Les marchés finissent toujours par revenir à la réalité des fondamentaux

Asset Management - L’ampleur du repli des marchés depuis le début de l’année peut surprendre en raison du manque flagrant de catalyseurs et de nouvelles à la source de cette remontée brutale de l’aversion au risque des investisseurs. Analyse

Certes, l’environnement économique mondial semble se dégrader quelque peu, mais de façon marginale. Il s’agit plutôt de l’alignement de trois risques, déjà fort bien identifiés en 2015, qui sont à l’origine d’un retournement très net du sentiment de marché. D’abord, la crainte que la Chine exporte un risque déflationniste au travers d’une dévaluation significative du Yuan : les marchés ont en effet fortement réagi en ce début d’année face aux pressions baissières sur la devise chinoise. Pourtant, la banque centrale de Chine avait clarifié en décembre sa nouvelle politique de change. L’idée était de stabiliser globalement le Yuan par rapport à un panier de devises et non plus par rapport au seul dollar afin de ne plus se laisser entraîner par un mouvement d’appréciation supplémentaire du billet vert. En effet, en l’espace de cinq ans, le taux de change effectif du Yuan s’est apprécié de 25%, en partie du fait de ce lien trop étroit vis-à-vis du dollar. Les autorités chinoises ont calmé depuis la situation sur le marché des changes en intervenant massivement ainsi qu’en prenant des mesures techniques pour empêcher les mouvements spéculatifs sur la devise offshore. Après avoir défini une nouvelle stratégie à la mi-décembre, il nous semble impensable que les autorités chinoises aient aussi rapidement abandonné le cap. Ainsi, la réaction du marché nous semble très excessive mais elle peut s’expliquer. La transition de l’économie chinoise est un exercice complexe qui la rend vulnérable. En outre, le manque de fiabilité des statistiques chinoises et la médiocre qualité de la communication des autorités laissent la place à une divergence importante dans l’appréciation de la situation. Les mesures prises ces derniers mois pour stabiliser l’activité et la réaffirmation de cette nouvelle politique de change devraient conduire les investisseurs à corriger un peu le niveau de crainte élevé autour de la Chine.

 

La chute du baril de pétrole
La chute des prix du pétrole, signal avant-coureur d’une récession mondiale ou d’une crise financière ? En l’espace de 18 mois, le cours du WTI a plongé de 70%. Des mouvements comparables ont été constatés lors des récentes décennies, lors de la crise de 2008, du « contre-choc pétrolier » de 1986 et de la crise des pays émergents de 1998. Il serait hasardeux de considérer l’évolution du pétrole comme un indicateur avancé, voire un reflet de l’activité. Au cours de l’été 2008, les cours du pétrole ont chuté un an après le début de la crise des subprimes, avec autant de retard que le PIB mondial pour ne rebondir qu’en parallèle de celui-ci. Or, nous sommes dans une phase  de légère décélération de la croissance mondiale, pas dans un cycle de rupture. Lors du contre-choc pétrolier de 1986, la baisse des cours du pétrole, entraînée par un excès d’offre lié à une concurrence acharnée des pays producteurs, avait produit des effets bénéfiques sur l’économie mondiale. Pendant la crise de 1998, la chute des cours du pétrole liée au tassement de la demande des pays émergents avait constitué l’un des moteurs permettant à la croissance des pays développés de traverser la crise sans fléchir. Il convient donc d’être très prudent dans les interprétations des mouvements actuels.

A nos yeux, la chute du pétrole relève d’un phénomène d’excès d’offre, à l’instar de 1986, et d’un risque sur la demande issue des pays émergents, comme en 1998. Les effets positifs sur les pays développés à attendre de la baisse des cours du pétrole sont aujourd’hui moindres du fait du rôle accru de la production de pétrole aux Etats-Unis. Les effets négatifs sont plus élevés du fait du poids plus important des pays producteurs au sein de l’économie mondiale. Notons toutefois qu’en termes de séquence, les effets négatifs de la chute des cours du pétrole sont plus rapides à se diffuser dans l’économie, via les coupes d’investissement, que les effets positifs. Ainsi, les ménages américains ont pour l’heure essentiellement épargné le surcroît de pouvoir d’achat lié à la chute des prix de l’énergie. On estime généralement qu’il faut 12 mois que pour ces sommes soient dépensées. Au total, l’effet global de la baisse des prix du pétrole sera probablement moins favorable qu’il ne l’était précédemment, mais la bonne nouvelle est que nous avons vu davantage les effets négatifs que les effets positifs jusqu’à présent et que cette situation devrait s’inverser. Il reste toutefois à surveiller le risque de faillites de pays, de producteurs et d’accidents financiers. Pour l’heure, force est de constater que les producteurs ont su ajuster à la baisse leurs coûts à une vitesse surprenante, au point que la plupart peuvent « survivre » avec un baril à 30 dollars. Il reste malgré tout le besoin de garder une capacité à se refinancer au moment où les conditions financières se resserrent drastiquement pour les producteurs. Il y aura vraisemblablement quelques faillites mais nous ne sommes pas dans le cadre d’un risque systémique.

