Économie et budget : le Portugal fait mieux que prévu

Asset Management - Les difficultés spécifiques qu’a connues le Portugal durant les récentes années de crises économiques et financières ont pour origine, au cours de la dernière décennie, de hauts niveaux d’endettement (secteur public, entreprises et ménages), un compte courant très déficitaire et une faible compétitivité (positionnement sur des secteurs à faible valeur ajoutée, très exposés à la concurrence des pays émergents). La crise a, de plus, amplifié une dynamique démographique défavorable (exode des jeunes).

Le PIB réel portugais a reculé, au maximum, de près de 10 % entre 2008 et 2013 (un chiffre comparable à ceux observés en Italie, en Espagne). De moins de 10 % avant la crise, le taux de chômage est monté jusqu’à 17,5 % début 2013.

Le Portugal a bénéficié d’un plan d’aide international de 78 Mds € en 2011, dont il est sorti en juin 2014, après s’être comporté en « bon élève » des créanciers internationaux, acceptant de mettre en œuvre des mesures d’austérité et des réformes structurelles. Conséquence de ces plans d’aide, plus du quart de sa dette publique totale de 247 Mds € (env. 130 % du PIB) reste dû aux autres gouvernements de la zone euro et au FMI (le Portugal vient toutefois d’obtenir l’autorisation de continuer ses remboursements anticipés à ce dernier).

Une reprise longtemps décevante suivie par une amélioration très nette depuis mi-2016

Depuis début 2013, la croissance économique est redevenue positive. Si le rythme de la reprise a longtemps déçu (notamment par rapport à celle de l’Espagne), une nette accélération a été observée au cours des quatre derniers trimestres, qui ont vu le PIB progresser de +2,8 % au total, dont +0,7 % au T4 2016 et +1 % au T1 2017.

Cette récente amélioration s’explique surtout par l’investissement (au T4 2016) et par le commerce extérieur (au T1 2017). Ces éléments sont représentés lissés sur 4 trimestres sur le graphique 2. Notons en particulier une forte hausse de la construction, de la fréquentation touristique, et des exportations vers certains grands partenaires du pays (l’Espagne, à la dynamique économique toujours très forte, mais aussi l’Angola, dont l’économie se remet progressivement de la forte chute du prix du baril).

Le taux de chômage baisse rapidement : il est revenu en dessous de 10 % début 2017 (proche, par conséquent, de la moyenne de la zone euro) sous l’effet à la fois de créations d’emplois soutenus et de la faible dynamique de la population active.

Ces bons chiffres de début d’année ont entraîné une forte hausse des prévisions de croissance (ainsi, entre ses prévisions d’automne 2016 et de printemps 2017, la Commission européenne a augmenté sa prévision de croissance du PIB portugais pour 2017 de 1,2 % à 1,8 %, celle pour 2018 de 1,4 % à 1,6 %).

De façon plus durable, le Portugal commence à récolter les résultats des réformes menées au cours des dernières années, notamment la forte amélioration de sa compétitivité-coûts (quasi-stabilité des coûts unitaires du travail, surtout sous l’effet de modération salariale, accompagnée de quelques gains de productivité). De fait, l’exposition du pays au commerce international a beaucoup augmenté : les exportations sont passées de 31 % du PIB en 2008 à 40 % en 2016. Les comptes externes du pays, longtemps très négatifs, sont revenus à l’équilibre depuis 2013.

Cependant, la principale limite de cette amélioration est, qu’elle doit trop, justement, à la seule modération salariale, alors que les grandes organisations internationales appellent le pays à mener (ou poursuivre) ses efforts dans d’autres directions. Pour l’Union européenne1, il s’agit notamment de réformer de nouveau le marché du travail afin de promouvoir l’embauche sous contrat à durée indéterminée, de renforcer les initiatives visant à remettre les chômeurs de longue durée au travail, de réduire les obstacles réglementaires dans certains secteurs (construction et services aux entreprises), et d’améliorer l’efficacité des procédures d’insolvabilité et des procédures fiscales. L’OCDE insiste également sur les problématiques de marché du travail et de dérégulation de certains secteurs, et appelle également à des efforts portant sur la formation (scolaire et professionnelle) et le renforcement des liens entre entreprises et recherche publique.

