Evasion fiscale : haro en période de pandémie

Responsabilité sociale - Optimisation fiscale, évasion fiscale, fraude fiscale... Ces notions restent souvent flou dans l'esprit du grand public, faute d'éducation financière adéquate. En cette période difficile de pandémie et de crise économique, la moralité de la fiscalité revient sur le devant de la scène. Quelle attitude adopter en tant que gestionnaire d'actifs ? L'éclairage de François Lett, Directeur du développement éthique et solidaire chez Ecofi Investissements.

Commençons par quelques définitions. L’optimisation fiscale est un mécanisme légal créé par les pouvoirs publics, pour inciter les particuliers et les entreprises à réaliser certains achats ou investissements et leur permettre d’éviter ou de diminuer leur impôt. La fraude fiscale consiste au contraire à contourner illégalement la loi.

Niches fiscales et abus de droit

L’évasion fiscale représente un entre-deux : les règles fiscales en vigueur sont bien respectées, mais d’une façon non pertinente car poussées à leurs limites. Bien qu’employant des moyens légaux, cette pratique est considérée par le fisc le plus souvent comme un abus de droit, à défaut de pouvoir le qualifier d’immoral.

Selon une étude publiée en 2018 par le think-tank américain « Institute on taxation and economic policy » (ITEP), 60 entreprises du Fortune 500 ont réussi à totalement échapper aux taxes fédérales. Parmi elles, des sociétés de tout secteur, aussi bien des géants du numérique comme Amazon et Netflix, que des entreprises pharmaceutiques (Eli Lilly), de l’énergie (Chevron, Halliburton) ou de l’industrie traditionnelle (John Deere, Goodyear, Whirlpool).

Ces 60 multinationales — qui ont déclaré 79 milliards de dollars de revenus avant impôt — auraient dû payer 16,4 milliards de dollars de taxes, d’après l’estimation de l’ITEP. Mais leur maîtrise des niches fiscales américaines leur a permis d’obtenir des taux effectifs d’imposition négatifs.

L’Europe et les géants du numérique

En Europe, les géants du numérique paient en moyenne 9 % d’impôts sur leurs bénéfices, contre 23 % pour les entreprises relevant d’autres domaines. Dans un rapport publié en mai 2013, la Commission européenne estime pour sa part que les États membres de l’Union européenne (UE) seraient privés de près de 1 000 milliards d’euros en raison de l’évasion fiscale. Cette situation est rendue possible principalement en raison de failles dans les lois fiscales à l’échelle internationale.

D’abord, une entreprise, est taxée dans le pays où est situé son siège social, mais aussi dans les pays où elle détient un établissement stable, c’est-à-dire où elle dispose de bureaux ou de représentants pouvant signer des contrats pour l’entreprise. Or, en France, les géants du web n’implantent en général que des filiales dédiées au marketing et à la publicité qui ne génèrent que peu de profits.

Ensuite, pour inscrire leurs bénéfices dans leurs sièges sociaux situés dans des pays à la fiscalité avantageuse, les GAFA font « remonter » leurs bénéfices en faisant payer aux filiales nationales des redevances de droit intellectuel au siège social, ou plus simplement en attribuant la plus grande partie de leur chiffre d’affaires à un pays à faible fiscalité. Les services numériques dématérialisés des GAFA sont très difficiles à localiser.

Problématique du bien public

L’évasion fiscale relève d’une profonde injustice. Sur le plan personnel, les ménages qui la pratiquent réduisent ainsi leur contribution au financement des biens collectifs. Sur le plan économique, les entreprises qui n’utilisent pas l’évasion fiscale souffrent d’une distorsion de concurrence et d’un déficit de compétitivité. Enfin, sur le plan politique, les faibles résultats de l’action de certains États pour contrer l’évasion fiscale peuvent accroître le sentiment de défiance envers l’autorité publique.

Par exemple, le projet européen de « taxe GAFA » n’a pas su faire consensus et a donc été abandonné au grand dam de pays comme la France. Le projet consistait à mettre en place une taxe de 3 % sur le chiffre d’affaires de certaines activités des géants du numérique, notamment les revenus issus de la publicité et de la vente de données. Après l’échec du projet européen, le dossier « taxe GAFA » a été confié à l’OCDE, mais ne débouchera au plus tôt qu’en 2021, en raison de la forte résistance américaine.

La pandémie actuelle — qui va nécessiter un soutien jamais vu dans l’histoire des Etats à l’activité économique — va exacerber encore davantage l’injustice des pratiques d’évasion fiscale. C’est pourquoi, à coup sûr, les gestionnaires d’actifs devront accentuer la pression sur les entreprises par le dialogue actionnarial en positionnant les aspects fiscaux en première ligne du questionnement.

Nous pouvons également espérer que le reporting pays par pays — contraignant les multinationales à déclarer au fisc le montant des impôts payés dans l’ensemble des pays où des filiales exercent une activité — devienne enfin public.

François Lett - Ecofi

Directeur du développement éthique et solidaire

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