Mékong : l’hydroélectricité géante, ennemie du développement durable

Responsabilité sociale - Produire de l'électricité pour soutenir la croissance asiatique, oui mais à quel prix ? Si les barrages hydroélectriques ne produisent pas de gaz à effet de serre (GES), ils perturbent profondément l'environnement du fleuve Mékong. Les explications de François Lett, Directeur du département éthique et solidaire chez Ecofi.

Il s’allonge sur 4 800 kilomètres et permet à plus de 66 millions de personnes de vivre. Avec ses 1 300 espèces de poissons, c’est la deuxième plus grande réserve de biodiversité aquatique au monde après l’Amazone. Et pourtant le Mékong n’est plus ce qu’il était. Le fleuve est en péril et avec lui ses poissons, sa végétation et la vie de ses pêcheurs. Jusqu’à récemment, deux millions de tonnes de poissons y étaient pêchées tous les ans. Aucun autre bassin de la planète n’égalait ce montant.

La Chine, à l’origine du désastre ?

Sup Aunkaew, pêcheur thaïlandais, est de plus en plus résigné. Le très faible niveau du fleuve Mékong désoriente les poissons. Selon lui, « c’est à cause des conditions qui n’ont rien à voir avec les saisons normales du fleuve. Les poissons ne savent pas à quel moment de l’année nous sommes. Et quand ce n’est pas la saison de ponte des œufs, ils remontent malgré tout le fleuve. Ils le font dès que le niveau est bas », assure-t-il.

Si l’un des plus grands fleuves du monde est réduit à la taille d’une simple rivière en certains endroits, c’est, selon les spécialistes, à cause de plusieurs facteurs. Les précipitations ont été moins nombreuses ces derniers mois en raison de la tempête El Nino et du changement climatique. Mais ce n’est pas l’essentiel, le coupable numéro un désigné par la plupart des experts n’est pas le changement climatique, c’est la Chine.

Déjà 11 barrages sur le Mékong

Depuis le début de ce siècle, emportée par l’élan qui la pousse à construire toujours davantage d’infrastructures, elle a bâti pas moins de onze barrages sur le Mékong, qui prend sa source sur ses terres, dans les hauts plateaux tibétains, et s’écoule ensuite chez son voisin laotien. Les fluctuations du quatrième grand fleuve d’Asie sont désormais devenues imprévisibles, les barrages ayant chamboulé son équilibre écologique.

Ces derniers provoquent la sédimentation du limon dans les lacs de retenue et empêchent les riches nutriments de s’écouler en aval. Pendant cet été 2020, la commission en charge du Mékong, la Mékong River Commission (MRC) a dénoncé le niveau du fleuve, historiquement bas, même comparé à la sécheresse historique de 1992. Selon un rapport financé par le département d’Etat américain, la Chine aurait déjà, en 2019, retenu un volume considérable d’eau derrière ses barrages sans se préoccuper de la sécheresse provoquée en aval.

Pire, pour le centre de recherche américain Eyes on Earth « les données satellites ne mentent pas : le plateau tibétain regorgeait d’eau alors que le Cambodge et la Thaïlande faisaient face en 2019 à des situations de contraintes extrêmes ». Pour cette unité de recherche, il ne fait aucun doute que les Chinois ont provoqué la sécheresse en retenant l’eau dans le but d’alimenter leurs centrales électriques et de réguler leur débit fluvial sur le territoire chinois.

Développement irresponsable

Mais le Laos, dont l’obsession est de devenir la « batterie du Sud-Est asiatique », est également responsable. A l’automne 2019, les Laotiens ont mis en service un premier grand barrage sur le Mékong, dans la province de Xayaburi. La production de 1 300 mégawatts d’électricité sera essentiellement destinée à alimenter la Thaïlande.

Rien ne calme les ardeurs laotiennes puisqu’aujourd’hui, un projet de construction d’un nouveau barrage menace l’environnement immédiat de Luang Prabang, joyau d’architecture franco-laotien situé sur les rives du grand fleuve. La ville est classée au Patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1995. Comble de l’irresponsabilité, la retenue sera construite dans une zone sujette aux séismes.

Le dernier en date, d’une amplitude de 6,1 sur l’échelle de Richter, s’est produit en 2019. La maxime locale très mélancolique résume bien la situation : « les barrages reposent sur une vision de l’économie qui glisse sur les larmes du peuple. »

François Lett - Ecofi

Directeur du développement éthique et solidaire

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