Une situation budgétaire nettement améliorée et une réduction de la dette privée qui se poursuit malgré les craintes suscitées, il y a deux ans, par l’arrivée au pouvoir d’un gouvernement soutenu par l’extrême-gauche

Le Portugal a récemment dépassé son objectif budgétaire en ramenant son déficit public à 2 % du PIB en 2016. Le pays avait rétabli un surplus primaire (objectif clef de ses créanciers internationaux) dès 2015. Cependant, depuis lors, en plus d’être contraint à des dépenses exceptionnelles en raison des sauvetages bancaires, il restait en retard sur ses objectifs de consolidation supplémentaire (son déficit hors éléments exceptionnels avait été de 2,8 % alors que la cible était de 2,5 % en 2015, mais l’Union européenne avait renoncé à lui infliger une amende à l’été 2016). La croissance plus forte que prévu, des éléments exceptionnels (règlements de litiges financiers) et la maîtrise des dépenses d’investissement public lui ont cependant permis de terminer l’année sur ce bon résultat.

Ces progrès sont d’autant plus remarquables que l’arrivée aux affaires, en octobre 2015, d’un gouvernement de gauche soutenu par les partis d’extrême-gauche avait suscité de nombreux doutes: craintes portant sur la stabilité du gouvernement lui-même, sur un possible retour sur les réformes « pro-business » des années précédentes, sur d’éventuelles largesses en matière de dépenses sociales. De fait, le gouvernement a augmenté certaines dépenses en faveur de catégories de la population malmenées par les plans d’austérité (fonctionnaires et retraités, ce qui lui a valu de nombreuses accusations de clientélisme politique) et supprimé des surtaxes d’impôt sur le revenu. Ces mesures, qui semblent bien (comme l’annonçait le gouvernement) avoir eu un effet positif sur la consommation, ont été en partie financées par d’autres hausses d’impôts (sociétés, boissons, carburant, patrimoine immobilier des ménages aisés) et par la modération de l’investissement public.

Au vu de cette situation budgétaire améliorée, qui vient de permettre au pays de sortir de la procédure pour déficit excessif de l’Union Européenne, le gouvernement a appelé les agences de notation à rétablir la note du pays en catégorie Investment Grade, sans succès jusqu’à présent (notons que Fitch vient toutefois d’améliorer la perspective de la note BB + qu’elle attribue

au pays). Pour l’heure, le Portugal reste donc noté Spéculatif par les trois plus grandes agences. L’éligibilité du pays au programme PSPP de la BCE est donc rendue possible uniquement par sa notation Investment Grade par la seule agence DBRS. Le principal obstacle à un rehaussement de la note du Portugal est pour les autres agences le niveau absolu très élevé de la dette publique (environ 130 % du PIB, soit un niveau comparable à celui de l’Italie, qui prouve depuis beaucoup plus longtemps sa capacité à maintenir un surplus primaire).

Le PSPP va-t-il s’arrêter totalement de façon imminente pour le Portugal ?

Le fait que le spread portugais reste relativement élevé par rapport aux autres pays périphériques s’explique en partie par cette dépendance à la note d’une seule agence et par des problématiques de liquidité. Les obligations portugaises ont été également pénalisées par une réduction des achats de l’Eurosystème à partir du début de l’année 2016: alors que les obligations portugaises doivent théoriquement représenter environ 2,60 % du PSPP hors achats d’obligations supranationales, cette part est tombée progressivement vers 1,10 %. Cette réduction ayant été interprétée comme la fin imminente du PSPP pour le Portugal, le spread 10 ans portugais est ainsi passé d’environ 190 bps fin 2015 à environ 380 bps début 2017. Notre modèle de spread souverain donne une valeur d’équilibre de 200 points de base pour le spread 10 ans entre le Portugal et l’Allemagne (contre 180 bps pour l’Italie et 150 bps pour l’Espagne). Les obligations portugaises étaient donc très peu chères en début d’année. 90 L’écartement de l’hypothèse d’un gouvernement eurosceptique en France (et implicitement le risque d’une remise en cause de l’existence même de la zone euro) et les bons chiffres macroéconomiques ont contribué à un violent resserrement des spreads portugais ces dernières semaines.

