COVID-19 et après : trois prédictions pour les infrastructures de transport

Asset Management - Certains secteurs sont clairement plus durement touchés que d'autres par le COVID-19, mais aucun sans doute autant que celui des transports. Laurence Monnier examine les implications à long terme pour ce secteur et les infrastructures qui le sous-tendent.

Les investisseurs en infrastructures ont profité des belles opportunités offertes par le secteur des transports. De la rénovation des réseaux routiers aux nouvelles rames de train, en passant par la privatisation des aéroports, le secteur a représenté en moyenne 35 %1 des investissements européens en infrastructures au cours des dix dernières années. La croissance de l’activité économique et du tourisme (notamment en provenance d’Asie) a conduit à un accroissement du trafic.

En fait, le secteur avait été relativement épargné depuis la Grande Crise Financière. Celle-ci avait mis en évidence sa vulnérabilité aux cycles économiques, comme en ont témoigné les restructurations de dettes des sociétés d’autoroutes espagnoles et de ports américains. Mais malgré tout, le trafic était reparti assez rapidement après la recession.

Dans la crise actuelle, alors que le COVID-19 a provoqué un arrêt quasi-complet de l’activité économique dans de nombreux secteurs, celui des transports se trouve dans l’œil du cyclone. Pour aller au-delà de l’impact immédiat, nous formulons trois prédictions quant aux perspectives du secteur pour 2020 et les années suivantes :

  1. À court terme, le transport de marchandises étant plus résiliant que le trafic de passagers, les ports et les autoroutes empruntées par une forte proportion de poids-lourds devraient mieux s’en sortir. L’activité des aéroports semble davantage vulnérable, mais ces actifs stratégiques devraient bénéficier d’un soutien massif des États.
  2. À moyen terme, le tourisme rebondira. Cependant, la demande dans le transport aérien risque de rester atone pendant une longue période, du fait de la violente récession qui touche le secteur et de liaisons internationales qui prendront plus de temps à rouvrir. D’autres mesures de santé et de sécurité pourraient être mises en œuvre, au moins jusqu’à ce qu’un vaccin soit largement disponible, ce qui pourrait augmenter les coûts de fonctionnement des infrastructures de transports.
  1. A plus long terme, des innovations technologiques testées durant la pandémie de COVID-19, telles que les véhicules automatiques, devraient bénéficier au secteur des transports, y compris des transports publics. La tendance des consommateurs à privilégier des modes de transport plus respectueux de l’environnement pourrait aussi s’accélérer.

    Nous identifions trois phases dans l’évolution des transports :

    – Blocage (2-3 mois) : restrictions imposées à l’ensemble des moyens de transports à l’exception des réseaux publics essentiels.

    – Gestion de la période pré-vaccin contre le COVID-19 (12 à 18 mois) : le blocage est progressivement levé pour permettre une relance de l’activité économique, mais des stratégies de confinement demeurent qui varient d’un pays à l’autre. Cette période peut combiner des mesures de distanciation sociale (en particulier pour les personnes plus vulnérables), du traçage et des mises à l’isolement, ainsi que des tests à grande échelle avec de possibles nouvelles périodes de confinement si la situation venait à s’aggraver. Nous pensons qu’un certain nombre de trajets intérieurs seront autorisés au cours de cette période. Les hôtels et restaurants (s’ils sont autorisés à rouvrir) pourraient devoir adopter des mesures de distanciation sociale. Les voyages internationaux risquent d’être interrompus plus longtemps car chaque pays cherchera à protéger sa population.

    – Lorsqu’un vaccin sera disponible, les restrictions sur les voyages devraient être levées, mais les préférences des consommateurs pourraient avoir changé.

Parallèlement à ces phases, une grave récession semble désormais inévitable. Dans la dernière House View d’Aviva Investors, nous examinons trois scénarios de récession. Même dans le plus optimiste de ces trois scénarios, il faudrait attendre fin 2021 pour voir l’activité économique revenir à ses niveaux de 20192. La hausse du chômage et le pessimisme associé aux inquiétudes pour la santé pourraient ainsi réduire la demande de voyages.

Les flux de marchandises et les transports jugés essentiels devraient être prioritaires

La pandémie actuelle est en train de créer un choc à la fois de production et de consommation. Les chaînes d’approvisionnement sont perturbées et de nombreuses usines ont été fermées. Néanmoins, au cours des trois premières phases, les flux de marchandises devraient être prioritaires et mieux résister que le trafic de voyageurs.

Les ports commerciaux devraient être moins touchés par le COVID-19 que les transports de passagers par la mer et par les airs.