 

Le resserrement monétaire américain
Le cycle amorcé du resserrement monétaire de la Réserve fédérale contribue toujours à des sorties de capitaux des pays émergents et donc à un durcissement pénalisant des conditions financières pour des pays qui se sont rapidement endettés ces dernières années. Sur ce point, la Réserve fédérale ne remettra en cause sa politique que si la détérioration de la situation mondiale ou des conditions financières est telle qu’elle menace la reprise américaine, ce qui n’est pas avéré. Au total, la difficulté de l’environnement de marchés résulte du fait que les trois grands risques se nourrissent en partie les uns des autres. Les marchés pourraient demeurer volatils dans la mesure où ces risques ne sont pas appelés à disparaître du jour au lendemain.

Cependant, nous nous situons dans la perspective d’un rebond des marchés. Tout d’abord, il s’est creusé un écart flagrant entre la réalité économique et la perception, très pessimiste, des investisseurs. Or, les marchés finissent toujours par revenir à la réalité des fondamentaux. Ensuite, on peut comprendre que tant que le marché ne réussit pas à trouver un « juste prix » sur le pétrole, une variable financière majeure, les investisseurs questionnent les valorisations des autres marchés. Toutefois, après l’ampleur du plongeon, un point d’ancrage sur le pétrole semble de plus en plus probable cette année même s’il reste par nature incertain. Enfin, les banques centrales jouent le rôle de garde-fou. Ainsi, la BCE a promis d’examiner en mars la question d’un assouplissement de sa politique monétaire, tandis que la Banque du Japon pourrait prochainement aller dans cette direction.

 

Quelles convictions pour les prochaines semaine ?
Le potentiel de hausse des actions européennes et plus particulièrement celles de la zone euro est positif. Le cycle s’y renforce toujours et les entreprises continuent de bénéficier de la faiblesse de l’euro, du faible coûts des matières premières, de la reprise et de la baisse des coûts salariaux unitaires. De plus, les attentes du consensus sur la croissance des bénéfices par action ne montrent pour une fois pas d’excès. Nous privilégions toujours les valeurs cycliques domestiques dans un premier temps et les valeurs de rendement ; nous sommes également positifs sur la thématique des fusions/acquisitions.

Dans ce contexte, il convient de remonter le score sur les obligations à haut rendement européen. En effet, la dégradation de ce marché s’est faite en parallèle de celle du marché du high yield américain, au sein duquel le secteur énergétique joue un rôle important dans l’indice. Actuellement, le risque de défaut est bien intégré dans les obligations du secteur énergétique américain et globalement, le niveau de spread sur ce marché est compatible avec les niveaux historiques atteints lors des récessions précédentes. Autrement dit, à nos yeux, sauf à remettre radicalement en cause le scénario américain, le marché du high yield américain ne devrait plus peser sur le marché européen. Ce dernier offre des rendements devenus très attractifs, dans un contexte où les fondamentaux sont plutôt robustes, les taux européens extrêmement faibles, tandis que la BCE pourrait assouplir davantage sa politique monétaire.

En revanche sur le marché des devises, mieux vaut le score sur le dollar. Une grande partie de la hausse du dollar face à l’euro s’est articulée autour de la divergence de politiques monétaires de la Fed et de la BCE. Toutefois, les marchés comprennent de moins en moins les motivations d’une poursuite du resserrement monétaire américain dans un contexte jugé déflationniste. Les investisseurs pourraient estimer que la poursuite du resserrement monétaire pourrait être une erreur de politique économique qui conduirait à faire demi-tour à plus ou moins brève échéance, écornant la crédibilité du dollar sur la route. Un tel cas de figure serait défavorable au billet vert. A contrario, si par prudence, la Fed abandonne son cycle de resserrement monétaire, le dollar n’a plus de raisons de monter.

Benjamin Melman - Edmond de Rothschild

Global CIO Asset Management

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