L’Europe devient la zone idéale (pour une fois !)

Asset Management - La performance de l’économie européenne, en particulier quand on la considère de manière relative aux États-Unis, est en train de devenir rapidement le sujet du moment. Et pour cause : non seulement sa reprise est de bonne qualité et largement diffusée, mais nous pensons qu’elle devrait continuer à être soutenue par une Banque centrale européenne (BCE) accommodante et, du fait de l’incertitude des derniers mois, les marchés d’actifs risqués sont loin d’intégrer tous ces points positifs dans les cours.

Il y a une forte présomption que l’Europe soit devenue la zone idéale pour les investisseurs. Maintenant que les éléctions sont terminées et que la poussière est retombée, attardons-nous sur les détails de ces fondamentaux : ils sont impressionnants.

Une reprise forte et large 

Même avant le vote français, l’Europe était soupçonnée reprise “silencieuse”, sur la foi d’une solide croissance réelle du PIB, d’un climat des affaires et d’indices des directeurs d’achats (PMI) optimistes, de la croissance du crédit et de la baisse du chômage. Selon les dernières estimations, la croissance du PIB en zone euro, ajustée des variations saisonnières, a atteint 2,0% au premier trimestre, à comparer à une première estimation déjà impressionnante de 1,8%. Et ce n’est pas seulement l’Allemagne qui pousse la moyenne à la hausse.

La reprise se diffuse largement. L’Italie croît à un rythme annuel proche de 1% depuis maintenant deux ans. De son côté, l’économie portugaise a connu au premier trimestre un spectaculaire rebond de 4% en annualisé. Dans la plupart des pays de la zone euro, les indicateurs PMI sont supérieurs à 55, un niveau très élevé, cohérent avec une croissance annuelle du PIB autour de 3%. Ceci est significativement au-dessus du niveau de 1% par an, ce que nous estimons être à peu près la croissance potentielle, et c’est deux fois le taux de croissance que les US ont délivré au premier trimestre 2017.

Une BCE accommodante en soutien

Il s’agit d’une reprise cyclique mais elle a aussi été soutenue depuis plusieurs trimestres par les taux négatifs de la BCE, ses achats d’actifs et, plus généralement, son attitude accommodante. Avec aussi peu de place pour le stimulus fiscal en Europe, la politique monétaire porte un lourd fardeau sur ses épaules. Jusqu’à très récemment, les données d’inflation en zone euro faisaient qu’une politique accommodante était un choix aisé : alors que l’inflation totale a commencé à redémarrer avec le rebond des prix du pétrole à partir du début de 2016, l’inflation cœur restait bloquée sous le niveau de 1%.

L’inflation cœur a toutefois franchi ce seuil en avril, peut-être à cause d’une forte hausse de certains composants comme les forfaits vacances. Les pessimistes voient ici un risque pesant sur le maintien par la BCE d’une attitude accommodante.

Vers un contrôle de la courbe des taux “à la japonaise” ?

Tout ceci soulève la question de savoir à quoi pourrait ressembler le plan de sortie de la BCE. Il s’agit d’une question importante. Avec les hausses de taux à contretemps de la BCE en 2011 et la mauvaise communication de la Federal Reserve autour du “taper tantrum” en 2013, on a appris que tant les marchés que l’économie sont actuellement très sensibles aux actions des banquiers centraux. La politique monétaire de la zone euro est rendue plus complexe encore par le risque politique et la question de la capacité à supporter le fardeau de la dette publique avec la remontée des taux.

Comme cela a été le cas au Japon, miser sur la crédibilité de la banque centrale pour maintenir les taux à un niveau bas permettra à la BCE de ralentir le rythme de son programme d’achats d’actifs sans que cela se traduise par une hausse des taux. Cela maintiendra des conditions monétaires accommodantes au moment où la reprise économique se raffermit, et permettra de contenir les risques liés au fardeau de la dette publique des principaux pays – leur donnant plus de temps pour mettre en œuvre les réformes structurelles nécessaires.

Les actions européennes historiquement peu chères relativement aux actions US

Les marchés n’ont jamais réellement intégré un fort risque d’éclatement de la monnaie unique, et c’est pourquoi un fort rallye de soulagement après l’élection française est toujours resté peu probable. Le différentiel de taux d’intérêt réels – et donc la dynamique des US – seront des déterminants plus importants de la force de l’euro que la politique européenne. Les taux réels vont augmenter plus fortement aux États-Unis que dans la zone euro, ce qui va effectivement plafonner le taux de change EUR/USD.

Après avoir retiré la première version de sa réforme de la santé faute de pouvoir espérer une majorité à la Chambre des Représentants, Trump a réussi à faire passer un texte plus radical en avril – mais qui a plus de chances de rencontrer l’opposition du Sénat. Le Secrétaire au Trésor Steve Mnuchin a averti qu’en cas d’échec de la réforme de la santé, la première victime serait la réforme fiscale, qui semble avoir été décalée après l’été. Ajoutons à cela le retard dans les nominations de personnes clés et le flux apparemment sans fin de controverses touchant cette administration, et il est clair que le fait de contrôler la Maison Blanche et les deux chambres du Parlement n’a guère facilité la promulgation de nouvelles lois par les Républicains.

La valorisation des actifs risqués ne reflètent pas cette image d’une reprise américaine en perte de vitesse au moment où les conditions financières se durcissent, tandis que la reprise européenne gagne en ampleur, soutenue par des conditions financières favorables. La prime de risque des actions – le surplus de performance espéré d’un investissement en actions par rapport aux obligations d’État, dans les conditions de valorisation actuelles – est au plus haut depuis plus de dix ans en Europe, en relatif par rapport aux US. Les actions européennes sont singulièrement peu chères par rapport aux actions US, en dépit des fondamentaux économiques sous-jacents.

Salman Ahmed

Stratégiste d'investissement

Voir tous les articles de Salman