Brésil : un risque majeur non négligeable

Responsabilité sociale - Alors que les flux de capitaux reviennent graduellement vers les marchés émergents, que le sentiment envers ces marchés s’améliore et que l’Argentine lève facilement sur le marché des capitaux de gros montants (15 milliards de dollars avec un book d’ordres de plus de 60 milliards), son grand voisin le Brésil connaît la pire crise politique depuis l’existence d’une démocratie. La procédure d’impeachment envers la présidente Dilma Roussef se poursuit, et l’incertitude grandit.

Rappel des faits

En mars 2014, une enquête de la police fédérale suspecte le gouvernement Rousseff, et celui de son prédécesseur Lula, d’avoir mis en place un système de financement occulte des partis de la coalition au pouvoir, via l’obtention de pots-de-vin lors de contrats publics. Des cas d’enrichissements personnels ont été constatés (ils concernent également des membres du principal parti d’opposition, le Parti social-démocrate). En décembre 2015, l’opposition lance une procédure d’impeachment. Dilma Rousseff est accusée d’avoir maquillé les comptes publics en 2014, année de sa réélection.

La présidente crie au « coup d’État » institutionnel, notamment contre son propre vice-président, considéré comme l’un des instigateurs de la possible destitution. Le 17 avril, par un vote de 367 députés « pour », et 137 « contre » (sur un total de 513), la chambre des députés ouvre officiellement la procédure d’impeachment. Le 26 avril enfin, le Sénat a constitué la commission spéciale avec pour mission l’analyse de la procédure de destitution de la présidente Dilma Rousseff.

Que va-t-il se passer maintenant ?

Cette commission de 21 sénateurs dispose de dix jours pour recommander aux 81 sénateurs de poursuivre la procédure ou de la classer. Le vote en séance plénière à la majorité simple des sénateurs (41 sur 81) interviendra probablement le 12 mai. Une mise en accusation pour « crime de responsabilité » écarterait du pouvoir Dilma Rousseff pendant au maximum six mois, dans l’attente du jugement final. Selon la constitution, le vice-président (et désormais rival), Michel Temer (75 ans) remplacerait alors Dilma Rousseff pour cette période de 180 jours maximum. Michel Temer est, au mieux méconnu, au pire impopulaire, y compris dans la majorité actuelle, car il est accusé de « golpe » (coup d’État).

Dans les 180 jours, il y aura un nouveau vote au Sénat, et une majorité des 2/3 est nécessaire pour écarter définitivement Dilma Rousseff du pouvoir. Si c’est le cas, Michel Temer remplacera alors Dilma Rousseff pour terminer le mandat (qui court jusqu’en 2018)… à moins qu’il ne soit lui-même « rattrapé par les affaires » : son nom a en effet été plusieurs fois cité par des personnes inculpées dans le scandale de corruption Petrobras. Michel Temer pourrait aussi voir son mandat cassé, en même temps que celui de Dilma Rousseff, par le Tribunal Supérieur Electoral qui devra dire, d’ici 2017, si leur campagne à la présidence/vice-présidence n’a pas été pour partie financée par de l’argent détourné de Petrobras. Une nouvelle élection présidentielle n’est donc pas à écarter : il faut rappeler que Dilma Rousseff n’est pas accusée de corruption, contrairement à de nombreux sénateurs qui vont d’ailleurs la juger.

En effet, 39 des 81 sénateurs font l’objet d’une enquête, dont douze dans le cadre du scandale Petrobras, et notamment le président du Sénat et troisième dans la succession présidentielle, Renan Calheiros. L’ex-président du Brésil et actuel sénateur Fernando Collor de Mello, et Aecio Neves, candidat malheureux à la dernière élection présidentielle sont également dans le collimateur de la justice…

Le Brésil est solvable, et n’a pas le moindre désir de se couper des marchés financiers et de provoquer un défaut. Mais l’imbroglio politique est susceptible de durer, gênant ainsi les réformes et les mesures qui doivent être prises pour sortir de la récession, mieux maîtriser les finances publiques et la dette de l’État. Rappelons que, en premier lieu, la croissance va rester faible (-2.5 %-3 % en 2016 vs -3.9 % en 2015, et sans doute en moyenne négative sur les trois prochaines années). En second lieu, la dette est déjà élevée (elle pourrait frôler les 80 % dans les trois prochaines années (65 % actuellement), et enfin la situation actuelle bloque les perspectives de réformes, notamment sur les finances publiques… Autrement dit, la probabilité de défaut du Brésil a évidemment progressé depuis 6 mois. Prudence nécessaire sur le Brésil : il représente un risque spécifique non négligeable.

Philippe Ithurbide

Directeur recherche stratégie et analyse

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