En effet, la Commission Européenne n’a pas tardé à proposer des « voie vertes » (« green lanes »), c’est-à-dire des passages transfrontaliers rapides réservés à tous les véhicules de transport et dont les contrôles et dépistages ne prennent pas plus de 15 minutes. Ainsi, les ports commerciaux devraient être moins touchés par le COVID-19 que les transports de passagers par la mer ou par les airs.

Cependant, il existe des nuances, et toute analyse utile devrait prendre en compte la nature des biens transportés. Le graphique ci-dessous illustre le volume de biens qui ont transité respectivement dans les 30 premiers ports britanniques et dans l’ensemble de l’Union Européenne. Ce graphique montre que, même si le volume moyen a baissé au cours de la dernière récession (de moins de 10 %), les chiffres varient beaucoup selon les biens, le transport de véhicules motorisés (dit « roll-on/roll-off ») et les matières premières ayant été particulièrement pénalisés. Par conséquent, même si l’ampleur du choc économique actuel pourrait conduire à une chute plus prononcée, il pourrait bien s’accompagner de différenciations similaires entre les produits.

Graphique 4 : Vols intérieurs chinois (1er janvier – 7 avril 2020)
Source : Cirium, 8 avril 2020
Graphique 5 : Vols internationaux chinois (1er janvier – 7 avril 2020)
Source : Cirium, 8 avril 2020

Le rebond du tourisme pourrait être freiné par la récession

A un moment ou un autre au cours des deux prochaines années, un vaccin contre le COVID-19 sera disponible et les restrictions imposées aux déplacements seront entièrement levées. Même s’il est difficile de prédire avec certitude ce qui arrivera au tourisme à court terme, il est probable qu’une fois disparues les craintes entourant les risques pour la santé, la demande des personnes en mesure de voyager soit élevée.

C’est en Asie que la croissance du tourisme a été la plus forte au cours de la dernière décennie, et il existe des signes que la demande pour les voyages est en train de se redresser dans cette région. Une enquête récente menée par l’Académie du Tourisme Chinois4 (China Tourist Academy) a montré qu’environ la moitié des personnes interrogées prévoyaient de voyager d’ici fin juin si la situation sanitaire est sous contrôle. Ce sondage réalisé sur un petit échantillon ne reflète cependant pas l’impact de la crise économique.

En Europe, malgré des plans de relance massifs, le chômage est déjà en hausse et la confiance des consommateurs s’effondre. Cela pourrait peser sur la demande pendant plusieurs mois. Les voyages d’affaires seront particulièrement touchés car les entreprises taillent dans leurs budgets de déplacement. Les réunions avec des clients essentiels devront continuer à se tenir, mais les voyages d’affaires liés à des évènements pourraient être réduits pendant une bonne partie de la phase de reprise.

Si l’on regarde au-delà de la récession, l’expérience a montré la rapidité avec laquelle le tourisme était capable de rebondir.

Graphique 6 : arrivées et départs internationaux par région / population

Source : Organisation Mondiale du Tourisme des Nations Unis (OMT), avril 2020

Bien sûr, voyager en train ou en avion impliquera une proximité étroite avec beaucoup de monde. La situation avant la pandémie incite à se demander si notre forte envie de voyager va renaitre, ou si les gens pourraient décider de s’abstenir pendant un certain temps.

Après une longue quarantaine, certains habitants de Wuhan ont apparemment peur de sortir de chez eux. Des ajustements pourraient être nécessaires pour réduire les risques liés à la promiscuité. Le régulateur de l’aviation civile en Inde envisage par exemple de prendre des mesures visant à assurer la distanciation sociale entre les passagers, en laissant vides la rangée de sièges du milieu, et en imposant l’éloignement entre individus dans les aéroports.5

D’autres formes de contrôle sont utilisées, comme davantage de désinfection, des bilans de santé et des certificats médicaux. Ces mesures varieront d’un pays à l’autre et auront un impact sur les coûts d’exploitation et l’efficacité opérationnelle. Cela sera particulièrement le cas pour les ports et les aéroports, qui nécessitent davantage de personnel que d’autres actifs d’infrastructure. Le 19 mars, Port Houston a ainsi suspendu ses activités dans deux de ses terminaux de conteneurs, un employé ayant été testé positif au COVID-19. Cette fermeture de court terme met en évidence la fragilité opérationnelle des ports et des aéroports. Le levier opérationnel a également un impact financier car il induit une baisse plus rapide des marges que des revenus.

