L’investissement durable se fait-il au détriment du rendement ?

Responsabilité sociale - Les facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) prennent de plus en plus de place dans l'univers de la gestion d'actifs. S'il donne du sens à l'épargne, l'investissement durable est-il pour autant compatible avec le rendement ? Les explications de Hendrik-Jan Boer, Gérant principal des stratégies Global et European Sustainable Equity de Neuberger Berman.

L’intégration des facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans l’investissement a transformé le secteur de la gestion d’actifs. Les investisseurs, aujourd’hui plus que jamais, exigent de savoir comment leurs investissements s’alignent sur leurs valeurs. Mais devront-ils renoncer aux rendements pour investir durablement ?

Investissement durable, renouveler son approche…

Si nous considérons l’histoire de l’investissement responsable et durable, nous pouvons dire qu’elle a démarré sur de mauvaises bases. Au départ, la durabilité consistait essentiellement à exclure les entreprises impliquées dans des activités jugées non éthiques, et bien souvent la combinaison d’une opinion et d’une analyse financière ne constitue pas le meilleur point de départ pour investir.

Aujourd’hui, nous nous sommes rendus compte qu’il fallait plutôt échanger avec les entreprises sur leurs perspectives. Ainsi, lorsque nous évoquons la matérialité d’un investissement durable, la question est de savoir ce qui, dans l’environnement, les aspects sociaux ou la manière dont l’entreprise est dirigée, a une incidence sur son rendement futur, et comment elle peut continuer à réussir. 

…afin d’identifier des opportunités

Il reste néanmoins que la réponse à cette question peut varier énormément d’une entreprise à l’autre — voire au sein d’un même secteur — en fonction de leur localisation, de leurs clients finaux, etc. D’autant plus que les attentes du grand public, des consommateurs, des investisseurs et, bien sûr, du secteur de la gestion d’actifs, ont également fait un véritable bond en avant. Ainsi, pour mesurer la durabilité, faut-il disposer d’un grand nombre d’informations qui proviennent en fin de compte des entreprises, elles-mêmes encore assez inexpérimentées sur ce type de données.

Même si l’adoption de l’ESG dans les différentes industries est effective depuis un certain temps maintenant, il existe différentes méthodologies, différentes façons de percevoir la durabilité, de l’intégrer dans les investissements, et différentes orientations pour aller de l’avant. En d’autres termes, la situation est assez hétéroclite et il reste du travail en matière de durabilité. Mais cela signifie aussi qu’il existe des opportunités très intéressantes pour les investisseurs à la recherche de bonnes valorisations et d’un fort retour sur investissement.

Investissement durable et chaîne de valeur…

L’approche d’investissement centrée sur la chaîne de valeur n’est pas nouvelle. Il existe plusieurs recherches sur cette approche comme l’analyse des forces de Porter, qui modélise les facteurs de menace concurrentielle. C’est le type de réflexions que nous menons sur la durabilité à long terme d’une entreprise, à travers l’analyse de sa position concurrentielle forte et durable.

Souvent, les opportunités et les menaces d’une entreprise ne sont pas seulement présentes dans le secteur d’activité dans lequel elle se positionne. Nous devrions avoir une vision beaucoup plus large en pensant aux opportunités et menaces futures pour les entreprises. De fait, qui aurait pu penser que le secteur de la restauration serait concurrencé par le télétravail, lui même rendu possible des développeurs de logiciels comme Microsoft.

Ces menaces ne peuvent pas être anticipées par une approche d’investissement traditionnelle. Et vous pouvez appliquer ce raisonnement sous différents angles. Il ne s’agit pas seulement de la demande de produits, mais aussi de l’évolution du coût marginal des technologies. Le secteur énergétique représente en ce sens un exemple intéressant. Tant que les combustibles fossiles étaient moins chers que les énergies renouvelables, il n’y avait pas vraiment d’incitation pour les consommateurs à passer à autre chose.

…ne pas sacrifier les rendements en faveur la durabilité

Cela a radicalement changé aujourd’hui avec l’évolution des coûts de la production d’énergie solaire, ainsi que de la production d’énergie éolienne en mer, qui sont très compétitifs. Même les compagnies pétrolières traditionnelles ne sont plus en mesure de rivaliser en termes de coûts avec ces industries. C’est donc la logique économique qui a poussé à faire évoluer le modèle énergétique, et ceci grâce au progrès technologique et à l’innovation.

Par conséquent, cette approche de la chaîne de valeur permet aussi aux investisseurs de ne pas sacrifier les rendements en faveur la durabilité lorsqu’elle est liée au business model de l’entreprise. Cette même approche est suivie dans d’autres styles d’investissement comme le stock picking plus traditionnel ou l’investissement quant. Et ceci pour une raison claire : les investisseurs pensent qu’il existe un lien fort entre les facteurs qu’ils étudient et le rendement final du portefeuille.

Il en va de même pour l’investissement durable. Il faut examiner les facteurs qui comptent vraiment dans les business models des entreprises et qui pourraient soutenir de manière durable de forts rendements à l’avenir, lui permettraient d’éviter les risques du point de vue de la responsabilité ou, dans une perspective plus positive,  de profiter d’une très bonne dynamique.

Identifier les entreprises créatrices d’alpha durable

En fin de compte, l’évolution de l’investissement durable n’est pas très figée, nous devons nous habituer à toujours traiter de nouveaux types de données et à les intégrer. Néanmoins nous voyons dans ces développements prometteurs que les données ESG commencent à être traitées de plus en plus comme des données tout à fait nécessaires pour comprendre les business models et pour obtenir une image complète des risques et des opportunités d’un investissement.

La durabilité n’est donc pas seulement déterminée par les mauvaises pratiques passées des entreprises, mais il s’agit surtout de se faire une idée de ce que sont réellement les motivations intrinsèques d’une entreprise pour aller de l’avant en matière de durabilité. Les données ESG, leur intégration, l’étude et la perspective prospective sur ce sujet, font de plus en plus partie de ce que nous avions l’habitude de faire avec les mesures financières traditionnelles.

Il s’agit de les collecter, de les rendre efficaces et de les mettre en œuvre dans un portefeuille d’investissement. Et nous sommes convaincus que tant qu’il y aura des changements et des améliorations en matière de durabilité, cela créera des opportunités d’alpha supplémentaire du point de vue de l’investisseur.

Hendrik-Jan Boer - Neuberger Berman

Gérant principal des stratégies Global et European Sustainable Equity

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