Les récents bouleversements mondiaux vont-ils pousser l’ESG à se renouveler ?

Responsabilité sociale - A l’image de la volatilité sur les marchés financiers, l’ESG, et avec lui l’investissement socialement responsable, connaissent une période agitée depuis le début de l’année, marquée par des scandales notoires et un environnement géopolitique qui soulèvent de nouvelles interrogations. Les éclairages des Experts de Sycomore AM...

Faudrait-il envisager de soutenir l’industrie de production d’électricité à partir de charbon pour préserver l’indépendance énergétique de l’Europe et l’accès à l’énergie pour tous ? Le conflit russo-ukrainien justifie-t-il de participer au financement de l’industrie de l’armement sous couvert de la défense de la démocratie ? L’analyse extra-financière aurait-elle dû permettre de déceler les failles du modèle d’Orpea ? Des débats qui font couler beaucoup d’encre ces derniers mois, au point, parfois, de suggérer une remise en question profonde de l’ESG.

Précisons que si le conflit russo-ukrainien a joué un rôle de catalyseur sur ces sujets, le changement de régime entamé sur les marchés financiers a également sa part de responsabilité. L’environnement profitait, en effet, jusqu’alors aux entreprises de croissance et de qualité, parmi lesquelles une grande majorité des entreprises aux meilleures pratiques ESG, qui bénéficiaient donc de valorisations élevées.

Mais, alors que les banques centrales entamaient un virage à 180° de leur politique monétaire, une rotation sectorielle s’est opérée, favorisant davantage les secteurs cycliques et les performances des fonds ISR ont eu tendance à en pâtir jusqu’à l’apparition des craintes d’un ralentissement économique.

Guerre en Ukraine et énergies fossiles

Une étude menée par Berenberg en 2022 auprès de 200 sociétés de gestion d’actifs montre que le conflit en Ukraine semble avoir incité ces dernières à revoir leur stratégie en matière d’investissement dans les énergies fossiles : alors que 50% d’entre elles les excluaient déjà toutes de leurs portefeuilles (contre 15% qui ne les excluaient pas du tout), plus de 45% des sociétés interrogées affirment aujourd’hui avoir durci leur politique d’exclusion en la matière.

Pourtant, la crise énergétique illustre parfaitement, selon nous, le fait que l’on ne peut pas débrancher du jour au lendemain le système énergétique actuel, ancien et très complexe, et qu’il faut nécessairement passer par une période de transition. Cela conforte notre choix d’une politique d’exclusion qui laisse la place aux acteurs ayant enclenché une transition que nous jugeons crédible, tout en accompagnant leur transformation.

Ces entreprises affichent leur volonté de faire évoluer leurs pratiques, grâce à l’allocation de leurs Capex ou de leurs Opex, en modifiant leurs portefeuilles d’activités. A nous de nous assurer que leurs paroles se transforment en actes.

Pour évaluer ces plans de transition, nous nous appuyons sur une expertise interne et des métriques innovantes, développées depuis près de 15 ans, mais aussi sur des acteurs externes telles que Climate Action 100+ dont le « net zero benchmark » nous donne des repères objectifs.

L’entreprise a-t-elle établi des objectifs à court et moyen termes, au-delà de ses ambitions « net zero » à horizon 2050 ? Ces objectifs sont-ils quantifiés en absolu ou en intensité ? Sont-ils associés à une allocation du capital cohérente, en matière d’investissements matériels notamment ? Les enjeux de la transition juste sont-ils pris en compte ? Voilà le type de questions auxquelles nous devons pouvoir répondre pour décider d’investir ou non dans ces entreprises dites « brunes ».

L’armement et l’ESG

Selon la même étude menée par Berenberg en 2022, un tiers des sociétés de gestion d’actifs interrogées a choisi de durcir sa politique d’exclusion des entreprises du secteur de l’armement, un autre tiers l’a au contraire assouplie et un dernier tiers n’y a pas apporté de modification. Notons que 25% de ces sociétés excluent tout le secteur de l’armement et 35% ne l’excluent pas du tout.

Les positions sont naturellement bien différentes entre les Etats-Unis et l’Europe : la majorité des acteurs de l’investissement qui ont choisi d’adoucir leur politique sur le sujet sont des sociétés américaines. Celles qui sont devenues plus strictes sont, au contraire, majoritairement européennes et anglaises.

Pour nous, le sujet ne fait aucun débat : le secteur de l’armement est strictement incompatible avec une approche ESG. Nous nous référons simplement aux droits humains, à la déclaration universelle des droits de l’homme et, en particulier, à l’article 3 qui dit que tout individu a droit à la vie, à la liberté et à la sûreté. Les études montrent toujours que l’inflation dans l’armement est source de plus de violence, d’insécurité et de mortalité, déstabilise les institutions et nuit au développement économique et à l’éradication de la pauvreté.

Notre conviction est d’autant plus forte qu’il est impossible de maîtriser le cycle de vie et l’utilisation finale des produits vendus par les entreprises du secteur : qui seront les utilisateurs finaux ? Quelle sera la situation géopolitique à T+1 d’un territoire où ces produits sont vendus à l’instant T ?

Nous en avons l’exemple parfait avec la Russie, où sont actuellement utilisés dans la guerre contre l’Ukraine des matériels produits par Thales — des systèmes de navigation et des caméras thermiques — vendus entre 2014 et 2020 à un pays qui, jusqu’à l’invasion de la Crimée, était encore considéré comme allié et où l’Etat français autorisait donc la vente d’armes.

Outre le fait que le « secret défense » est inconciliable avec l’exigence de transparence d’une gestion ISR, il y a en plus, selon nous, un manque d’additionnalité dans le financement privé du secteur de l’armement qui bénéficie déjà de budgets gouvernementaux.

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