Il est trop tôt pour dire combien de temps les nouvelles mesures de sécurité resteront en place. Cependant, elles pourraient être de nature à rassurer les gens. À moyen terme, le tourisme devrait rebondir car les tendances démographiques qui sous-tendent sa croissance sont intactes, et la crainte a peu de chance de freiner trop longtemps une demande refoulée. 

À long terme : vers des voyages plus verts et davantage flexibles ?

La crise actuelle a accéléré l’innovation qui sera bénéfique à de nombreux domaines, notamment les transports publics.

La promiscuité ne peut être plus forte que dans les transports publics urbains. Pourtant, de nombreux travailleurs indispensables continuent de recourir à ces services essentiels. Cela s’accompagne d’un risque personnel : neuf conducteurs de bus londoniens sont ainsi décédés du COVID-19 (décompte à début avril). De nombreux professionnels dans toute l’Europe travaillent désormais de chez eux, y compris dans des professions où le télétravail n’était pas la norme, telles que les médecins ou les enseignants. Après cette expérience, les modes de travail flexibles devraient se généraliser dans de nombreux secteurs. Les réunions en face-à-face seront toujours importantes, mais leurs emplacement et horaire pourraient devenir plus variables.

Ces changements dans les pratiques de travail pourraient avoir des conséquences à long terme sur la façon dont les transports publics sont utilisés. Ces évolutions pourraient même avoir pour effet de réduire l’affluence en heure de pointe et permettre une meilleure répartition d’utilisation des transports publics. Le besoin de transports adaptés à la demande va donc augmenter. Dans certains endroits, de tels systèmes existent déjà. Par exemple, Oxford utilise une application qui permet de gérer un service de covoiturage pour des minibus à la demande.

À l’avenir, des systèmes de transports publics plus flexibles pourraient voir le jour. Ils pourraient s’appuyer sur des véhicules automatisés permettant de réduire l’exposition des conducteurs aux virus. La crise a créé les conditions permettant à ces technologies d’être rapidement adoptées. Par exemple, une entreprise chinoise, JD.com, a réalisé en février à Wuhan sa première livraison au moyen d’un véhicule logistique autonome ; et une autre société mène actuellement des tests de véhicules automatisés pour des livraisons à Pékin. Ces initiatives reposent sur les réseaux 5G qui devraient être déployés en Europe. Même si des réseaux de bus à faible émission, à la demande et automatisés ne sont pas encore d’actualité, les progrès de la technologie devraient accélérer cette évolution.

Les transports propres représentent une autre tendance qui pourrait s’amplifier. Même si le confinement a fragilisé l’économie, il a mis en lumière le coût environnemental du capitalisme. Les images satellites de la NASA de la pollution en Chine avant et après le confinement illustrent clairement ce phénomène.

Graphique 7 : un air purifié

Source : Nasa. 2 mars, 2020

Le transport est une source de pollution significative, et aucune solution propre n’est actuellement disponible dans le domaine aérien. En 2019, quelques signes de baisse du trafic aérien avaient commencé à émerger. Par exemple, en Allemagne, la demande de vols nationaux et européens a ainsi baissé. Toutefois, les préoccupations environnementales ne semblent pas avoir de répercussions sur la demande en Asie.

Graphique 8 : un effet Greta ?
Source : William Wilkes et Richard Weiss, « L’effondrement du trafic aérien en Allemagne : la honte du vol se répand », 19 décembre 2019, Bloomberg

Il reste à voir si la conscience environnementale se diffusera ou non à mesure que le confinement mettra en relief le véritable impact polluant de l’activité économique. À court terme, le désir inassouvi de mobilité pourrait l’emporter sur les préoccupations environnementales. En outre, les inquiétudes liées à l’économie et à la santé pourraient impliquer un passage au second plan des préoccupations ayant trait au changement climatique, comme pourrait le laisser penser le report de la COP26 prévue à Glasgow. En fin de compte, il est trop tôt pour prédire dans quelle mesure les clients européens, après avoir passé quelques mois chez eux, auront changé leurs habitudes de consommation afin de préserver l’environnement. Cependant, nous pensons que la tendance en faveur de moyens de transport plus écologiques devrait s’amplifier.

Une chose dont nous pouvons être sûrs : le secteur des transports restera au cœur de cette crise. Cependant, il sera essentiel de comprendre les véritables dynamiques de l’offre et de la demande, en particulier celles qui sont temporaires par opposition à celles structurelles. Les diverses caractéristiques sous-jacentes des actifs pourraient conduire à des résultats très différents, et l’intervention des États afin de soutenir certaines infrastructures jugées stratégiques sera de nature à compliquer davantage les choses.