Monnaie « fondante »
Par un hasard géographique, l’homme est né Allemand en Belgique, à Saint-Vith en 1862. A cette époque, la ville ressortit à l’empire allemand : les cantons seront ultérieurement rédimés à la Belgique au titre de dommages de guerre. Gesell est un économiste exalté et autodidacte. Cosmopolite, il court le monde. On le rencontre en Suisse, Espagne et en Argentine où il fait fortune. Mais, inspiré de Proudhon, l’homme est engagé politiquement : il prend part aux mouvements révolutionnaires allemands qui suivent la Première Guerre mondiale. Et c’est en 1916 qu’il formule son extraordinaire idée de monnaie « fondante » dans l’ouvrage « L’ordre économique naturel ».
« L’argent doit rouiller »
Cette théorie postule que la thésaurisation est néfaste pour l’économie. La seule manière d’injecter de l’argent dans l’économie est de forcer sa dépréciation naturelle, à intervalles fixes. L’idée est originale : au lieu de subir l’inflation, c’est la monnaie qui va imposer sa propre perte de pouvoir d’achat et donc son rythme de circulation. Gesell arriva à la conviction que la monnaie devait subir les cycles de la nature. Ou, qu’en termes imagés, l’argent doit « rouiller », en perdant périodiquement de sa valeur.
Gesell préconisait une dépréciation d’un millième par semaine, ce qui correspond à 5,2 % par an. La dépréciation aurait été organisée sous forme de tamponnage (ou d’estampillage) sur les billets, afin de diminuer leur valeur nominale. Une autre technique aurait consisté à tirer au sort et à annuler une espèce particulière de billets parmi l’ensemble des types qui circulent : les billets annulés doivent alors être échangés contre de nouveaux billets d’une valeur inférieure de 5,2 % aux précédents.
Une circulation monétaire constante
Selon Gesell, la perte de valeur régulière et prévisible de l’argent favorise son injection dans l’économie, puisque les agents économiques s’opposeraient à une dépréciation de leur pouvoir d’achat par des achats d’actifs et des remboursements de dettes. Il en résulterait une circulation monétaire constante permettant aux pouvoirs publics d’en doser la quantité afin d’assurer la stabilité des prix. Il n’y aurait ni inflation, ni déflation inattendue.
L’idée de Gesell doit être replacée dans le contexte du monétarisme métallique des deux siècles précédents. L’économiste postulait que si la détention de la monnaie coûtait au moins autant que ladétention des biens, l’équilibre serait rétabli et le système économique pourrait fonctionner sans heurts et sans pénalisation. La théorie est, bien sûr, fragile : elle ne fonctionne qu’en économie fermée et suppose que la monnaie se limite à une utilité transactionnelle.
Une réponse au piège de la liquidité
L’économiste est donc resté absent des livres d’économie. Seul Keynes lui a consacré plusieurs pages dans sa « Théorie générale de l’emploi, de l’intérêt et de la monnaie » de 1936. L’idée de la monnaie fondante de Gesell aurait pu répondre, par exemple, au piège de la liquidité (liquidity trap), qui s’ouvre lorsque le taux d’intérêt est tellement bas que la thésaurisation devienne préférable à tout autre placement.