Energie : sous la pression de l’Etat et des ONG, ENGIE renonce au gaz de schiste

Responsabilité sociale - En France, le secteur de l'énergie adopte peu à peu les principes du développement durable. Cet automne, le groupe Engie renonce ainsi à un gros contrat d'extraction de gaz de schiste avec un partenaire américain. Quels sont les mécanismes à l'œuvre derrière cette décision stratégique ? L'éclairage de François Lett, Directeur du département éthique et solidaire chez Ecofi.

Le groupe français Engie vient de renoncer début novembre à un contrat de près de 7 milliards de dollars avec la société américaine NextDecade pour importer du gaz naturel liquéfié (GNL) sur une durée de vingt ans. Alors qu’au sortir de l’été le combat Suez-Veolia monopolisait l’attention médiatique, l’Etat français — premier actionnaire d’Engie avec plus de 23 % du capital et 34 % des droits de vote — a signifié son désaccord dans le cadre feutré du conseil d’administration, sur cet approvisionnement.

Ce dernier reposait sur l’extraction de gaz de schiste par fracturation hydraulique, pratique interdite en France, et d’autant plus inacceptable que les pouvoirs publics venaient de s’engager à ne plus apporter de garanties publiques de crédit sur des projets de gaz ou de pétrole de schiste. Parallèlement la France avait annoncé l’objectif de neutralité carbone en 2050, ce qui nécessite de réduire significativement la part du gaz fossile dans le mix énergétique.

Réticences en interne

L’annonce de ce projet avait suscité de fortes réticences en interne, en raison de la rupture indéniable que ce contrat aurait généré avec l’image de champion de la transition énergétique prônée par le groupe. Avec cet accord, la France aurait également basculé au premier rang des importateurs européens de gaz de schiste, juste devant l’Espagne.

Par ailleurs, les fuites de méthane — gaz à effet de serre dont le potentiel de contribution au réchauffement climatique est estimé à plus de 80 fois celui du dioxyde de carbone (CO2) — sont également très courantes sur les sites américains.

Transition énergétique

Ce projet avait alimenté les critiques des opposants à Jean-Pierre Clamadieu, Président du Conseil d’Administration d’Engie, l’accusant de procéder à un « tournant brun » orienté vers les énergies fossiles. Ce dernier s’était défendu en assurant que l’origine de cette négociation remontait à l’époque de l’ancienne directrice générale Isabelle Kocher. Le groupe NextDecade tenait pourtant beaucoup à ce contrat, qui aurait permis de financer en grande partie le terminal GNL de Rio Grande au sud du Texas.

« Ce refus d’Engie et du gouvernement de se rendre complices des ravages liés au gaz de schiste américain est une bonne nouvelle », se réjouit Lorette Philippot, chargée de campagne aux Amis de la Terre. Auparavant, le député Ecologie-DémocratieSolidarité, Matthieu Orphelin, avait déclaré « il serait incompréhensible et inacceptable qu’Engie, qui se présente comme un champion de la transition énergétique et dont l’Etat français possède un tiers des droits de vote, signe un contrat d’importation de gaz de schiste, qui est un désastre pour le climat. »

Revirement de tendance

Immédiatement après cette rupture des négociations, une vingtaine de parlementaires américains républicains ont écrit à Emmanuel Macron. Ils dénoncent l’intervention de l’Etat français dans ce dossier et demandent de privilégier les achats de gaz de schiste américain, plutôt que celui vendu par la Russie. Les exportations américaines de gaz vers l’Europe avaient bondi de plus de 200 % en 2018 et 2019.

Ces nouvelles pressions environnementales, ainsi que la mise en œuvre de la directive européenne sur la taxonomie des secteurs « durables » en mars 2021 — qui va bannir le gaz de schiste des investissements socialement responsables — risquent de provoquer un violent revirement de la tendance… Et auraient donc placé Engie sur la liste rouge des investisseurs responsables.

François Lett - Ecofi

Directeur du développement éthique et solidaire

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