colossales détenues par des « contrats intelligents » ou transférées dans les blockchains attirent les hackers malintentionnés, déterminés à déceler des vulnérabilités à exploiter.

Aucun protocole ni exchange n’est à l’abri d’un piratage, quelque soit la taille de ses réserves. C’est pour cela qu’il est fortement conseillé de détenir ses cryptomonnaies dans des portefeuilles externes, en « cold storage », afin d’éliminer partiellement le risque de piratage.

Réda Aboutika – XTB France : faillite de FTX, « la saga devrait accélérer la régulation » des cryptomonnaies
Source : Statista

C.F. : Quelles conséquences sur les marchés actions ? Faut-il craindre la contagion pour les entreprises exposées aux cryptomonnaies et à la blockchain ?

R.A. : Hormis les titres directement liés au marché de la cryptomonnaie, le marché actions a été épargné par la déroute qui frappe les crypto-actifs. L’action du broker américain Robinhood a perdu près de 30 % depuis que l’affaire FTX a éclaté au grand jour. Il convient de noter que FTX détenait près de 56 millions d’actions Robinhood, soit une participation de 7,61 % dans la société.

Cette nouvelle crise de liquidité pénalise les sociétés détentrices de bitcoins, à l’image de MicroStrategy, qui aurait accumulé 1,8 milliard de dollars de pertes non réalisées et qui voit le cours de son action chuter de plus de 42 % depuis le 7 novembre 2022. Mais l’impact est encore plus prononcé pour les plateformes d’échange de cryptomonnaies.

C’est le cas de Coinbase — l’un des plus grands exchanges au monde — dont l’action a perdu plus de 80 % de sa valeur depuis ses sommets de novembre 2021, frappé de plein fouet par le « crypto winter ». Sa chute s’est accélérée avec la vente généralisée sur le marché des cryptomonnaies. Le vice-président de la Banque centrale européenne (BCE), Luis de Guindos, se veut rassurant. Il estime que la chute de FTX n’a pas d’incidence sur la stabilité financière et reste cantonnée au monde des cryptomonnaies.

C.F. : Cette crise de confiance peut-elle se propager au reste de l’univers des crypto-actifs ? Quels conseils de vigilance donneriez-vous aux investisseurs ?

R.A. : Selon un récent rapport de Bloomberg, Genesis Trading — société de trading de cryptomonnaies de gré à gré — a averti concernant une faillite potentielle. Faute de financements, Genesis Trading pourrait être victime de la crise de liquidité engendrée par l’affaire FTX. Encore une fois, Binance n’a pas souhaité s’impliquer dans le refinancement d’un acteur du secteur, bien qu’elle ait récemment annoncé son souhait de mettre en place un fonds d’urgence commun pour l’écosystème des cryptomonnaies.

Ce fonds aurait pour but de secourir les projets considérés comme solides mais qui font face à des crises de liquidité importantes. Genesis Trading n’a eu de cesse de minimiser l’impact de la chute de FTX sur ses activités. Cette situation rappelle les premières tentatives de FTX de rassurer les investisseurs. Genesis Trading n’est pas seule à être dangereusement exposée à FTX.

La société de services financiers blockchain Galaxy Digital a récemment dévoilé son exposition de 76,8 millions de dollars à FTX. La société de capital-risque Sequoia Capital a annoncé pour sa part que son investissement de 213,5 millions de dollars dans les sociétés FTX et FTX US n’avait plus aucune valeur. Le hedge fund Galois Capital a reconnu de son côté qu’une partie de ses fonds était bloquée sur FTX. Ce dernier aurait près de la moitié de son capital bloquée chez FTX, soit l’équivalent de 100 millions de dollars.

La société de prêt de cryptomonnaies BlockFi a également annoncé avoir « une exposition significative à FTX et aux personnes morales associées ». La liste est encore longue et certaines initiatives visant à augmenter la transparence rassurent, quand l’opacité d’autres acteurs malgré le contexte est source de rumeurs et de panique parmi les investisseurs.

C.F. : Le directeur général de Binance plaide pour la régulation du secteur. Faut-il s’attendre à une action forte des régulateurs, notamment américains ?

R.A. : Malgré les appels de Changpeng Zhao pour une régulation du secteur, ce processus est lent et nécessite une harmonisation à l’échelle mondiale. La majeure partie des acteurs du secteur est favorable à une régulation et reste disposée à coopérer dans ce cadre. Cette lenteur nécessaire à la régulation contraste avec l’évolution rapide des technologies liée à la blockchain.

L’affaire FTX aura été un accélérateur de la réflexion autour de ce sujet par les dirigeants membres du G20. Le sujet de la régulation harmonisée à l’échelle mondiale a été abordé, alors que pour l’heure, chaque pays applique sa propre législation. Une proposition de règlement (MICA) a récemment été votée afin d’harmoniser les règles applicables à l’échelle de l’Union européenne.

De la même manière que l’effondrement de l’UST avait attiré l’attention des régulateurs, qui ont très rapidement ajouté les stablecoins algorithmiques dans le champ d’application de MICA, nous pouvons nous attendre à ce que la gestion désastreuse des fonds des clients de FTX ravive l’intérêt de ces derniers à fournir un cadre clair à l’échelle de l’Union de l’européenne. 

Outre-Atlantique, les régulateurs américains ont été parmi les premiers à se saisir de l’affaire afin de vérifier la gestion des fonds des clients. Par ailleurs, nous avons récemment appris que le bureau du procureur américain du district sud de New York a examiné pendant plusieurs mois les exchanges ayant des succursales aux États-Unis et à l’étranger. FTX aurait attiré l’attention de certains procureurs américains, des mois avant sa chute. La saga devrait continuer, et accélérer la régulation dans son sillage. Espérons que cela ne se fasse pas au détriment de la décentralisation et des investisseurs particuliers.

Mathilde Hodouin - Le Courrier Financier

Rédactrice en chef (janvier 2019 - février 2024)

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