Inflation : l’éternel retour

Asset Management - En 2023, l'inflation persiste en Europe et aux Etats-Unis. Quel impact sur l'économie ? Comment les banques centrales adaptent-elles leurs politiques monétaires ? Le point avec Alexis Bienvenu, Fund Manager chez La Financière de l'Echiquier (LFDE).

Nous l’espérions déclinante, elle renaît : l’inflation se porte bien, beaucoup mieux que les ménages qu’elle touche de plein fouet. Toutes les dernières données vont en effet dans le même sens : non seulement l’inflation reste élevée, mais elle montre même parfois de signes de reprise. En France par exemple, en première estimation, elle s’élève à 6,2 % en février, retrouvant le point haut d’octobre.

L’Allemagne subit pire encore : +8,7 % sur un an, quasiment le niveau d’octobre là aussi. Contrairement aux attentes, le pic n’est donc pas véritablement passé. Aux Etats-Unis, sur le mois de janvier, l’inflation des dépenses de consommation personnelle remonte même à 5,4 % contre 5,3 % en décembre. Certes, le point haut était bien plus élevé en juin, autour de 9 %. Mais le rythme de décrue est entravé, voire s’inverse.

Quelles politiques monétaires ?

Dans la foulée, les attentes de politique monétaire se durcissent. Le marché attend désormais des taux directeurs proches de 5,5 % pour cet été aux Etats-Unis, alors qu’il les attendait à moins de 5 % début février. Certains analystes voient même les taux directeurs atteindre 6 %. Même phénomène en zone euro, où les attentes sur les taux directeurs s’élèvent désormais à près de 4 % à fin 2023, contre environ 3,25 % anticipés début février.

Le marché, après avoir douté quelque temps de la fermeté des banques centrales, les prend désormais au sérieux. Il reste même de la marge pour que ces attentes progressent : avec une inflation « cœur » à 5,6 % en février en zone euro, les taux directeurs anticipés paraissent encore bien faibles, sauf à ce qu’une forte décrue se matérialise enfin.

Dans un tourbillon d’inflation…

Pour les ménages, la situation est plus difficile encore, car certains produits essentiels progressent nettement plus vite que l’inflation générale. En Allemagne, les produits alimentaires flambent ainsi de près de 20 %. En France, de 15 %. Et de nouvelles hausses viennent d’être négociées entre distributeurs et producteurs. Quant aux salaires, ils ne suivent généralement pas : les revenus réels — ajustés de l’inflation — régressent par exemple de 4,1 % en Allemagne sur 2022, soit un recul pour la troisième année consécutive pour la première puissance de la zone euro.

Dans ce tourbillon d’inflation, quelques effets favorables viennent cependant soulager l’économie. Premièrement, les entreprises ne sont pas toutes pénalisées. En moyenne — ce n’est certes pas vrai pour toutes — elles peuvent répercuter l’inflation dans leurs prix de vente, et maintenir ainsi leurs marges. La compensation est d’autant plus forte que les salaires progressent globalement moins vite que l’inflation : dans ce cas, la charge salariale réelle peut même diminuer ! Une bénédiction pour les actionnaires notamment.

…qui se reflète dans l’imposition

Deuxièmement, les Etats décident généralement de refléter l’inflation dans les barèmes des tranches d’imposition sur le revenu. La France par exemple a décidé d’augmenter les seuils de 5,4 % sur les revenus de 2022. Pour des personnes dont les revenus auraient stagné, ou augmenté moins que l’inflation, cela revient à diminuer le taux d’imposition. Et donc à soulager le fardeau global de l’inflation.

Enfin, les Etats bénéficient de rentrées fiscales supérieures puisqu’ils prélèvent une proportion quasiment stable des PIB nationaux qui, eux, augmentent avec l’inflation. Dans le cas où les taux réels auxquels ils s’endettent — c’est-à-dire les taux nominaux diminués du taux d’inflation ­— sont négatifs, comme c’est actuellement le cas en Europe, ils diminuent en réalité leur endettement. Ils peuvent ainsi continuer à réaliser des déficits budgétaires sans alourdir leur bilan. 

Ainsi, d’après le FMI, la zone euro présente-t-elle en 2022 un ratio de dette sur PIB de 93 %, en baisse par rapport à 2020, et la trajectoire prévue est également baissière : 91 % en 2023, puis 89 % en 2025. Aux Etats-Unis, les prévisions compilées par Bloomberg anticipent un ratio passant de 102 % en 2022 à 97 % en 2023, malgré un déficit budgétaire de près de 5 %. L’inflation n’est donc pas une pure malédiction. Et c’est heureux, car il semble que nous devions vivre longtemps avec elle — amor fati.

Achevé de rédiger le 3 mars 2023

Alexis Bienvenu - LFDE

Gérant

Voir tous les articles de Alexis