Total : le climat sous les feux de la rampe à la dernière AG

Responsabilité sociale - Les majors pétrolières se fixent de nouveaux objectifs pour réduire leurs émissions de CO2. Comment comptent-elles réduire l'intensité carbone de leurs produits d'ici 2050 ? L'éclairage de François Lett, Directeur du développement éthique et solidaire chez Ecofi Investissement.

Longtemps, Total a été une des « super major » pétrolières la plus active dans la lutte contre le réchauffement climatique : preuve en est la publication de son premier rapport climatique en 2016, salué à l’époque par tous les analystes.

Cette année, un peu à la surprise générale, les concurrents européens de Total ont voulu la challenger sur ce terrain. En février, Bernard Looney directeur général de BP a annoncé l’objectif de neutralité carbone (i.e. émissions nettes anthropiques tombées à zéro) et de réduire de 50 % l’intensité carbone de ses produits à horizon 2050.

Emissions directes et indirectes

Il faut bien avoir à l’esprit que les émissions directes et quasi-directes de CO2 (appelées scope 1 et 2) ne représentent que 10 % du CO2 total induit par les compagnies pétrolières. 90 % des émissions relèvent des émissions indirectes (scope 3) générées pour l’essentiel lors de la consommation des produits raffinés des pétroliers par les clients finaux (industries, transport, etc.).

En réalité, BP ne s’engage à réduire l’intensité carbone de ses produits, donc ses émissions indirectes (scope 3), uniquement pour ceux issus du pétrole et du gaz extraits directement par BP, sans prendre en compte les émissions liées aux produits raffinés par BP mais non extraits par lui : le diable est dans les détails, car cette proportion extrait/non extrait n’est pas publique…

En avril, Ben van Beurden directeur général de Shell a annoncé l’alignement sur le scénario 1.5°C (contre 2°C auparavant), la neutralité carbone (scope 1 + 2) à horizon 2050 et 65% de réduction de l’intensité carbone des produits d’ici 2050. Contrairement à BP, ces produits comprennent aussi ceux issus de pétrole et gaz non directement extraits par Shell achetés sur le marché.

Quelle trajectoire climatique ?

Pour bien comprendre l’enjeu global, il faut savoir qu’aujourd’hui pétrole et gaz représentent 33 % des émissions de gaz à effet de serre globales. Les engagements de réduction d’intensité (mesure relative) ne suffiront pas : des engagements sur les émissions totales (mesure absolue) sont également nécessaires. Dans le cas contraire, avec la hausse des volumes vendus, les pétroliers vont faire croître leurs émissions totales malgré la réduction de l’intensité carbone.

Par exemple, depuis 2017, Total a augmenté ses émissions absolues (+ 2,9 %) malgré une réduction significative de son intensité carbone (- 4,1 %). En raison de son retard en matière d’annonce de ses ambitions, onze des actionnaires de Total — dont Ecofi Investissements — ont déposé une résolution pour l’assemblée générale du 29 mai. Ils souhaitaient imposer au groupe un changement de trajectoire climatique et un alignement sur les objectifs de l’Accord de Paris de 2015.

Le texte visait à modifier les statuts notamment pour « fixer des objectifs de réduction en valeur absolue, à moyen et long terme, des émissions directes ou indirectes de gaz à effet de serre (GES) des activités de la société liées à la production, la transformation et l’achat de produits énergétiques (scope 1 et 2), et à l’utilisation par les clients des produits vendus pour usage final (scope 3) ».

Adoption d’une résolution

Entre temps, le 5 mai, Patrick Pouyanné président directeur général de Total avait pris les engagements suivants : neutralité carbone pour les opérations d’ici 2050 (scope 1 + 2), neutralité carbone en Europe pour ses produits en 2050 (scope 1 + 2 + 3), réduction de 60 % ou plus de l’intensité carbone moyenne des produits d’ici 2050. Les onze déposants de la résolution climat ont accueilli favorablement cette annonce, mais déclaré qu’à ce stade leur résolution restait nécessaire pour pousser les engagements de Total.

« L’adoption de la résolution proposée conduirait à rendre votre société responsable d’émissions sur lesquelles elle n’est pas en capacité d’agir, seuls les clients en ayant la maîtrise directe » a jugé le conseil d’administration de la société. L’argument n’est pas dénué de fondement, mais Coca-Cola ou McDonald’s pourraient aussi se réfugier derrière le goût des consommateurs pour ne pas se préoccuper de leur santé.

Or, comme on l’a bien vu, seuls des objectifs absolus en matière d’émissions de GES permettront de respecter les Accords de Paris, sans nier que cela entraînera un considérable changement de business model pour les majors pétrolières d’ici 2050. Au final, la résolution a obtenu 16,8 % de votes favorables, succès véritable qui va maintenir la pression climatique sur Total.

François Lett - Ecofi

Directeur du développement éthique et solidaire

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