Japon : trois ans d’Abenomics

Asset Management - Après trois ans d’Abenomics, les résultats semblent modestes à première vue, mais dans quelques années le marché se souviendra peut-être de Shinzo Abe comme étant celui qui a réussi à sortir le Japon de la déflation.

Après trois ans d’Abenomics, les résultats semblent modestes à première vue, mais dans quelques années le marché se souviendra peut-être de Shinzo Abe comme étant celui qui a réussi à sortir le Japon de la déflation. En dépit d’une croissance économique inférieure à celle des Etats-Unis et de l’UE, le PIB réel japonais a augmenté de 0,7% par an ces trois dernières années. L’atonie de la consommation privée s’expliquait par la hausse de la TVA (de 5% à 8%) en avril 2014. Chacun avait en tête la précédente hausse de 3% à 5% en avril 1997, qui a plongé le pays dans la déflation. Cela ne s’est pas produit cette fois-ci. L’inflation sous-jacente est au contraire restée ancrée aux alentours de +0,5% en 2015, signalant la fin d’une période de déflation longue de 15 ans. Sans doute faudra-t-il encore quelques années pour que les gens se fassent à cette idée, mais les enquêtes montrent que les mentalités évoluent lentement mais sûrement vers cette «nouvelle normalité» caractérisée par un environnement marqué par l’inflation.

La durabilité de cette inflation dépendra de la tendance des salaires et de la bonne tenue des prix pratiqués par les entreprises. Le premier point est bien connu de par le rôle clé du «Keidanren» (la Fédération des organisations économiques japonaises) qui a incité ses membres – les grandes entreprises – à montrer l’exemple en augmentant les salaires et les primes. Le second point cependant est lié à la rentabilité des entreprises. La croissance moyenne des salaires récemment indiquée semble assez faible, mais cela tient principalement à la répartition de la main-d’œuvre entre travailleurs à temps plein et temps partiel. La rémunération des travailleurs à temps partiel dans les secteurs caractérisés par une forte demande à court terme est nettement inférieure à celle des travailleurs à temps plein qui ont droit à des primes. La solidité du marché de l’emploi (le taux de chômage s’établit à 3,4%, son niveau le plus bas depuis 20 ans) est mise en évidence par la croissance de 1,4% par an de la part des salaires dans le PIB durant la mandature de Shinzo Abe.

Des mesures monétaires drastiques

L’autre aspect des Abenomics concerne la politique monétaire non conventionnelle adoptée par la Banque du Japon au travers de deux programmes d’assouplissement quantitatif et qualitatif en avril 2013 et octobre 2014. Ces mesures visaient à soutenir l’objectif d’inflation de 2% fixé par le gouverneur de la banque centrale japonaise, Haruhiko Kuroda. Les espoirs à cet égard ont malheureusement été déçus en raison principalement de la baisse des cours du pétrole. Si l’effet réel direct de ces mesures a été de réduire à zéro le rendement des emprunts d’Etat japonais à dix ans, les observateurs dans leur ensemble les associent globalement à la dépréciation de 30% du yen par rapport au dollar. De fait, après avoir un atteint un sommet historique intenable avant que Shinzo Abe ne devienne Premier ministre, le yen vient juste de retrouver son niveau d’avant la crise financière mondiale de 2007. Ce niveau semble plus juste par rapport au pic historique de 75 yens pour 1 dollar atteint en 2012. Néanmoins, grâce à la faiblesse du yen, l’objectif fixé par Haruhiko Kuroda a été partiellement réalisé, le Japon parvenant à s’extirper de la déflation à la faveur notamment des importations de biens.

Considérant la structure démographique du Japon, un objectif d’inflation de 1% serait mieux adapté que celui peu réaliste de 2% fixé par la banque centrale japonaise. Par ailleurs, la hausse modérée des salaires devrait conserver son élan face au déficit structurel de main-d’œuvre: le départ en retraite des «baby-boomers» et la diminution du nombre des jeunes travailleurs créent les deux principaux goulets d’étranglement. La consommation privée devrait progressivement s’améliorer et la récente adoption de taux d’intérêt négatifs est peu susceptible d’avoir un impact prononcé sur l’économie réelle dans la mesure où les taux étaient déjà très bas.

Surtout, n’oublions pas que la part du secteur manufacturier dans le PIB japonais atteint 27%, contre 57% dans le principal indice boursier de Tokyo. De plus, la production étrangère des entreprises cotées, qui représente une proportion importante des bénéfices du Topix, n’est pas incluse dans le PIB. Toyota (4% du Topix) produit par exemple plus de la moitié de ses voitures à l’étranger, sans impact sur le PIB national. De même, la croissance du PIB et celle des entreprises cotées présentent une différence marquée. Le chiffre d’affaires des 500 plus grandes entreprises hors secteur financier a ainsi augmenté de 2,3% par an au cours des dix dernières années, tandis que le PIB nominal est resté inchangé. L’effet cumulé est frappant, avec une croissance de 27% du chiffre d’affaires des entreprises sur les dix ans écoulés alors que le PIB est resté stable. Ces données montrent qu’en dépit des interrogations persistantes, les investisseurs doivent tenir compte des différences entre la structure de l’économie et celle des entreprises cotées.