Sadry Bouhejba – Archery Blockchain : « La blockchain s’est normalisée »

Asset Management - L’avenir de la finance passe-t-il par la blockchain ? Les cryptomonnaies sont-elles des actifs comme les autres ? Comment maîtriser la volatilité de ce marché ? Sadry Bouhejba, CIO du fonds Archery Blockchain — spécialiste des cryptomonnaies et de la blockchain — répond en exclusivité au Courrier Financier.

Le secteur financier reste frileux à la technologie blockchain. Une révolution silencieuse se prépare pourtant sur la manière de transférer la valeur. Archery Blockchain a bien l’intention de profiter de la conjoncture. Ce fonds de droit luxembourgeois — créé en décembre 2018 par Gian Bochsler — s’adresse uniquement aux investisseurs professionnels. Il leur permet de diversifier leur portefeuille avec des actifs décorrélés des marchés classiques, en investissant dans les cryptomonnaies et la technologie blockchain sous-jacente. Ce fonds de conviction propose des placements à horizon moyen terme, c’est-à-dire 3 à 5 ans.

Les cryptoactifs sont plus qu’un effet de mode, même si ce type d’investissement s’adresse d’abord à des investisseurs qualifiés. Ce genre de clients présente une tolérance au risque plus élevée que la moyenne. Pour répondre à leur demande, Archery Blockchain est né dans le prolongement d’Ether Capital, un portefeuille privé de cryptomonnaies lancé en 2016. « Nous sommes l’enfant légitime d’Ether Capital. Les clients de ce premier portefeuille ont simplement migré chez nous », s’amuse Sadry Bouhejba, CIO d’Archery Blockchain. Devant un café, il répond en exclusivité aux questions du Courrier Financier.

Le Courrier Financier : quel est l’état du marché de la blockchain en 2019 ? Quel impact pour le métier de CGP ?

Sadry Bouhejba - Archery Blockchain : « La blockchain s'est normalisée »
Sadry Bouhejba

Sadry Bouhejba : La technologie blockchain représente un vivier d’opportunités pour les conseillers en gestion de patrimoine, notamment pour leur clientèle privée. Chez Archery Blockchain, nous nous adressons à des investisseurs professionnels, en d’autres termes des clients expérimentés qui investissent au moins 500 000 euros. Nous fonctionnons un peu comme un hedge fund, c’est-à-dire que nous proposons des investissements alternatifs. Ce positionnement nous a valu quelques levées de boucliers au démarrage. En l’espace de quelques années, la blockchain s’est normalisée. Les autorités sont passées de la méfiance à l’acceptation. 

Nous avons vu la preuve de cette évolution en avril dernier. Bruno Le Maire [ministre de l’Economie et des Finances, NDLR] a proposé à l’Union Européenne de se lancer dans un projet de réglementation européen sur les monnaies numériques. De son côté, l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) s’intéresse à nous sous un jour positif. C’est une bonne nouvelle, puisque les recommandations du régulateur servent de bible aux investisseurs. La loi Pacte votée en 2019 doit à terme favoriser notre secteur. Le marché n’attend pas les politiques, mais les CGP, si. A l’image des banques, ils restent prudents — voire frileux ! — parce qu’ils ont trop à perdre.

C.F. : comment gérez-vous la volatilité des cryptomonnaies ? S’agit-il d’une bulle ou d’une véritable opportunité ?

S.B. : Nous sommes entrés dans une phase de consolidation et de mûrissement du marché. Depuis le début de l’année 2019, Archery Blockchain enregistre 30 % de performance pour 14 % de volatilité. Nous sommes satisfaits de ce bilan, très peu de classes d’actifs peuvent en dire autant. Il n’y a pas de rendement sans volatilité : si vous ne prenez pas de risques, vous ne ferez aucune performance. Nous diversifions néanmoins notre portefeuille pour tempérer les effets de cette volatilité. En moyenne, nous investissons la moitié de nos fonds sur des cryptoactifs à faible volatilité. Nous ne sommes plus en 2018, où il y a eu une véritable bulle spéculative.

L’année dernière, nous avons constaté jusqu’à 110 % de volatilité. C’était en partie à cause de l’intérêt de la presse grand public pour le Bitcoin. Nous avons vu les articles fleurir dès 2017, avec l’arrivée des premiers spéculateurs. L’année suivante, il y a eu un mouvement de foule, tout le monde en voulait ! Forcément, ça donne des prix décorrélés de toute rationalité sur le marché des cryptomonnaies. Aujourd’hui, nous sommes revenus à une volatilité qui oscille entre 10 % et 15 %. C’est assez proche de ce que l’on peut observer pour les produits dérivés [instrument financier dont la valeur varie en fonction de l’évolution d’un actif appelé sous-jacent, NDLR].

C.F. : quelles conséquences la loi Pacte a-t-elle sur votre activité ? Nous dirigeons-nous vers un règlement européen d’ici 2020 ?

S.B. : C’est très encourageant. La loi Pacte est la première pierre d’une véritable construction réglementaire. Quand les agences de régulation tardent à réguler, les investisseurs rechignent à entrer. L’AMF a compris que cette classe d’actifs n’était pas un ennemi à combattre. Le soutien de Bruno Le Maire montre que la France veut devenir un acteur à la pointe de la blockchain, ce qui crée une certaine effervescence économique dans le secteur. En revanche, je ne crois pas à l’avènement d’un règlement européen sur la blockchain d’ici 2020. C’est un sujet encore trop brûlant, même si la France pousse dans ce sens.

Chaque pays essaie de garder la main sur cette technologie. Peut-être aurons-nous un accord européen d’ici 2025 ou 2030 ? Avant, cela me paraît trop juste. Mais c’est un sujet crucial pour la technologie financière du futur. Plus intéressant encore, les Etats-Unis et la Chine s’y intéressent moins que les européens. Ces deux géants préfèrent investir dans l’intelligence artificielle. Ils se méfient de la blockchain, parce qu’ils ont une vision conservatrice du sujet. C’est le moment pour les Européens de prendre de l’avance… mais à condition de se mettre d’accord entre eux.

C.F. : quelles perspectives de développement voyez-vous dans le secteur de la blockchain, à horizon 5 ans ?

A l’échelle des marchés financiers, 5 ans représente un horizon à long terme. D’ici là, je pense que la technologie blockchain aura atteint le stade de l’homogénisation réglementaire. En d’autres termes, les autorités feront preuve d’un peu plus de souplesse pour permettre au marché de se développer. Nous serons sur le point d’instaurer l’harmonisation règlementaire. La blockchain sera démarginalisée : les particuliers auront affaire à elle plusieurs fois par jour sans s’en rendre compte.

Dans les 5 ans à venir, je pense que nous verrons émerger des poids-lourds de la blockchain. Dans le secteur financier, cette technologie permettra notamment une meilleure traçabilité interbancaire. La blockchain sera devenue une manière commune de lever des fonds, ou encore d’investir pour valoriser son épargne. Dans ce contexte, Archery Blockchain continuera à proposer son expertise, bien sûr !


Mathilde Hodouin - Le Courrier Financier

Rédactrice en chef (janvier 2019 - février 2024)

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