Chine et marchés émergents : un défi de taille à l’horizon

Asset Management - Depuis des années, l'économie chinoise repose sur l'investissement en actifs immobilisés, porté par un endettement croissant. Si l'économie est en phase de transition vers un modèle axé sur la consommation, l'évolution se fait pas à pas.

La Chine est confrontée à d’autres risques, parmi lesquels l’endettement élevé du secteur privé, la pression sur la dévaluation de sa monnaie et les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de la réforme de la politique de l’offre du pays sans entraîner de hausse du chômage et mettre en péril la cohésion sociale. Dans cet article, nous dressons les scénarios envisageables pour l’économie chinoise à moyen terme et partageons notre vision de ce qu’il en ressortira le plus probablement. Les marchés émergents sont, eux aussi, largement impactés par le ralentissement chinois. Toutefois, leurs actions s’échangent à des valorisations raisonnables et des divergences nettes apparaissent dans le lien de dépendance qu’elles entretiennent vis-à-vis de la croissance chinoise. Si les pays exportateurs de matières premières risquent fort de subir de plein fouet l’essoufflement de la demande en Chine, certaines économies davantage tournées vers leur marché domestique pourraient bien sortir gagnantes en cas de poursuite du tassement de l’économie chinoise.

 

Croissance financée par la dette

Ces dernières années, le modèle de croissance chinois a été basé sur l’investissement en actifs immobilisés à renfort de crédit, et il le reste encore aujourd’hui en grande partie. Le ratio dette globale/PIB avoisine ainsi les 300 %. La Chine reste devancée par le Japon et le Royaume-Uni sur ce terrain mais l’endettement de ses entreprises dépasse les 150 % du PIB, soit parmi les plus élevés au monde. C’est là où le bât blesse parce que les défaillances des entreprises peuvent se transformer en une catastrophe majeure. Sur une note plus positive, les ménages chinois sont relativement peu endettés (environ 35 % du PIB) et la dette immobilière est réduite puisque les acquéreurs paient en général leur logement en numéraire pour la plus grosse partie. Beaucoup disent que les consommateurs ont largement de quoi dépenser plus car leurs économies sont très importantes.

C’est sans doute vrai mais le plus souvent, les Chinois épargnent pour payer les études de leurs enfants et leurs dépenses de santé, et en vue d’éventuelles périodes de chômage et de la retraite compte tenu de l’inexistence ou presque des prestations sociales en Chine. Il est peu probable que cette tradition évolue à court terme. Le gouvernement central est lui aussi relativement peu endetté, à environ 50 % du PIB ; il peut donc se permettre de s’endetter davantage et d’accroître ses dépenses. Pourtant, le budget est déjà légèrement déficitaire, à -1,8 % du PIB, et les chiffres ne vont pas dans le bon sens.

 

Doute sur la croissance économique

Un nouveau risque s’est fait jour depuis que la Chine a décidé de rejoindre le panier des monnaies de réserve des droits de tirage spéciaux (DTS) du Fonds monétaire international. Pour ce faire, la Chine a dû ouvrir son compte de capital et libérer les échanges sur sa monnaie. Le FMI a annoncé en décembre l’entrée du renminbi dans le panier des DTS, mais les préoccupations des investisseurs concernant la croissance économique et la dette de la Chine ont provoqué des sorties massives de capitaux. Le renminbi a reculé et la banque centrale a dû intervenir pour défendre la monnaie. La vente de grandes quantités de devises met toute la masse monétaire chinoise sous pression, avec à la clé un resserrement monétaire au moment même où la croissance chinoise est mise à mal. L’évolution du marché d’actions domestique est une autre source d’incertitude pour la Chine. Si les flux d’actions chinoises négociées à Hong Kong sont principalement le fait des professionnels, le marché intérieur est largement dominé par les investisseurs individuels. Il est donc extrêmement sensible aux variations des niveaux de confiance, comme le montre la volatilité très forte des bourses de Shanghai et de Shenzhen au cours de l’année écoulée.

