Ophélie Mortier & Matthew Welch – DPAM : « Le marché français des obligations vertes est particulièrement dynamique »

Responsabilité sociale - Quelles perspectives de croissance pour les obligations vertes ? Y a-t-il des points de vigilance à examiner avant d'investir ? Ophélie Mortier, stratégiste investissement responsable, et Matthew Welch, spécialiste investissement responsable chez DPAM, répondent en exclusivité au Courrier Financier.

A l’heure du réchauffement climatique, les obligations vertes financent des projets qui contribuent à la transition écologique. Investisseurs institutionnels, gestionnaires d’actifs, gérants de portefeuilles diversifiés, ou encore particuliers… La classe d’actifs connaît un fort développement en Europe et dans le monde. Quelles perspectives de croissance pour les obligations vertes dans les années à venir ? Ophélie Mortier, stratégiste investissement responsable, et Matthew Welch, spécialiste investissement responsable chez Degroof Petercam Asset Management (DPAM), répondent aux questions du Courrier Financier.

Le Courrier Financier : Comment se définit une obligation verte au regard de la taxonomie européenne ?

Ophélie Mortier & Matthew Welch - DPAM : obligations vertes, « le marché français est particulièrement dynamique »
Ophélie Mortier

Ophélie Mortier & Matthew Welch : Les obligations vertes ou green bonds sont des titres de dette, émis par une entreprise privée ou une entité publique pour financer ses activités ou projets ayant un bénéfice environnemental. L’intérêt pour l’émetteur est d’attirer des investisseurs — parfois nouveaux — tout en bénéficiant de retombées positives en termes d’image. L’avantage pour l’investisseur est de financer des activités qui contribuent au développement durable et qui sont donc moins exposées aux risques climatiques, tout en espérant un retour financier.

Ophélie Mortier & Matthew Welch - DPAM : obligations vertes, « le marché français est particulièrement dynamique »
Matthew Welch

Lors de l’analyse des obligations vertes, nous prenons en compte la taxonomie de l’Union européenne (UE) lorsque les émetteurs définissent leurs seuils d’utilisation des produits, c’est-à-dire l’identification des projets auxquels les fonds de l’obligation verte seront alloués. Depuis le développement de la taxonomie européenne, nous constatons que la majorité des cadres des entreprises de l’UE font un lien avec les objectifs de cette taxonomie. Une minorité d’émetteurs commence également à utiliser les seuils des critères de sélection techniques de la taxonomie qui ont déjà été publiés.

Cet alignement sur la taxonomie est également une condition préalable à l’adhésion aux normes européennes sur les obligations vertes publiées en 2021. Nous constatons donc que le nombre d’émetteurs s’alignant sur les critères de sélection techniques augmente. Cela se concrétise par la publication de nouveaux cadres d’obligations vertes, qui adhèrent aux nouveaux seuils de la taxonomie de l’UE parmi les multiples émetteurs. 

Lorsque nous examinons les émetteurs hors de l’UE, nous considérons également la taxonomie de l’UE comme le meilleur exemple à suivre. Néanmoins, nous ne pouvons pas nous attendre à ce que les émetteurs hors de l’UE respectent les mêmes normes que les sociétés actives au sein de l’UE. C’est pourquoi nous utilisons également d’autres taxonomies, telles que le Catalogue chinois des projets approuvés pour les obligations vertes (Chinese Green Bond Endorsed Projects Catalogue), pour évaluer les ambitions écologiques des cadres des obligations vertes étrangères. 

C.F. : Quelles perspectives de croissance pour les obligations vertes dans les cinq ans à venir ?

O.M. & M.W. : Le marché français des obligations vertes est particulièrement dynamique : il a représenté 14 % des montants émis dans le monde au premier semestre 2019. L’entreprise française Engie est le premier émetteur privé mondial sur la même période. La France est un des premiers États à avoir émis une obligation souveraine verte, en 2017, pour un montant initial de 7 milliards d’euros.

