Tout ne va pas si mal !

Asset Management - Le début de l’année a été marqué par de fortes perturbations financières : forte baisse de la bourse et du prix du pétrole, mouvements de change. La crainte d’un ralentissement brutal en Chine était une des causes apparentes de cette volatilité fortement accrue. Cet état de choses a influé sur les décisions des banques centrales, malgré la relative normalisation qui a suivi.

En effet, le prix du pétrole a poursuivi la baisse amorcée en 2014 et, pendant les premières semaines de 2016, on a observé une corrélation inhabituelle, et paradoxale, entre le prix du baril et la bourse : toute baisse du prix du pétrole était perçue comme résultant d’un ralentissement économique mondial, notamment en Chine, voire d’une récession, et aussi comme le signe de difficultés à venir pour les entreprises directement liées au pétrole mais aussi les banques, supposées avoir prêté massivement à ces entreprises, et pour celles qui vendent aux pays exportateurs de pétrole. Il ne s’agit pas de nier l’impact que la division par plus de trois du baril peut avoir sur certains pays et certaines entreprises, mais l’effet net pour les pays consommateurs est nettement positif, y compris aux Etats-Unis, où les ménages, par exemple, économisent quelque 150 milliards de dollars par an sur leur facture pétrolière. Quant à la cause de cette baisse, si elle est accentuée par le ralentissement observé en Chine, elle provient plutôt de l’accroissement de l’offre résultant d’une combinaison inédite de facteurs : hausse de la production aux Etats-Unis grâce au pétrole de schiste, retour sur le marché de l’Irak et anticipation du retour sur le marché de l’Iran, et surtout guerre des prix apparemment menée par l’Arabie Saoudite qui, en maintenant sa production et en pesant ainsi sur les prix, cherche à maintenir sa part de marché au détriment de l’Iran, de la Russie et des Etats-Unis.

Aux Etats-Unis, l’économie a continué à ralentir au 4e trimestre , avec un PIB en hausse de 1,4 % après 2,0 % au troisième et 3,9 % au deuxième. Le chiffre pourrait être encore plus bas au premier trimestre 2016 ; en particulier, l’extraction pétrolière souffre du bas niveau des prix tandis que le secteur manufacturier pâtit de la moindre demande extérieure comme du renchérissement du dollar. Les tensions financières ont attisé les craintes. Pourtant, la confiance des ménages a bien résisté, tandis que les enquêtes auprès des entreprises, après un tassement en janvier et février, se redressaient dès le mois de mars. C’est que, au total, la baisse du prix du pétrole est une bonne nouvelle pour les consommateurs, qui ont économisé quelque 150 milliards de dollars sur leur facture pétrolière, comme pour la plupart des entreprises et pour l’Etat. Les bénéfices dépassent largement l’impact sur le secteur pétrolier national, mais l’étude des précédents épisodes montre que l’effet d’une forte baisse du prix de l’énergie ne se fait sentir que quelque dix-huit mois après son début. En attendant, le marché de l’emploi a continué à être très vigoureux, avec de fortes créations d’emplois et même une augmentation significative de la population active (+ 2 400 000 en six mois), qui laissent penser que l’on est proche du plein emploi. L’inflation reste très basse en raison, pour l’essentiel, du pétrole. Mais l’inflation hors alimentation et énergie se rapproche de 2 % (l’objectif de la Réserve fédérale) tandis que diverses mesures alternatives de l’inflation sous-jacente sont déjà supérieures à ce seuil. Dans ce contexte, et surtout compte tenu des risques posés par les tensions financières et l’environnement international, la Réserve fédérale n’a pas poursuivi la hausse de taux qu’elle avait enfin amorcée en décembre, et la prévision médiane du taux des fonds fédéraux par les membres du FOMC a été revue en baisse, avec seulement deux hausses en 2016 (que les marchés ne semblent pourtant pas même envisager).