En bref, la Chine fait face à de nombreux défis de taille alors qu’elle s’efforce de rééquilibrer son économie dans un contexte marqué par l’endettement élevé de ses entreprises, l’atonie de la croissance mondiale et la surcapacité de la plupart des industries lourdes, dont les bénéfices (lorsqu’il en reste) fondent comme neige au soleil. L’endettement de la Chine a augmenté rapidement en raison des grandes mesures de relance initiées après la crise financière de 2007/2008. Ce sont les sociétés d’État (SOE) et les véhicules de financement des collectivités locales (LGFV) qui ont contracté la majeure partie de cette dette. Nombre des emprunts consentis aux SOE et aux collectivités locales sont actuellement refinancés. Les collectivités locales optent pour des emprunts à long terme à taux bas sur le marché des obligations municipales et remboursent la dette des LGFV plus courte et plus chère. L’objectif est de réduire le risque d’une crise financière. Cependant, le ralentissement de la croissance économique, conjugué à la surcapacité, fait peser la menace d’un scénario de déflation de la dette, ces entités n’étant pas en mesure de rembourser le nominal de leurs emprunts en raison du niveau faible, voire négatif de leurs bénéfices. Dans ce contexte, le ratio dette/PIB du pays ne cesse de grimper. depuis 2000, les investissements (formation brute de capital), en pourcentage du PIB, progressent alors que la consommation recule.

La tendance ne s’inverse aujourd’hui que doucement et depuis une base très faible puisque la part de la consommation est à son plus bas en 30 ans. De plus, les secteurs primaire et secondaire prédominent toujours et emploient une proportion significative de la main-d’œuvre chinoise. Ces secteurs souffrent du tassement de la croissance économique, lequel fait peser la menace d’une hausse du chômage (et par répercussion d’une baisse de la consommation). Compte tenu de l’opacité des statistiques économiques chinoises, il est difficile de juger de l’avancée de cette transition. La part des services a clairement progressé et représente près de la moitié de l’activité économique, mais les secteurs traditionnels de l’économie restent importants et ne vont pas aussi bien que nombre d’indicateurs le laissent entendre. À titre d’exemple, la consommation d’électricité – baromètre de l’activité industrielle – stagne depuis la mi-2014.

 

Surcapacité de production

Dans le même temps, les chiffres de la consommation peuvent être trompeurs eux aussi puisque certains indicateurs, dont les ventes au détail, incluent les achats publics. Qui plus est, d’autres mesures, comme les ventes de voitures, ont été dopées à court terme par les baisses d’impôt. Et si les ventes en ligne explosent, il ne fait pas de doute que les circuits traditionnels souffrent. La principale explication de la maigre rentabilité des SOE à l’heure actuelle est la surcapacité (l’industrie de l’acier est un exemple souvent cité à cet égard). La réforme de l’offre est un défi considérable car rationaliser l’offre entraînerait une hausse du chômage, laquelle ferait à son tour chuter la confiance et la consommation. La réforme de l’offre est importante mais il sera difficile, d’une part, de la mettre en place et, d’autre part, de la faire passer auprès de la population active et des investisseurs.

Il ne faut pas oublier que la stabilité sociale est la priorité numéro un du gouvernement chinois parce que c’est la condition de sa survie. Les intérêts des actionnaires minoritaires ne sont pas en tête de liste des préoccupations lorsque la paix sociale est mise en péril par la hausse du chômage. Le ralentissement chinois n’est pas un bon présage pour la plupart des autres pays émergents, tout particulièrement ceux qui dépendent des exportations de matières premières comme la Russie, l’Afrique du Sud et, dans une certaine mesure, le Brésil. Des pays comme Taïwan et la Corée du Sud, qui exportent leurs marchandises vers la Chine, souffriraient aussi d’un tassement de la demande chinoise. Cette tendance profiterait en revanche sans doute aux économies tournées vers le marché domestique et aux importateurs de matières premières : l’Inde en tête. Le Mexique, du fait de son exposition aux États-Unis, devrait également bien s’en sortir.

Un autre facteur important est celui que constitue la gouvernance. Celle-ci joue en effet beaucoup sur la confiance des investisseurs dans les marchés émergents et est donc un moteur de performance des marchés d’actions. La gouvernance s’est dégradée sur les marchés émergents ces dernières années, il suffit de penser à la crise en Ukraine, à la dégradation de la situation politique en Turquie et aux dysfonctionnements du système politique au Brésil. Même la Chine perd en transparence. C’est là une tendance majeure à surveiller de près.

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Gaël Combes - Unigestion

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