Trump peut-il être le nouveau Reagan ?

Asset Management - Depuis l’élection de Donald Trump, les taux longs américains sont nettement remontés, le dollar s’est fortement apprécié et les actions ont continué de grimper.

L’explication est en grande partie à rechercher du côté des anticipations concernant la politique budgétaire : un large plan de stimulation est attendu conformément aux promesses du candidat Trump. Réalisé dans une économie déjà proche du plein-emploi, un tel programme (financé par déficit) laisse augurer d’une accélération simultanée de la croissance et de l’inflation aux États-Unis. C’est ainsi que beaucoup se mettent à rêver d’un nouveau cycle d’expansion, avec une économie revigorée comme elle le fut sous la présidence de Ronald Reagan par les baisses d’impôts et les dépenses militaires. C’est pourtant ignorer non seulement les conditions dans lesquelles Reagan a mis en place sa politique, mais aussi l’environnement économique qui a radicalement changé. Il est utile de remettre en perspective les enjeux des deux présidences.

Donald Trump (DT) et Ronald Reagan (RR) ont certes quelques points en commun. RR était un républicain hors norme dont les recommandations en termes de politique économique étaient loin de faire l’unanimité dans son propre camp. George Bush père – son principal compétiteur durant les primaires de 1980 — qualifiera même ses propositions comme relevant de « l’économie du vaudou ». DT est un républicain très contesté dans son propre parti (du moins il l’était jusqu’à son élection). Il y a toutefois des différences notables entre les deux hommes : RR était déjà gouverneur de la Californie quand il a été élu et avait donc une bonne expérience politique ce qui n’est pas le cas de DT. En outre, l’approche de RR était moins conflictuelle : dans la dernière ligne droite avant les élections, il décida de s’allier avec les modérés en proposant à George Bush le poste de vice-président. Tandis que DT est resté en conflit avec son parti jusqu’au bout. La nomination de Reince Priebus comme Chief of Staff de la Maison blanche, ainsi que celle de plusieurs de ses ministres (secrétaire au Trésor), montre néanmoins que le nouveau président recherche une alliance avec les modérés de son propre camp.

Le programme de DT s’inspire ouvertement de celui de RR (1980) en matière de politique budgétaire. Dans les deux cas de figure, les allègements fiscaux proposés sont significatifs et la dépense publique est appelée à jouer un rôle important :

• Ménages : RR a abaissé le taux marginal d’imposition de 70 % à 28 %. Quand DT propose de l’abaisser de 39,6 % à 33 %.

• Entreprises : RR a abaissé le taux d’imposition de 48 % à 34 %. DT propose de l’abaisser de 34 % à 15 %.

• Dépenses publiques : les infrastructures davantage que la défense.

Les temps ont changé. Le programme de DT accorde une large place aux dépenses d’infrastructure (au sens large). Tandis que le programme de RR se concentrait sur l’augmentation des dépenses de défense (période dominée par l’affrontement sur la scène internationale entre le bloc soviétique et le bloc occidental). Ceci dit, comme Martin Feldstein l’écrivait récemment, les dépenses de défense vont baisser de 3,2 % à 2,7 % du PIB dans la décennie à venir, soit le plus faible niveau depuis la seconde guerre mondiale, ce qui n’est pas compatible avec les besoins des États-Unis pour leur sécurité. Il est donc possible de voir les dépenses militaires jouer un rôle central.

Les enseignements sont néanmoins difficiles à tirer compte tenu des environnements très différents

Au début des années 1980, l’économie est en pleine stagflation. Le second choc pétrolier (1979) et la politique monétaire restrictive ont précipité l’économie dans une récession de courte durée (6 mois, de janvier à juillet 1980). Quand RR est élu président, la « reprise » économique est faible ; elle dure peu de temps (12 mois) puis l’économie retombe en récession (double dip). La seconde récession est à la fois plus longue (16 mois, de juillet 1981 à novembre 1982) et plus sévère (c’est alors la plus forte récession depuis les années 1930).

La situation dégradée de l’économie américaine a aidé RR à lever l’opposition de certains républicains ainsi qu’à rallier des démocrates.

Certes, RR l’avait très largement emporté à l’élection présidentielle (obtenant plus de 90 % des grands électeurs et plus de 8 millions de voix d’avance sur Jimmy Carter) et les républicains avaient renversé les démocrates au Sénat (53 sénateurs républicains sur 100) pour la première fois depuis 1955. Mais la Chambre des représentants était en revanche toujours largement dominée par les démocrates (et elle le restera pendant les deux mandats de RR).

En outre, les républicains étaient opposés en 1980 à une politique de dérive des finances publiques. RR a donc dû faire un lobbying intensif auprès du Congrès et utiliser ses talents de « grand communiquant » pour venir à bout des réticences. En juillet 1981, son programme économique avait gagné un large support dans l’opinion publique. Si bien que RR est ainsi parvenu à rallier suffisamment de démocrates pour voter son plan. Il promettait de trouver ultérieurement des baisses de dépenses supplémentaires pour équilibrer le budget.

Il est important de noter que la politique fiscale expansionniste n’a pas bénéficié à l’économie immédiatement.

L’économie retombe en récession au moment même où RR obtenait un vote favorable au Congrès. Il est frappant de constater que la datation par le NBER du début de la 2nde récession coïncide avec le vote par le Congrès du plan d’allégement fiscal (juillet 1981). Tout compte fait, la politique budgétaire de RR s’est traduite par une détérioration substantielle des déficits structurels au cours de son premier mandat et par une forte hausse de la dette publique. L’impact sur la croissance a mis du temps à se matérialiser.

