COP28 : un arrière-goût amer

Responsabilité sociale - Le 12 décembre dernier, la COP28 s'est achevée à Dubaï (Emirats arabes unis) sur un bilan mitigé. Face au changement climatique, que retirer de ce sommet international ? Les explications d'Océane Balbinot-Viale, Analyste ESG senior,chez La Française AM.

La COP28 s’est déroulée en dents de scie, marquée par l’affirmation de son président selon laquelle il n’y a « aucune science » à l’origine des demandes d’élimination progressive des combustibles fossiles pour limiter le réchauffement de la planète à 1,5°C. Pendant treize jours, le monde a retenu son souffle, le temps qu’un accord final tant attendu soit négocié. Le résultat final est mitigé.

Vers l’abandon des énergies fossiles ?

Au-delà d’un engagement renouvelé en faveur d’une limitation à 1,5°C, le texte du bilan mondial (Global Stocktake) a le mérite de se démarquer de ceux des précédentes conférences des Nations unies sur le climat dans la mesure où il appelle à une « transition vers l’abandon des combustibles fossiles », ce qui va au-delà du charbon et inclut pour la première fois le pétrole et le gaz. L’absence de cette mention lors des vingt-sept précédents sommets était flagrante, c’est pourquoi le langage choisi dans le texte de cette année est si symbolique.

Le symbolisme ne compense cependant pas l’imprécision du texte. De nombreux pays, dont les États membres de l’UE et l’Alliance des petits États insulaires, ont insisté pour que soit pris l’engagement d’« éliminer progressivement » les combustibles fossiles, mais ce terme n’a pas réussi à s’imposer dans le texte final. Ceci, en plus de l’absence d’objectifs intermédiaires à l’horizon 2050, signifie essentiellement que les pays sont libres de suivre leur propre voie vers le « Net Zero », et qu’il est peu probable que les compagnies pétrolières et gazières prennent des mesures à court terme.

Soutenir les pays vulnérables…

Le fonds « pertes et dommages », initialement convenu lors de la COP27 et destiné à indemniser les pays n’ayant pas les moyens de s’adapter au changement climatique, a connu une certaine avancée à Dubaï avec l’accord de son « opérationnalisation » en 2024. Toutefois, d’importants détails demeurent quant à savoir qui seront les payeurs et qui seront les bénéficiaires — le statut de la Chine étant un point de désaccord majeur.

En outre, le Vulnerable 20 Group a indiqué que ses membres (68) avaient perdu 525 milliards d’USD au cours des vingt dernières années en raison du changement climatique alors que le montant initial des fonds promis était inférieur à 1 milliard d’USD. Le financement envisagé est nettement inférieur aux besoins. Si la compensation des pertes subies par les pays concernés est attendue depuis longtemps, le niveau d’incertitude concernant le fonctionnement du fonds et, par conséquent, son efficacité, reste important à nos yeux.

…mais avec quel financement ?

Beaucoup attendaient avec impatience les négociations autour de l’objectif mondial d’adaptation (Global Goal on Adaptation ou GGA), un engagement collectif en vertu de l’article 7.1 de l’Accord de Paris. Malheureusement, de nombreux pays développés se sont montrés réticents à discuter du financement de l’adaptation à la suite de leurs engagements vis-à-vis du fonds « pertes et dommages ». Nous trouvons que le résultat final du cadre du GGA n’est pas très convaincant.

Les Parties ont été « exhortées » à atteindre des objectifs qui, à notre avis, ne sont pas suffisamment spécifiques pour répondre réellement aux besoins des plus vulnérables — par exemple, « Atteindre la résilience face aux incidences du changement climatique » ou « Réduire les incidences du climat sur les écosystèmes et la biodiversité ». Parallèlement, la COP28 a décidé de lancer un programme de travail de deux ans sur les indicateurs permettant de mesurer les progrès accomplis dans la réalisation des objectifs susmentionnés. Nous en attendons les résultats avec impatience.