Les obligations vertes représentent toujours la majorité du marché des obligations durables, mais d’autres types d’obligations rattrapent leur retard, comme les obligations liées à la durabilité (SLB) en 2021. La croissance de ce type d’obligations devrait se poursuive dans les années à venir, avec un nombre croissant d’entreprises fixant des objectifs fondés sur la science pour leurs émissions de gaz à effet de serre (GES), qui peuvent facilement être transposés dans un cadre SLB.

Selon les prévisions, plus d’un tiers de toutes les émissions d’entreprises de qualité en euros se feront sous un label ESG. Tant au niveau des émetteurs qu’au niveau sectoriel, nous constatons une diversification accrue, ainsi qu’une meilleure profondeur du marché et une plus grande liquidité. Si nous examinons les données mensuelles les plus récentes, les obligations vertes affichent un taux de croissance de 50 % en glissement annuel — tandis que les SLB sont en hausse de 185 %.

Le total des émissions d’obligations vertes en 2022 devrait dépasser la barre des 1 000 milliards de dollars au niveau mondial. Le marché mondial actuel des obligations vertes est de 1,8 trillion de dollars. Sur une période de 5 ans, il y a bien sûr une limite à ces taux de croissance extraordinaires, mais attention à ne pas être trop pessimistes, étant donné que les besoins d’investissement réels pour lutter contre le changement climatique sont encore plusieurs fois supérieurs aux niveaux d’émission observés sur les marchés de la dette ESG.

C.F. : Quels sont les biais actuels qui restreignent leur développement ?

O.M. & M.W. : Il n’y a pas beaucoup de limitations inhérentes au développement du marché des obligations vertes. Il s’agit d’obligations à affectation du produit, de sorte que la capacité du bilan à trouver des investissements climatiques efficaces est le principal facteur limitant.

Comme nous l’avons déjà mentionné, la maturation du marché en fait une véritable alternative pour de nombreux investisseurs obligataires, mais il est probable que certains biais structurels subsistent sur le marché — par exemple les inclinaisons sectorielles (services publics et immobilier) et un profil de durée supérieur à celui du marché si nous choisissons une solution d’investissement passive pour accéder à ce marché.

Nous observons que l’augmentation de l’offre limite lentement mais sûrement ce que l’on appelle le « greenium » sur le marché, qui est souvent mentionné comme un facteur limitant dans les enquêtes auprès des investisseurs.

C.F. : Y a-t-il des points de vigilance à respecter avant d’investir en obligations vertes ?

O.M. & M.W. : Lorsque vous investissez dans une obligation verte, il existe des contrôles précis à effectuer afin de préserver la qualité verte de l’obligation. Voici certains d’entre eux :

  • le cadre de l’obligation verte bénéficie-t-il de l’avis d’un tiers émanant d’un fournisseur réputé ? 
  • l’obligation verte adhère-t-elle à des normes internationalement reconnues, telles que les principes de l’ICMA ou le CBI ?
  • les catégories d’investissement sont-elles correctement énumérées dans le cadre ? Chaque catégorie est-elle clairement délimitée ?
  • quelle est la durée de la période de rétrospection pour les investissements et quelle proportion du produit sera allouée à un projet déjà achevé ? Les obligations vertes qui ne font que refinancer des projets ont un niveau d’additionnalité plus faible ;
  • les différentes catégories sont-elles clairement délimitées ? L’émetteur explique-t-il pourquoi certains seuils sont choisis pour délimiter une catégorie et ces seuils sont-ils alignés sur une taxonomie — de préférence celle de l’UE, car c’est la plus stricte ? 
  • l’émission portera-t-elle sur toutes les catégories d’obligations vertes ? Très souvent, les émetteurs rédigent le cadre le plus large possible avec de nombreuses catégories différentes, mais seules certaines d’entre elles sont utilisées.

Mathilde Hodouin - Le Courrier Financier

Rédactrice en chef (janvier 2019 - février 2024)

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