Le bilan des années Reagan fait encore l’objet de débats. Le policy mix est crédité d’avoir permis d’en finir avec la stagflation qui minait la fin des années 1970. Il est difficile a posteriori de faire la part entre ce que l’on doit à la fiscalité et ce que l’on doit aux grands programmes de dépenses militaires. Seule certitude, les deux ont joué un rôle.

En disposant d’une majorité absolue dans les deux chambres du Congrès, Donald Trump sera-t-il en mesure de faire voter ses propositions plus rapidement ?

Et si oui, son programme est-il en mesure d’élever la croissance ? Plusieurs facteurs permettent d’en douter :

• L’économie est en fin de cycle. La croissance attendue pour 2017 (2 %) serait appelée à s’essouffler à l’horizon 2018 sans soutien de la politique budgétaire. Le potentiel de croissance a chuté depuis la grande récession (moindre progression de la population active, ralentissement des gains de productivité). Or de nombreux travaux tendent à montrer que les multiplicateurs fiscaux sont plus faibles quand l’économie est en expansion que lorsque l’économie est en récession.

• Les entreprises sont beaucoup plus endettées qu’au début des années 1980. La faiblesse de l’investissement n’est pas liée aux conditions monétaires (les taux d’intérêts réels sont très faibles, l’accès au marché du crédit est facile), ni à une profitabilité dégradée (la part des profits dans la valeur ajoutée est encore très supérieure à sa moyenne de long terme) mais davantage à une insuffisance de débouchés anticipés (l’effet accélérateur est inexistant en fin de cycle). Du côté des biens d’équipement, le taux d’investissement en volume est plus élevé que sa moyenne de long terme.

Ceci dit, 2016 a été une année de récession de l’investissement et des profits. La politique fiscale peut donc avoir un petit effet stimulant.

• Les baisses de dépenses réclamées par les républicains du Congrès risquent d’avoir un effet négatif immédiat. Tandis que les dépenses d’infrastructures promises mettront du temps à être mises en œuvre. D’autant plus que leur financement n’est pas assuré. DT propose de financer les infrastructures en couplant des crédits d’impôts aux entreprises (à hauteur de 134 Mds $) avec la mise en place de partenariats public-privé. L’objectif est de pouvoir lever jusqu’à 1 000 Mds $ avec un engagement moindre de l’État. Toutefois, les rendements attendus sur la rénovation d’infrastructures publiques sont faibles et donc peu susceptibles de séduire les investisseurs privés. Par ailleurs, en Europe, le plan Juncker montre combien il est difficile de mobiliser des fonds privés pour financer de nouveaux investissements.

• La dette publique est plus de deux fois supérieure à ce qu’elle était alors. La soutenabilité à long terme de la dette publique exigerait soit une forte augmentation des recettes fiscales (à dépenses inchangées), soit des coupes claires dans les programmes de dépenses (à fiscalité inchangée).

De ce point de vue, la donne a radicalement changé en 35 ans. Il n’est pas possible d’alléger les impôts et d’augmenter les dépenses simultanément, du moins pas durablement. Par conséquent, le Congrès sera très réticent à voter des allègements fiscaux sans une baisse substantielle des dépenses, ce qui limiterait l’effet de stimulation. Il est néanmoins probable que les républicains passent par une procédure dite de réconciliation budgétaire pour faire passer leurs baisses d’impôts.

• L’inflation était de 14 % en 1980 vs à peine plus 2 % aujourd’hui. Par ailleurs, l’inflation (totale et sous-jacente) est, sur le cycle actuel (qui a débuté depuis le printemps 2009) à son plus faible niveau depuis le début des années 1960. Il n’y a pas de vraie menace inflationniste aux États-Unis, même si une accélération de la hausse des prix (hors énergie) est probable en 2017. Il faut éviter d’assimiler une période de reflation avec une période d’inflation hors contrôle. Les taux d’intérêt nominaux sont très faibles, alors qu’ils étaient très élevés du temps de Reagan. Les risques sont donc asymétriques pour l’économie américaine : il y aura moins de potentiel de baisse de taux, courts et longs, pour endiguer une éventuelle récession.

• Au début des années 1980, l’administration RR était en ligne avec la Fed pour casser l’inflation. Si bien que Paul Volcker sera reconduit par RR à la tête de la Fed en 1983. En revanche, les tensions entre la Fed et la nouvelle administration seront potentiellement plus fortes avec DT. Janet Yellen ne sera vraisemblablement pas reconduite à son poste quand son mandat expirera en février 2018 et des « faucons » seront vraisemblablement nommés au FOMC d’ici là.

En résumé, si les mesures budgétaires préconisées se ressemblent de prime abord, l’environnement diffère considérablement.

• En 1981, la récession, le chômage élevé et l’inflation rendaient nécessaire la combinaison d’une politique monétaire restrictive et d’une politique budgétaire expansionniste.

• En 2016, ce n’est pas l’inflation l’ennemi, mais l’excès d’épargne (l’insuffisance d’investissement). Or d’une part, il n’est pas dit que les allègements de fiscalité permettent de relancer l’investissement d’entreprises déjà très endettées. D’autre part, les baisses d’impôts ciblent des ménages dont la propension à consommer est faible. Enfin, les dépenses d’infrastructures ne sont pas financées. L’environnement de dette élevée (du côté de l’État comme du côté des entreprises) limite la faisabilité et l’efficacité de la politique budgétaire annoncée. Sauf menace de récession, il ne faut pas compter sur un large plan de stimulation de l’économie financé par déficit.