ISR : la France rafraîchit son label, et exclut les énergies fossiles

Actualités - Ce mardi 6 octobre, Bercy a dévoilé les contours du nouveau label Investissement socialement responsable (ISR). Quelles seront les exigences du nouveau label ISR ? Qu'est-ce qui va changer pour les sociétés de gestion ? Le point du Courrier Financier — avec les réponses exclusives de Michèle Pappalardo, Présidente du Comité du Label ISR.

ISR : la France rafraîchit son label

Conception Mathilde Hodouin – Réalisation Amandine Victor

« Il faut cultiver notre jardin », disait le Candide de Voltaire. Ce mardi 6 novembre, Bercy dévoilait les contours du nouveau label Investissement socialement responsable (ISR). Objectif, mettre à jour le label afin de le rendre plus exigeant, « notamment en matière de lutte contre le changement climatique ». En octobre 2021, Bruno Le Maire (ministre de l’Economie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique) avait donné pour mission au comité du label ISR de renforcer l’ambition et les exigences du label ISR. Sous la présidence de Michèle Pappalardo, ce comité a rendu ses conclusions l’été dernier.

Plusieurs changement sont à l’ordre du jour. Pour être éligibles au label ISR, les fonds d’investissement devront désormais exclure « les entreprises qui exploitent du charbon ou des hydrocarbures non conventionnels, ainsi que celles qui lancent de nouveaux projets d’exploration, d’exploitation ou de raffinage d’hydrocarbures (pétrole ou gaz) ». Par ailleurs, ils devront suivre un plan de transition aligné avec l’Accord de Paris. En outre, les sociétés de gestion devront « s’assurer de limiter les incidences négatives de leurs investissements ». Le nouveau référentiel sera publié d’ici fin novembre. Il entrera en vigueur le 1er mars 2024.

Financer la décarbonation

Si le nouveau label ISR conservera son caractère généraliste, il implique « une sélectivité renforcée » sur les critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG). Créé en 2016, le label ISR sert à signaler aux épargnants les produits financiers qui intègrent des critères (ESG). Il n’avait pas subi de réel ajustement en la matière depuis sa création. Depuis la loi Pacte du 22 mai 2019, les fonds labellisés ISR sont systématiquement référencés dans les unités de compte (UC) en assurance-vie et dans les plans d’épargne retraite (PER). En 2023, Bercy recense 1 174 fonds labellisés ISR, pour un encours total de 773 milliards d’euros.

Avec l’évolution de ce label d’Etat, la France entend « répondre aux attentes plus fortes des épargnants et à l’ampleur des défis collectifs auxquels nous faisons face », indique Bercy dans un communiqué. « Nous devons offrir un label simple et efficace pour permettre aux Français de donner du sens à leur épargne. C’est ce que nous faisons avec ce nouveau label ISR, dont la lutte contre le réchauffement climatique devient un incontournable. Nous permettrons ainsi aux épargnants de prendre en compte la transition écologique et aux entreprises de financer plus facilement leur décarbonation », déclare ainsi Bruno Le Maire.

Un label vert irréprochable ?

Le label ISR est mort, vive le label ISR ? Si la thématique semble relativement consensuelle, son champ d’application soulève néanmoins quelques critiques. « La priorité écologique de l’Europe et de l’Etat Français se fait au détriment des autres sujets de l’ESG, à savoir l’aspect social et de gouvernance », regrette ainsi Matthieu Bailly, directeur général délégué et gérant obligataire chez Octo Asset Management (Octo AM). Pour éviter tout procès d’intention, le gérant rappelle qu’Octo AM dispose elle-même d’un fonds en obligations d’entreprises labellisé ISR depuis 2022, à savoir son fonds « Octo Crédit ISR Court Terme ».

Avec le nouveau référentiel, les producteurs d’énergies fossiles — comme TotalEnergies par exemple — se retrouvent de facto exclus du spectre de la finance durable. Une décision aux conséquences lourdes, prévient Matthieu Bailly. « Supprimer les financements Français et européens des entreprises françaises et européennes du secteur de l’énergie, quel que soit son stade d’avancement dans les énergies vertes, c’est ouvrir grand la porte aux investisseurs étrangers — dont la plupart ne seront clairement pas aux normes européennes — dans les assemblées générales et conseils d’administration de ces entreprises », explique-t-il.

3 questions à… Michèle Pappalardo, Présidente du Comité du Label ISR

Le Courrier Financier : Comment le nouveau label ISR fait-il évoluer la gestion des controverses au sein des entreprises ?  Qu’est-ce qui va changer pour les gérants ISR ?

ISR : la France rafraîchit son label
Michèle Pappalardo

Michèle Pappalardo : Dans la version initiale du label ISR, les controverses faisaient partie des outils à disposition des gérants ISR pour mettre en œuvre leur stratégie ESG, mais les règles étaient peu précises.

A l’inverse, la nouvelle version proposée par le comité du label y consacre plus d’attention : les gérants doivent mettre en place un processus d’identification des controverses, une méthodologie de classification et une gouvernance propre, pour favoriser l’indépendance des décisions et réaliser un suivi dans le temps.

En plus de garantir la mise en place de processus dédiés et robustes par les sociétés de gestion, ces règles visent à assurer aux certificateurs d’avoir suffisamment d’éléments pour réaliser des contrôles plus fins et qualitatifs.

C.F. : Que sont les Principales Incidences Négatives (PIN) ? Comment leur prise en compte par le nouveau label ISR va-t-elle influencer la performance des fonds ?

M.P. : Les Principales Incidences Négatives (PIN), définies par le règlement européen SFDR, décrivent les effets négatifs que peuvent avoir les décisions d’investissement sur l’environnement, le social et la gouvernance : émissions de gaz à effet de serre (GES), la pollution de l’eau, non-respect de l’égalité salariale entre femmes et hommes, etc.

L’objectif est d’intégrer la double matérialité dans la nouvelle version du label ISR, en s’assurant que les fonds analysent l’ensemble des effets négatifs potentiels de chaque émetteur de leur portefeuille sur les enjeux E, S et G. En outre, chaque fonds doit démontrer, sur au moins un des indicateurs d’incidences négatives, que son résultat est plus performant que celui de son univers d’investissement.

C.F. : Comment le nouveau label ISR remet-il l’urgence climatique au premier plan ?

M.P. : Même pour un label généraliste, l’urgence climatique rend nécessaire un traitement particulièrement exigeant des fonds labellisés au regard de leur impact sur le climat. Pour cela, le nouveau label ISR intègre des critères d’exclusion visant les activités les plus négatives pour le climat : le charbon, le pétrole et le gaz.

Au-delà des critères d’exclusion, focalisés sur l’offre, le nouveau label intègre également des exigences relatives à la demande en énergies fossiles, afin d’accompagner et de soutenir la transformation des acteurs concernés. Ainsi, le comité propose-t-il que les entreprises en portefeuille ayant un fort impact climatique s’engagent sur une trajectoire de transition alignée avec l’Accord de Paris, de manière progressive.

Avestissement : les modalités techniques précises seront connues lorsque le référentiel final sera publié à la fin du mois. Les réponses ci-dessus ne relèvent que des propositions du comité.

Mathilde Hodouin - Le Courrier Financier

Rédactrice en chef (janvier 2019 - février 2024)

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