L’économie de la zone euro a marqué un temps d’arrêt au tournant de l’année, avec un tassement, parfois marqué, des enquêtes et un ralentissement de l’activité, même si la consommation s’est, au total, plutôt bien tenue. L’inflation, qui donnait des signes de timide redressement, a de nouveau baissé, y compris l’inflation sous-jacente. Bien que les conditions de crédit et la distribution de prêts soient relativement satisfaisantes, c’est sans doute cette évolution des prix, de même que la dégradation du contexte international et financier, qui a conduit la BCE à mettre en place une nouvelle série de mesures d’assouplissement monétaire : baisse des trois taux directeurs, le taux des opérations principales de refinancement étant désormais fixé à 0 % et celui de la facilité de dépôt à -0,40 % ; augmentation du volume des achats mensuels de titres, qui passe de 60 à 80 milliards d’euros par mois ; extension des achats aux obligations d’entreprises non financières bien notées ; mises en place de quatre opérations de refinancement à long terme ciblées (TLTRO), d’une durée de 4 ans, à taux fixe à 0 %, mais chaque banque pouvant bénéficier d’une bonification de taux en cas d’accroissement de son encours de prêt à l’économie réelle. La situation politique reste complexe en Espagne, au Portugal et en Irlande, tandis que le référendum qui, aux Pays-Bas, a refusé l’association avec l’Ukraine confirme la montée de l’euroscepticisme (bien qu’il n’y ait pas besoin d’être eurosceptique pour refuser une association avec l’Ukraine). Une échéance importante sera bien sûr le référendum au Royaume-Uni, qui, le 23 juin, décidera de l’appartenance ou non du pays à l’Union européenne.

Le Japon continue à décevoir. L’environnement international n’a toujours pas été propice à un redémarrage des exportations et la demande intérieure est restée relativement atone, d’autant que, malgré un taux de chômage très faible, les salaires n’ont pas augmenté et que l’inflation est toujours restée très loin de l’objectif de 2 % que s’est assigné la banque centrale. Les réformes structurelles (la « troisième flèche » de la politique économique du gouvernement Abe, après la politique monétaire et la politique budgétaire) ont pris du retard et, au demeurant, n’agissent que lentement. La Banque du Japon, après avoir, en décembre, intensifié un peu ses mesures d’assouplissement quantitatif et qualitatif (augmentation de la durée des achats, de la maturité des titres d’Etat, du montant des achats d’ETF, notamment), a mis en place « l’assouplissement quantitatif et qualitatif avec des taux négatifs », instaurant des taux négatifs sur une fraction, pour l’instant limitée, des réserves excédentaires des banques.

Le ralentissement en Chine s’est confirmé, mais semble rester, pour le moment, sous le contrôle des autorités. Le secteur manufacturier est le plus touché, tandis que les services, qui ont représenté pour la première fois en 2015 plus de la moitié de l’activité, ont plutôt mieux résisté. Les chiffres de croissance restent en tout cas honorables, bien qu’un peu plus faibles que par le passé. L’Assemblée populaire nationale (le Parlement), qui a tenu sa réunion annuelle en mars, l’a d’ailleurs entériné et a fixé pour la première fois un objectif de croissance sous forme de fourchette (6,5 à 7 %) et non pas de chiffre précis. La politique de change s’inscrit désormais dans la perspective d’une stabilité vis-à-vis d’un panier de monnaie, et non plus seulement vis-à-vis du dollar : cela entraîne une volatilité plus grande de la parité bilatérale yuan-dollar, mais cela semble désormais accepté par les marchés. Les autorités politiques semblent vouloir poursuivre la réorientation de l’économie vers les services et la consommation, au détriment de l’industrie et des investissements pour l’exportation comme c’était le cas jusqu’ici. Mais il semble que ce changement ait lieu dans un contexte de renforcement du pouvoir, parfois personnel, de M. Xi, parfois sous le prétexte d’une lutte, certes bienvenue, contre la corruption.

Philippe Weber - CPR AM

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