Véritable renaissance italienne ?

Asset Management - Avec une ascension de quasiment 22 % depuis le début de l’année, l’indice phare de la bourse de Milan se démarque par une performance supérieure de plus de 7 % à celle du Stoxx 50, qui le place en tête de peloton européen, voire mondial. Si le MIB n’a pas égalé le Nasdaq, il rivalise en effet avec le S&P500 qu’il dépasse de 3,5 % depuis janvier.

La péninsule italienne, au sujet de laquelle nombreux prédisaient le pire face à un environnement de
remontée des taux d’intérêt est donc loin d’apparaître aux abois.

Avec un PIB supérieur de 2,5 % à son niveau de la fin 2019, elle arrive en tête des quatre principaux pays de la zone euro, tout en ayant réduit son taux d’endettement public de près de 15 points ces deux dernières années, davantage que la plupart de ses partenaires. Son industrie et son commerce extérieur ont repris des couleurs et le taux de chômage endémique du pays, de ses plus jeunes en particulier, n’a jamais été aussi bas depuis 2009.

Si beaucoup craignaient une envolée des spreads de taux d’intérêt à l’arrivée de Giorgia Meloni à la tête du Conseil italien, en octobre dernier, l’inverse s’est jusqu’à présent produit. De 250 points de base à son arrivée au pouvoir, l’écart de taux d’intérêt entre le BTP et le Bund à 10 ans a perdu quasiment 100 points depuis, résistant même aux derniers assauts de la BCE du mois de juin. Dès lors, le taux des emprunts d’Etat italiens est quasiment équivalent aujourd’hui à ce qu’il était il y a un an, aux environs de 4,10 %.

Comment expliquer cette performance et où en est le pays ?

Libérée du joug des politiques d’austérité

Il fait peu de doutes que la décrispation de l’économie italienne tient avant tout au changement de politique économique européenne. Vingt années d’excédents primaires des finances publiques imposés aux gouvernements successifs de la péninsule ont anéanti la croissance et l’investissement et ont considérablement aggravé les fragilités d’une économie qui, du fait de son positionnement industriel de moyenne gamme, était parmi les plus exposées à la montée de la concurrence asiatique et à la surévaluation de l’euro des années deux mille.

L’abandon des politiques d’austérité à partir de 2015 avait déjà commencé à apporter quelques fruits avant l’épidémie de covid. Cette dernière a néanmoins radicalement modifié le contexte de la politique européenne et, de facto, domestique. L’Italie a été le principal bénéficiaire du plan de relance de 2020, lequel a été complété par d’imposants leviers de la politique de M. Draghi, Président du Conseil entre février 2021 et octobre 2022. Le prédécesseur de G.Meloni a en effet décidé d’allouer 51% des 221,5 milliards d’euros du plan de relance européen aux secteurs du BTP, à la construction et aux infrastructures.
Un programme dont le pays avait éminemment besoin compte-tenu de son retard passé et dont les effets conjoncturels ont été particulièrement importants.

Le taux d’investissement national a récupéré en moins de deux ans près de quinze années de déclin et de stagnation à très faibles niveaux, la formation brute d’investissement représentant, la principale source de croissance du PIB national en 2021 et 2022. Dans le même temps, l’emploi dans la construction augmentait de plus de 300 000 personnes.

Sauvée par l’inflation

L’envolée de l’inflation, souvent perçue comme une menace insurmontable compte-tenu de ce qu’elle signifiait en termes de taux d’intérêt, a incontestablement offert des marges de manœuvre que le pays n’aurait jamais
pu trouver.
L’inflation a, en effet, plus enflé les recettes qu’elle n’a, pour l’instant, alourdi la charge d’intérêt de la dette publique, permettant au gouvernement de mener une politique particulièrement généreuse depuis 2020, tout en profitant d’un désendettement accéléré. Selon les estimations de la Commission, l’effet nominal de la croissance du PIB ferait baisser le taux d’endettement de 10 points de PIB par an entre 2021 et 2023, un chiffrage proche de celui que nous avions réalisé l’année dernière, proportionnel au haut niveau d’endettement du pays (voir à ce sujet Le vent de panique sur la dette italienne est-il justifié? ).

Privilégiée par la baisse de l’euro

Enfin, la chute de l’euro semble avoir apporté un soutien complémentaire non négligeable à la croissance. Comme tous les pays touristiques, l’activité tertiaire a profité d’un rattrapage post-covid amplifié par la baisse de l’euro et d’un retour rapide des visiteurs étrangers, quand bien même amputé des Chinois à la fin de l’année dernière.

Mais c’est sans aucun doute sur le front industriel que la baisse de l’euro a apporté le plus de résultats. L’Italie reste un pays parmi les plus industrialisés d’Europe de l’Ouest, dont le positionnement sur des produits de moyenne valeur ajoutée la rend plus sensible aux variations du taux de change de l’euro que la moyenne. Complément à la politique de relance, la dépréciation de la monnaie unique a apporté aux exportateurs italiens une bouffée d’oxygène bienvenue sur leurs marges et leurs parts de marchés. Les profits des sociétés italiennes ont ainsi progressé de plus de 15 % par rapport à la période immédiate d’avant covid et de près de 40 % par rapport à leur moyenne de long terme de 2000 à 2015.

