FTX : quel impact aura sa faillite dans l’univers des cryptomonnaies ?

Asset Management - La semaine dernière, la plateforme FTX a annoncé sa faillite. Quels enchaînements d'événements ont mené à ce dépôt de bilan éclair ? Quelles conséquences sur l'univers des cryptomonnaies ? Comment les investisseurs peuvent-ils protéger leurs crypto-actifs ? Plus de détails avec Le Courrier Financier.

Ponzi au pays des cryptomonnaies. Ce vendredi 11 novembre, la plateforme FTX a déposé le bilan. Fondée en 2019, l’entreprise implantée aux Bahamas a ouvert une procédure de sauvegarde aux Etats-Unis. Son jeune fondateur et directeur général, Sam Bankman-Fried (30 ans), a démissionné. Il y a encore deux mois, Forbes estimait sa fortune à 17 milliards de dollars. Que s’est-il passé ? Tout simplement une grave crise de liquidités, suite à de sérieux doutes sur la santé financière de FTX. Le 2 novembre dernier, Coindesk publiait un rapport sur le bilan d’Alameda Research — une autre société de trading crypto fondée en 2017 par Sam Bankman-Fried, également aux Bahamas.

Droit dans le mur de la dette

Alameda Research détient 14,6 milliards de dollars d’actifs — dont 3,66 milliards de dollars de tokens FTT (le token de FTX) ; 2,16 milliards de dollars de tokens FTT en collatéral en face d’emprunt et 3,37 milliards de tokens SOL (token natif de la blockchain Solana) — pour 8 milliards de dollars de dette. « Ce rapport met en avant un important risque d’insolvabilité, car la majorité des actifs d’Alameda Research se trouvent être non liquide », résume Pierre-Yves Dittlot, fondateur de Ledgity. Le 7 novembre dernier, le patron de Binance annonce sa volonté de vendre la totalité de ses tokens FTT pour une valeur de 2,1 milliards de dollars.

Dès lors, la confiance des investisseurs s’évapore. Le token FTT perd dans un premier temps 30 % avant de chuter de plus de 90 %, pour passer de 20 dollars à 2 dollars. Les utilisateurs inquiets retirent 6 milliards de dollars de la plateforme en l’espace de 72 heures. En urgence, FTX suspend les retraits de ses clients. Le 9 novembre dernier, Binance refuse de racheter sa concurrente — moins de 24 heures après avoir envisagé de la reprendre. Cet événement sert de catalyseur, et FTX n’a pas d’autre choix que d’annoncer sa faillite. Suite à ce dépôt de bilan, Sam Bankman-Fried présente ses excuses sur Twitter.

Piratage, ou fraude ?

Les enquêteurs aux Bahamas cherchent désormais à déterminer si une « faute criminelle » a été commise. Un vrai séisme dans l’univers des cryptos. « FTX s’était hissé vers le top 5 des plus grandes plateformes d’échanges crypto en termes de volume. Elle a atteint son record en novembre 2021 avec environ 548 milliards de dollars de volume de transactions. Sa chute pourrait avoir un impact inattendu de par ses multiples ramifications dans l’écosystème — avec plus de 130 filiales dans le monde — et des effets systémiques liés à la perte de confiance des investisseurs », explique Enzo Hallot, Président de Probe, contacté par Le Courrier Financier.

Ce samedi 12 novembre, 600 millions de dollars de fonds quittent la plateforme FTX de façon frauduleuse. En réaction, le conseiller général américain de FTX, Ryne Miller, déclare sur Twitter que les actifs numériques de l’entreprise vont subir un stockage à froid — c’est-à-dire hors-ligne, afin de se protéger contre le piratage. D’après l’agence Reuters, FTX aurait utilisé 4 milliards de dollars — y compris les fonds des investisseurs — pour maintenir Alameda Research à flot. « Nous sommes visiblement face à une fraude. Quelqu’un a utilisé l’argent de ses clients pour s’enrichir à des fins personnelles », assure Pierre-Yves Dittlot.

Comment protéger ses cryptos

Quelques mois après la chute du stablecoin TerraUSD, l’univers des cryptos vacille de nouveau. Après la faillite de FTX, le bitcoin chutait de -4,22 %. Cette semaine, il regagne du terrain à la faveur du rebond des marchés mondiaux après le ralentissement de l’inflation américaine. Notons que d’après Reuters, FTX était déjà dans le collimateur de la Securities and Exchange Commission (SEC), de la justice américaine et de la Commodity Futures Trading Commission (CFTC) et de l’autorité de supervision des marchés de produits dérivés financiers aux Etats-Unis — et ceci bien avant l’annonce de la procédure de sauvegarde.

En France, le marché lié aux devises numériques est beaucoup plus régulé. En juin dernier, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a renforcé les critères d’obtention du statut PSAN. « En France, le statut PSAN inclut un certain nombre de garde-fous pour éviter un scénario comme celui de FTX. Les Américains ont une approche différente de la nôtre : il laissent un secteur se développer d’abord et ils régulent après », relève Pierre-Yves Dittlot. Si les plateformes doivent de leur côté, réaliser des audits réguliers et bien séparer leurs fonds propres de ceux de leurs clients, les investisseurs peuvent adopter trois règles d’or pour se protéger :

  • n’investir que l’argent qu’ils peuvent se permettre de perdre ;
  • comprendre le fonctionnement du produit dans lequel ils investissent ;
  • diversifier leurs investissements — ne mettez pas tous vos œufs dans le même panier !

Trois questions à… Enzo Hallot, président de Probe

FTX : quel sera l’impact de sa faillite dans l’univers des cryptomonnaies ?
Enzo Hallot

Le Courrier Financier : Face à la crise de confiance des investisseurs, les autres plateformes de cryptomonnaies doivent-elles craindre l’effet domino ? Que penser du cas Crypto.com ?

Enzo Hallot : Nous observons que les différentes plateformes subissent maintenant une pression du public pour plus de transparence sur l’état de leur bilan, et notamment sur les différents prêts collatéralités qu’elles pourraient avoir souscrits. De son côté, Crypto.com aurait fait une erreur de manipulation en envoyant 400 millions de dollars en Ether Gate.io, autre plateforme d’échanges. Nous pouvons nous attendre à d’autres faillites de plateformes, si elles ont également utilisé leurs propres tokens comme collatéral.

C.F. : Ce lundi 14 novembre, le DG de Binance appelait à plus de régulation. Quelles mesures les professionnels peuvent-ils déjà prendre ?

E.H. : Afin de diminuer le risque lié à la mauvaise gestion financière des plateformes d’échanges, il est possible d’être son propre dépositaire en stockant les actifs numériques sur un portefeuille électronique physique — pas plus grand qu’une clef USB. En gardant les tokens sur une clef physique débranchée d’internet, vous écartez le risque qu’une plateforme utilise les tokens de ses clients pour contracter des prêts. 

C.F. : Faut-il s’attendre à une action forte des régulateurs, notamment américains (SEC) ?

E.H. : Oui il faut espérer. Ce type d’évènement est extrêmement néfaste pour l’industrie, mais nécessaire pour inscrire cette nouvelle classe d’actifs de manière pérenne. Selon moi, les plateformes d’échanges devraient avoir l’obligation d’appliquer les mêmes ratios d’emprise que ceux attribués aux banques — par exemple, avec la directive Bâle III.

Mathilde Hodouin - Le Courrier Financier

Rédactrice en chef (janvier 2019 - février 2024)

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