Laura Pallier – Regate : facturation électronique, « le travail de l’expert-comptable va complètement changer »

Patrimoine - Comment la réforme de la facturation électronique va-t-elle transformer le métier d'expert-comptable ? Comment Regate accompagne-t-elle cette évolution ? Laura Pallier, cofondatrice de Regate, répond en exclusivité au Courrier Financier.

On n’arrête pas le progrès… Avec la facturation électronique, la comptabilité devient 100 % digitale. A partir du 1er juillet 2024, toutes les entreprises établies en France — quelle que soit leur taille — devront accepter la facturation électronique. Comment cette réforme va-t-elle transformer le métier d’expert-comptable ? De quels nouveaux outils auront-ils besoin pour se mettre en conformité ? Laura Pallier, cofondatrice de Regate, répond en exclusivité aux questions du Courrier Financier.

Le Courrier Financier : La facturation électronique, qu’est-ce que c’est ? Pourquoi va-t-elle devenir obligatoire pour les TPE-PME françaises en 2024 ?

Laura Pallier - Regate : facturation électronique, « le travail de l’expert-comptable va complètement changer »
Laura Pallier

Laura Pallier : En France, cette réforme sur la facturation électronique arrive un peu tardivement. Beaucoup d’autres pays européens nous ont déjà précédés [comme l’Espagne, le Portugal, l’Italie, les Pays-Bas, la Belgique, l’Allemagne ou encore la Pologne par exemple. Pour rappel, la facturation électronique a été introduite au niveau européen par la directive 2001/115/CE ensuite adaptée par la directive 2006/112/EC NDLR].

Le gouvernement français entend ainsi maîtriser tous les flux inter-entreprises. Il s’agit de mieux calculer, piloter et contrôler ses rentrées fiscales. Mais outre le contrôle fiscal, cette réforme aura des conséquences positives pour les entreprises. Les sociétés auront une meilleure traçabilité de leurs flux financiers. L’automatisation leur permettra de gagner du temps en interne dans le traitement de leurs informations financières.

Avec la facture électronique, nous allons petit à petit normaliser le flux d’échanges de factures, selon certains formats qui sont agréés par la DGFiP. Les acteurs devront réceptionner les flux de factures entrantes, valider la conformité des informations qui y figurent et assurer le suivi du changement de statut. En d’autres termes, s’assurer que la facture a été reçue, traitée et payée. Pour le gouvernement, il y a un enjeu autour de la perception de la TVA. Mais à terme, cette réforme permettra d’automatiser un certain nombre de contrôles sur les sociétés.

C.F. : Qu’est-ce qui va changer pour les experts-comptables ?

L.P. : Aujourd’hui, les experts-comptables accompagnent leurs clients sur tout ce qui est déclaration fiscale. Dans quelques années avec cette réforme, ces professionnels ne feront quasiment plus de déclaration de TVA. Le montant sera prédéfini, à l’image de ce que nous voyons dans la déclaration de l’impôt sur le revenu (IR). Tous les éléments sont déjà transmis à la DGFIP et préremplis dans la déclaration d’impôts du contribuable — qui vérifie et valide sa déclaration. C’est ce qui va se passer pour les entreprises. Bien sûr, il faudra toujours constituer un dossier en cas de litige — mais le travail de l’expert-comptable va changer complètement.

Actuellement, un expert-comptable consacre 30 % de son temps à de la relance pour obtenir des justificatifs manquants. Vous avez aussi tout un travail de saisie comptable — plus ou moins manuelle, en fonction des cabinets. Tout ce qui est aujourd’hui automatisé fonctionne grâce à un OCR [en anglais optical character recognition c’est-à-dire reconnaissance optique de caractères NDLR] mais ce n’est pas une science exacte. Cette technologie conserve une marge d’erreur sur la lecture des informations qu’elle transforme ensuite en écriture comptable. La vérification humaine reste nécessaire.

Avec la réforme, vous n’aurez plus besoin d’OCR ! Les factures électroniques transmises contiendront des fichiers XML incrustés. Toutes les informations seront formatées. Vous n’aurez plus besoin de « deviner » en quelque sorte sur un PDF. L’information sera très fiable. Le niveau d’automatisation sera bien supérieur à celui que nous connaissons aujourd’hui. Toute cette partie du travail de l’expert-comptable va se réduire à peau de chagrin.

C’est un métier qui se transforme. Il y a un peu moins d’une décennie, une nouvelle profession est arrivée sur le marché : les DAF part time [en français DAF à temps partagé NDLR]. Nous nous avons constaté que beaucoup de sociétés avaient des besoins de pilotage financier, mais sans avoir un ETPT [équivalent temps plein travaillé NDLR] dédié. La profession des experts-comptables va évoluer dans l’accompagnement des entreprises et le conseil. Ils auront d’autres missions que la pure saisie comptable et la déclaration fiscale.