L’ensemble s’est accompagné d’une récupération industrielle plus rapide que chez la plupart de ses voisins, notamment soutenue par une reprise du secteur automobile plus importante que dans les autres pays de la région, quand bien même toujours en retard par rapport à l’avant crise covid. Moins chers que leurs concurrents, les véhicules italiens ont pu tirer profit de leur positionnement plus attractif en période de forte inflation.

L’Italie a, au total, profité d’un rattrapage significatif de ses exportations, en l’occurrence beaucoup plus rapide que celui de l’Allemagne ou, plus encore, de la France.

Véritable renaissance italienne ?

Alors l’Italie est-elle en mesure de sortir de l’ornière dans laquelle elle était depuis le début du siècle ?
Le diagnostic est, naturellement, plus compliqué. L’Italie accuse encore des retards structurels considérables sur de nombreux fronts et ses fragilités risquent fort de réapparaître sans tarder, dans un environnement potentiellement moins favorable, tant sur le plan de la politique économique que sur celui de l’inflation.
Le PIB réel italien n’a toujours pas récupéré ses niveaux d’avant la crise de 2008 et accuse un retard de 20 % à 35 % sur ses principaux partenaires régionaux.

Si la combinaison de ces derniers trimestres a porté ses fruits dans l’industrie considérée dans son ensemble, de nombreux secteurs restent fondamentalement affaiblis, accusant toujours des retards très conséquents par rapport à la période d’avant covid.

L’effort d’investissement, par ailleurs surtout centré sur la construction et les infrastructures, a jusqu’à présent laissé pour compte les secteurs d’avenir, la recherche notamment, dont la part dans le PIB italien reste particulièrement faible.

Enfin, l’Italie vieillit particulièrement vite et n’a fait que très peu de progrès en matière d’inclusion à la vie active. La péninsule subit les conséquences d’un taux de participation à la vie active particulièrement faible au regard des autres pays développés, voire en développement, et peine à mener à bien sa politique migratoire en l’absence de maitrise des flux de migrants et de fonds suffisants pour en assurer le coût.

L’Italie est, au total, très loin d’être sortie de l’auberge. Tributaire des aides européennes, sa capacité à mettre à profit leurs bénéfices semble de plus en plus malmenée tandis que la souplesse budgétaire dont a bénéficié le pays ces deux dernières années ne devrait plus être au rendez-vous l’an prochain.
Ses difficultés à remplir les critères nécessaires au déblocage de la quatrième phase du plan de relance européen, risquent dès lors de conditionner une très large part des perspectives du pays.

L’Italie a déjà reçu 67 milliards d’euros, dont 25 milliards de préfinancement et deux premiers versements de 21 chacun, mais Bruxelles a gelé la troisième tranche de 19 milliards de dollars du plan de relance. En cause, le manque de respect des engagements conditionnels. L’Italie n’a, de fait, respecté que 10 des 27 objectifs de plan initial et l’Europe n’est pas forcément d’accord avec l’attribution des fonds et la gouvernance Italienne en général. 16 milliards d’euros doivent être versés cet automne mais malgré les amendements du gouvernement pour rendre sa politique plus écologique, le versement des fonds semble encore loin d’être acquis.
Le plan de relance prévoyait dans sa première mouture :

  1. 15 milliards d’euros pour l’efficacité énergétique des bâtiments
  2. 34 milliards pour la mobilité durable
  3. 11 milliards pour la gestion des déchets et de l’eau
  4. 7 milliards pour la connectivité (5G et fibre optique)
  5. 13 milliards pour la transition numérique
  6. 6 milliards pour la modernisation de l’administration publique
  7. 26 milliards de réformes sectorielles sur l’éducation et la formation
  8. 16 milliards pour le système de santé
  9. 13 milliards pour des zones économiques spéciales dans le sud

Au-delà des difficultés du gouvernement à se plier à cette feuille de route, les difficultés d’exécution sont nombreuses. L’Etat n’a dépensé qu’un milliard des 34 prévus cette année. Par ailleurs, les 25 déjà utilisés depuis 2021, 59 % sont allés à des projets sans rapport avec le plan initial.
Au-delà des risques de ne pas recevoir les fonds, l’efficacité du plan de relance est sérieusement mise en doute. Or, d’ores et déjà, les indicateurs conjoncturels s’étiolent, promettant un contexte moins porteur qu’au cours des derniers trimestres, il est vrai peu aidé par le reste de la région.

Plus encore, le ralentissement de l’inflation promet, comme partout, de faire remonter les taux d’intérêt réels et de fermer la parenthèse favorable issue du rebond de l’inflation.

L’ensemble pourrait assez rapidement aboutir à des déceptions, sinon cette année, du moins l’an prochain, notamment en cas de réduction accélérée du bilan de la BCE qui semble devoir se profiler. On aurait tort dès lors de considérer que le problème italien soit derrière nous et que les risques de tensions souveraines aient disparu.

Véronique Riches-Flores - RichesFlores Research

Fondatrice et Présidente

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