Le PSPP va-t-il s’arrêter totalement de façon imminente pour le Portugal ?

La réponse est non. La somme des détentions PSPP et SMP approche les 40 Mds € tandis que le maximum de titres achetables dans le cadre du PSPP est d’environ 46 Mds €. En faisant d’un maintien du poids actuel du Portugal dans les achats PSPP (environ 1,10 % du PSPP hors obligations supranationales) et en faisant l’hypothèse d’un passage du QE de la BCE à 30 Mds € mensuels à partir de 2018, le PSPP peut tout à fait se poursuivre en 2018 pour le Portugal. De plus, notons que le rythme d’achat actuel (environ 0,5 Mds € par mois) correspond à peu moins d’un 400 tiers des émissions brutes de titres : le nouveau gisement de titres éligibles au PSPP que constituent les émissions brutes permettra donc au PSPP de se poursuivre pour le Portugal.

Enfin, si des progrès significatifs ont été faits en termes de réduction de l’endettement privé, celui-ci reste élevé.

La dette des ménages représente 72 % du PIB contre près de 93 % au pic de 2012, celle des entreprises 111 % contre 142 % au pic. Ces niveaux sont significativement supérieurs à ceux de l’Espagne.

 

Perspectives : une croissance aussi forte que celle des deux derniers trimestres sera difficile à reproduire, mais la reprise est solidement engagée et conserve un potentiel important

Si les très bons chiffres des deux derniers trimestres donnent peut-être une vision exagérément positive de la tendance réelle, l’amélioration est indéniable :

• La reprise est solidement engagée, bénéficiant de moteurs à la fois internes (baisse du chômage générant un cercle vertueux emploi/consommation et externes (amélioration de la dynamique d’ensemble de la zone euro, le Portugal n’ayant probablement pas fini de toucher les bénéfices des efforts de compétitivité réalisés durant les années de crise). De façon différée, la très forte reprise en Espagne devrait continuer de -5 profiter au Portugal (dont environ 1⁄4 des exportations se dirigent vers ce pays). De plus, le pays confirme être une destination privilégiée par les investisseurs internationaux directs, notamment chinois.

• Sur le plan financier, malgré la subsistance de litiges non négligeables (notamment aux conditions de résolution de la banque BES), la -15 restructuration du secteur bancaire a fait d’importantes avancées.

• Le gouvernement a fait la preuve à la fois de sa capacité de survie sans majorité au Parlement (malgré quelques frictions, qui pourraient être renforcées à l’approche des élections de septembre 2017) et de sa volonté de préserver une attitude budgétaire prudente et l’essentiel des réformes réalisées par l’administration précédente (à défaut des orientations budgétaires précises).

 

Par conséquent, nous jugeons l’ordre de grandeur des prévisions de croissance de la Commission européenne (+1,8 % en 2017, +1,6 % en 2018, proche de la moyenne de la zone euro) approprié et n’identifions pas le Portugal comme présentant un risque majeur de nouvelle crise financière dans l’immédiat. Si cela devait, néanmoins, être le cas, le pays pourrait probablement compter sur le soutien du reste de la zone -3 euro (gouvernements et BCE). La présence de niveaux d’endettement durablement très importants reste un facteur de vulnérabilité en cas de nouvelle récession en zone euro, mais nous n’envisageons pas une telle récession à un horizon de 2/3 ans, voire au-delà.

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