Net Zero, pas de consensus clair

Si l’issue mitigée des négociations du GGA était attendue dans une certaine mesure, certaines des discussions autour de l’article 6 de l’accord de Paris ont surpris. Certaines Parties ont même demandé un moratoire sur les marchés du carbone dans l’accord. Les éléments à prendre en compte pour « l’autorisation » des résultats d’atténuation transférés au niveau international (ITMO) (Art. 6.2) ont été édulcorés à chaque nouvelle version.

Le texte final se contente d’« encourager » les Parties à inclure les éléments… à leur  convenance. Nous pensons que cela remet en question la crédibilité des ITMO. En outre, l’absence de décision concernant l’évitement des émissions (Art. 6.4) souligne encore l’absence de consensus nécessaire pour trouver une voie claire vers le « Net Zero ».

Le poids des énergies fossiles

Malgré ces frustrations, il y a quelques lueurs d’espoir. Pour la première fois, l’accord final fait référence aux objectifs de « tripler les énergies renouvelables » et de « doubler le taux annuel moyen mondial d’efficacité énergétique » d’ici à 2030. Initialement approuvés par le G20 en septembre, ces objectifs ont été adoptés par une coalition de 130 pays dans le cadre de l’Engagement Mondial en faveur des Energies Renouvelables et de l’Efficacité Energétique de la COP28.

Une cinquantaine de producteurs de pétrole et de gaz et 29 autres compagnies pétrolières nationales ont signé un accord visant à réduire à zéro les émissions de méthane en amont et à mettre fin au torchage de routine d’ici à 2030. En tant qu’investisseurs, il est essentiel que nous continuions à dialoguer avec ces entreprises afin de comprendre leurs plans d’action et de les tenir responsables de leur mise en œuvre.

Nous nous félicitons également de la Déclaration sur le Climat et la Santé, signée par 123 pays lors du sommet, qui souligne l’importance de préparer les systèmes de soins de santé à faire face à l’augmentation constante des problèmes de santé liés au climat. De même, nous saluons la Déclaration des Émirats arabes unis sur l’Agriculture Durable, les Systèmes Alimentaires Résilients et l’Action Climatique, qui a été signée par 134 pays. Elle comprend un nouvel engagement historique en faveur de systèmes alimentaires durables qui a déjà mobilisé 2,5 milliards d’USD.

De la théorie à la pratique

Alors que le débat sur le succès de la COP28 semble se poursuivre, une préoccupation évidente et cruciale se profile à l’horizon : pour soutenir la transition et l’adaptation et pour compenser les dommages, nous ne savons toujours pas d’où proviendront les capitaux nécessaires, en particulier pour les pays en développement, à moyen et à long terme. Sur les quelques 83 milliards d’USD mobilisés lors du sommet (dont 30 milliards d’USD promis par les Émirats arabes unis au travers d’un véhicule d’investissement qui, selon eux, pourrait mobiliser 250 milliards d’USD d’investissements d’ici à 2030), il reste à voir ce qui sera acheminé et où. 

Les deux dernières semaines ont montré que le véritable défi n’est pas seulement de mobiliser des capitaux, mais aussi d’assurer leur répartition juste et efficace. En outre, un rapport de l’OCDE datant de 2022 a révélé qu’entre 2013 et 2020, le financement global de la lutte contre le changement climatique a systématiquement été inférieur à l’objectif annuel de 100 milliards d’USD défini lors de la COP15, avec parfois un écart de plus de 45 % La COP28 se termine donc par un accord sur les combustibles fossiles, mais le plus dur n’est pas encore derrière nous.

Alors que le monde est aux prises avec les effets croissants du changement climatique, la capacité du sommet international sur le climat à combler le fossé entre les promesses et la pratique sera cruciale pour déterminer la capacité de la communauté mondiale à atténuer ces défis et à s’y adapter.

Océane Balbinot-Viale - La Française AM

Analyste ESG senior

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