ISR : en Chine, des prisonniers au service de la mode

Responsabilité sociale - Cet été, 180 organisations non gouvernementales (ONG) ont lancé un appel à l'industrie du textile. Les ONG dénoncent le travail forcé des OuÏghours dans les champs de coton, dans la région du Xinjiang en Chine. Comment cet enjeu social s'est-il imposé dans le paysage de l'ISR ? François Lett, Directeur du développement éthique et solidaire chez Ecofi Investissements.

H&M, Zara, Lacoste, Nike, C&A, Adidas, Calvin Klein, Gap, Ikea… Ces marques et vingt-neuf autres ont été mises à l’index, fin juillet 2020, par une coalition de 180 ONG pour leurs liens avérés avec des entreprises sous-traitantes du textile qui utilisent la main‑d’œuvre gratuite des Ouïghours emprisonnés par le gouvernement chinois.

Un vêtement en coton sur cinq

Le rapport de la « Coalition pour mettre un terme au travail forcé dans la région ouïghoure » est en effet accablant et l’accusation sans appel : « la quasi-totalité de l’industrie du prêt-à-porter mondiale profite du travail forcé des Ouïghours et des turcophones musulmans », de même « qu’un vêtement en coton sur cinq vendu dans le monde contient du coton ou du fil produit dans le Xinjiang », région du nord-ouest de la Chine.

Les autorités y sont accusées d’avoir — au nom de la lutte antiterroriste — mis sur pied des programmes de travail forcé et d’internement à grande échelle. Pékin dément cependant ce chiffre et parle de « centres de formation professionnelle », destinés à soutenir l’emploi et à combattre l’extrémisme religieux. D’1 à 2 millions de personnes seraient concernées. Les détenus sont pour beaucoup forcés de travailler dans des champs ou des usines pour de très faibles salaires, voire sans rémunération du tout.

La Chine est plus le gros producteur de coton au monde, et 84 % de sa production totale provient du Xinjiang, précise le rapport. Un coton qui est souvent ensuite acheminé vers les usines de prêt-à-porter du Bangladesh, du Cambodge ou du Vietnam, où certaines de ces usines approvisionnent le monde entier, notamment en masques et autres équipements médicaux

Lutter contre le travail forcé

« On ne peut plus ignorer ce qui se passe au Xinjiang », estime Nayla Ajaltouni, coordinatrice d’ « Ethique sur l’étiquette », l’une des 180 ONG à l’origine de l’appel dans Libération. « Quand le Rana Plaza s’est effondré au
Bangladesh en 2013, les entreprises ont dit : on ne savait pas qu’on fabriquait à cet endroit. C’est vrai, et c’est bien le problème ; continuer à produire au Xinjiang est, au mieux, irresponsable, au pire complice
», prévient-elle.

Les 180 ONG demandent ainsi aux multinationales de rompre tous les liens avec les entreprises impliquées dans le travail forcé ; de mettre fin à l’approvisionnement en coton, en fil, en textile et en produit finaux issus du travail des Ouïghours ; mais aussi d’interdire d’employer des personnes ouïghoures, d’origine turque ou musulmane, envoyées dans le cadre du programme de transfert de travailleurs forcés du gouvernement chinois.

« Un des vrais défis est que les chaînes d’approvisionnement en vêtements sont maintenant si complexes que les entreprises ne savent même pas nécessairement qui sont tous leurs fournisseurs », analyse Sophie Richardson, spécialiste de la Chine chez Human Rights Watch.

Quels risques en termes d’image ?

La mobilisation massive des Français et l’interpellation de certains députés européens ont contribué à briser l’indifférence. Ainsi, par exemple, les marques Tommy Hilfiger et Calvin Klein ont-elles réagi et s’engagent à mettre fin à toute relation commerciale avec les fournisseurs mis en cause.

« Cher Monsieur Glucksmann, nous avons été informés de votre intérêt pour la situation signalée à Xinjiang (…) Nous mettrons fin dans les 12 prochains mois à toute relation commerciale avec des fournisseurs qui produisent des vêtements ou du tissu, ou utilisent du coton cultivés au Xinjiang », a fait savoir Samantha Critchell, vice-présidente de PVH, groupe auquel appartiennent Tommy Hilfiger et Calvin Klein.

Preuve que les enjeux sociaux pèsent de plus en plus sur le risque de réputation des marques.

François Lett - Ecofi

Directeur du développement éthique et solidaire

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