C.F. : D’après le Baromètre France Num 2022, près des trois-quarts des TPE-PME françaises ont déjà recours à un logiciel de gestion comptable. Sont-elles prêtes pour le passage à la facturation électronique ? Quel état des lieux faites-vous de la digitalisation de cet écosystème des TPE-PME françaises ?

L.P. : A partir d’une certaine taille d’entreprise, c’est assez rare de ne pas avoir de logiciel de comptabilité. Si vous faites appel à un expert-comptable, il sera équipé avec son propre outil. Nous constatons que la plupart des acteurs sont équipés, mais avec des outils qui ont parfois une vingtaine d’année — ils travaillent sur Sage, Cegid, Cegid Quadra Entreprise, Sage 100, etc. Ces logiciels permettent de faire sa comptabilité, de produire des états financiers et éventuellement de les transmettre par EDI [échange de données informatisé, c’est-à-dire la communication inter-entreprise de documents commerciaux dans un format standard NDLR] à l’administration fiscale. Mais pour tout ce qui va au-delà, beaucoup de sociétés ne sont pas équipées.

Les experts-comptables avec lesquels nous parlons sont encore un peu perdus. Mais je pense que le secteur s’est emparé du sujet. Nous nous retrouvons en marche forcée vers la digitalisation des factures. Dans ce genre de tournant, il y a beaucoup de frustration. Les acteurs voient bien l’aspect lutte anti-fraude à la TVA, mais pas la valeur ajoutée de ce changement pour eux-mêmes. C’est une erreur ! Cela va changer leur façon de travailler et révolutionner le fonctionnement des départements finance, au sein des entreprises et des cabinets d’experts-comptables. Par exemple, la facture électronique permettra d’informer en temps réel. Cette technologie apporte une puissance nouvelle en termes de reporting.

C.F. : Comment allez-vous accompagner le passage à la facture électronique avec votre NL La Gazette de la facture électronique ?

L.P. : Nous publions cette newsletter sur la page LinkedIn de Regate tous les 15 jours. Nous avons désormais dépassé les 1 130 abonnés. L’idée, c’est de partager un maximum d’informations concrètes avec tous les acteurs concernés par la réforme. Dans le premier numéro, nous avons partagé le calendrier qui est déjà un peu complexe. Toutes les étapes ne concernent pas les mêmes entreprises en même temps.

Nous relayons les infos de la DGFIP et des professionnels qui travaillent sur cette réforme. Par exemple, nous travaillons beaucoup avec le président du forum national de la facturation électronique, Cyrille Sautereau — l’expert français numéro un sur le sujet. Nous essayons de partager cette information au maximum pour qu’elle bénéficie à l’ensemble de l’écosystème. Il y a la norme telle qu’elle a été écrite, mais aussi toute l’adaptation au fur et à mesure de sa mise en pratique. Cela implique des ajustements au fil de l’eau.

Nous avons notamment consacré une partie de la gazette aux initiatives qui ont été prises en termes de formation pour les experts-comptables. Le Conseil Supérieur de l’Ordre des experts-comptables a lancé un plan de formation pour l’ensemble de la profession — qui va être mis en place à l’échelle des conseils régionaux. Ils proposeront aux experts-comptables de chaque région un kit de formation. Nous avons relayé cette initiative.

C.F. : Quelles seront les prochaines étapes/dates clés de la réforme jusqu’en 2026 ? Comment Regate va-t-elle s’y impliquer ?

L.P. : En 2023, c’est le temps de l’immatriculation des plateformes de dématérialisation partenaires (PDP). Les acteurs qui veulent s’immatriculer PDP vont postuler cette année, créer leur solution, la mettre en conformité, etc. Début 2024, nous aurons le pilote avec la DGFIP.

En juillet 2024, l’obligation d’émission des factures en format électronique entrera en vigueur pour les grandes entreprises [au moins 5000 salariés, et/ou plus d’1,5 Md€ de CA et plus de 2Mds€ de total de bilan d’après la définition de l’Insee, NDLR]. Les autres devront être en capacité recevoir la facturation électronique (PDP/PPF). Ensuite en janvier 2025, il y aura une obligation d’émission par les ETI et par les TPE-PME en janvier 2026. La réforme débute donc en 2024, mais sera étendue à toutes les entreprises progressivement.

Nous faisons partie de la communauté des relais. Notre intérêt, c’est de relayer l’information autour de la facture électronique — afin de favoriser une éventuelle transparence et d’aider les professionnels à monter en compétence sur le sujet. Et les besoins sont énormes ! En décembre 2022, nous avons mené un sondage avec le CSA pour évaluer la compréhension de la réforme… Et non, un PDF n’est pas une facture électronique contrairement à ce que pensent 75 % des entreprises ! Nous allons donc poursuivre nos actions d’information — sondages, webinaire, participation au pilote, etc. Nous essayons d’être au plus proche de la réforme.

Mathilde Hodouin - Le Courrier Financier

Rédactrice en chef (janvier 2019 - février 2024)

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