La BCE : une banque centrale normale

Asset Management - Pour la première fois depuis 2011, la BCE a procédé à une hausse de ses taux directeurs. Quels sont les tenants et les aboutissants de cette décision ? L'analyse de Frédéric Rollin, conseiller en stratégie d’investissement chez Pictet AM.

Comme annoncé en juin, la BCE a commencé la normalisation de sa politique monétaire et relève pour la première fois depuis plus de dix ans ses taux directeurs. L’ampleur de la hausse des taux, de 0,50% a été plus importante que prévu par le marché, reflétant ainsi des risques et des préoccupations plus élevés de l’institution en matière d’inflation.

Cette surprise signale au marché la fin de la « Forward Guidance ». Christine Lagarde a précisé que les futures décisions dépendront des données économiques et que la BCE aura « une approche des décisions de taux d’intérêt au cas par cas. La trajectoire future des taux directeurs […] continuera de dépendre des données ». A cet égard, la BCE emboîte le pas de la FED.

Un nouvel instrument anti-fragmentation

La BCE a également dévoilé son nouvel instrument anti-fragmentation, l’Instrument de Protection de la Transmission (TPI). Le TPI a vocation de contrer des dynamiques de marché injustifiées ou désordonnées qui constitueraient une menace sérieuse à la transmission de la politique monétaire. Tous les États membres seront éligibles sur la base de certaines exclusions — par exemple : aucun État membre ne doit avoir fait l’objet d’une procédure de déficit excessif et ne doit présenter de graves déséquilibres macroéconomiques —.

Les montants ne sont pas limités ex-ante. Le TPI, adopté à l’unanimité, s’ajoute au PEPP et à l’OMT. Les trois outils anti-crise peuvent être déployés ensemble. L’absence de précisions sur les aspects techniques — pas de limitation des montants ex-ante par exemple — peut être pris comme l’affirmation par l’institution de sa puissance et nous remémore le « wathever it takes ».  Mais, il reste possible que le marché voit ceci comme un bluff et teste la détermination et le pouvoir de la BCE lors des mois prochains. Une situation à suivre…

La BCE devrait échapper à la récession

Concernant les perspectives économiques, Christine Lagarde a souligné le risque de baisse plus prononcé de la croissance au deuxième semestre, en raison de la persistance de goulets d’étranglement et de l’augmentation des coûts de production. Néanmoins, la BCE ne prévoit pas de récession en 2022 ni en 2023. L’activité devrait être soutenue par la hausse des recettes du tourisme au troisième trimestre et par les dépenses de consommation, grâce à l’épargne accumulée des ménages et à l’amélioration du marché du travail. En outre, les politiques budgétaires amortissent l’impact de la hausse des prix de l’énergie.

La BCE concède que l’inflation a augmenté plus rapidement que prévu, ceci en raison de la hausse des prix de l’énergie et des denrées alimentaires. Dans l’ensemble, « l’inflation reste à un niveau élevé indésirable et devrait rester au-dessus de notre objectif pendant un certain temps ». En outre, la plupart des mesures de l’inflation sous-jacente augmentent encore et les risques inflationnistes restent orientés à la hausse. À l’avenir, l’assouplissement des goulets d’étranglement, la stabilisation des coûts de l’énergie et le resserrement continu de la politique monétaire devraient favoriser une baisse progressive de l’inflation vers l’objectif.

Frédéric Rollin - Pictet AM

Conseiller en stratégie d’investissement

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