Epargne : le nouveau régime des placements atypiques

Patrimoine - La crise financière de 2008-2009 ainsi que la baisse des taux d’intérêt depuis 2012 ont favorisé l’émergence de nouveaux produits d’épargne dits alternatifs ou atypiques qui peuvent reposer sur des indices, des monnaies ou sur des biens divers.

Par nature, le champ de ces produits est large et il n’est pas aisé d’en donner une définition. Un placement alternatif n’est pas un placement classique. Au-delà, de cette litote, il est toujours très difficile de définir ce type de produits d’épargne. Les frontières
entre placements traditionnels – actions, obligations, titres, parts, immobiliers – et placements alternatifs sont poreuses. Ainsi, le FOREX qui permet d’accéder au marché des changes est partie prenante des marchés financiers mais est qualifié de placements alternatifs. Il en est de même avec le trading sur Internet. Il en est de même pour les achats de matières premières ou d’énergie. Le crowdfunding est
également présenté comme un outil alternatif de financement et d’épargne.

Par nature, les placements alternatifs sont moins transparents et moins liquides.
En contrepartie, ils sont censés offrir une source de diversification du risque, car ils sont réputés moins corrélés aux classes d’actifs traditionnelles. Les intermédiaires mettent souvent en avant les gains importants attendus. Plusieurs scandales ont conduit le législateur à renforcer la réglementation en vigueur et à instituer un contrôle sur les entreprises proposant ce genre de produits.Selon un sondage CSA, commandé par l’AMF en de 2015, 22 % des sondés déclarent avoir été démarchés pour investir sur des placements « FOREX », « options binaires », « trading sur Internet ». 6 % ont déclaré avoir accepté une des offres qui leur étaient proposées et 5 % ont indiqué avoir été victimes d’une « arnaque ». 20 % des Français ont été sollicités pour faire des placements dans des biens divers, 5 %
ont investi dans de tels produits et 2 % ont été victimes d’une escroquerie. 80 % des épargnants concernés par un problème se sentent floués dans le sens où « ils n’ont pas touché la rémunération qu’ils attendaient ou n’ont pas été avertis des risques et ont perdu leur épargne ». L’AMF a publié une étude sur le FOREX et les pertes dégagées par les épargnants particuliers.

Une grande partie des placements alternatifs repose sur des biens physiques qui ne sont pas vendus dans le cadre de marchés réglementés.
Qu’il s’agisse de parchemins, de diamants, de forêts, de bouteilles de vin, de voitures de collection, de conteneurs, de boissons alcoolisées, de plantations de teck ou d’autres bois tropicaux, immobilier dans les pays exotiques ou encore de panneaux de parcs solaires, la plupart des placements alternatifs ont en commun le fait que l’investisseur devient propriétaire du produit sous-jacent (bien mobilier ou immobilier), et le donne ensuite en garde. De ce fait il n’en a pas lui-même la jouissance… Par ailleurs, pour que ces investissements soient assimilés à un placement dans le sens financier du terme, le gestionnaire ou l’intermédiaire doit s’engager sur un rendement, une rente, une rémunération. Acheter une voiture de collection ne constitue pas, en soi, la réalisation d’un placement même si cela peut l’être. En revanche, quand un vendeur de voitures de collection vous promet que l’achat générera un rendement de 10 % ou une plusvalue
de 30 %, il s’engage sur un rendement et propose donc un placement.

Le législateur afin de protéger les épargnants a pris, de longue date, des mesures visant à encadrer les placements sur biens divers.

Les premières dispositions datent de la loi n°83-1 du 3 janvier 1983 sur le développement des investissements et la protection de l’épargne qui s’est intéressée aux règles de commercialisation des biens divers. Avait été alors créé « le statut d’intermédiaire en biens divers » au sein du Code monétaire et financier. La définition était vague car la dénomination était supposée concerner toute personne physique ou
morale qui proposait des opérations sur des produits d’investissement atypique, nommés « biens divers ». De ce fait, de nombreux intermédiaires échappaient à la réglementation et à la surveillance des autorités de contrôle.

Ce dispositif a été complété par la loi n° 2013-344 du 17 mars 2014 dite loi Hamon relative à la consommation. Enfin, la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016 dite loi Sapin II relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique contient plusieurs dispositions qui augmentent les pouvoirs de l’Autorité des Marchés Financiers (AMF).

La loi Hamon a défini les intermédiaires en biens divers comme « toute personne qui propose à un ou plusieurs clients ou clients potentiels d’acquérir des droits sur un ou plusieurs biens en mettant en avant la possibilité d’un rendement financier direct ou indirect ou ayant un effet économique similaire ». Elle distinguait deux catégories d’intermédiaires de biens divers auxquels elle appliquait deux régimes différents. La loi Hamon définit le contenu des opérations et non les biens couverts.

Le premier régime concerne toute personne qui, directement ou indirectement, propose, à titre habituel, à un ou plusieurs clients, l’acquisition de droits sur des biens mobiliers ou immobiliers avec les caractéristiques suivantes :

 L’intermédiaire assure, pour le compte de ses clients, la gestion des produits proposés ;
 les acheteurs souscrivent un contrat offrant une faculté de reprise ou d’échange avec une revalorisation du capital investi ;
 les acheteurs versent de l’argent à l’intermédiaire afin qu’il effectue la gestion de biens divers.

Ces intermédiaires sont soumis à un régime spécifique. Ils doivent être constitués sous forme d’une société anonyme avec un capital minimum associé. Ils doivent respecter des règles de transparence au niveau de leurs comptes qui doivent être annuellement certifiés. Les communications promotionnelles font l’objet d’un contrôle à priori par l’AMF avant tout démarchage de clients.

Le deuxième régime dit régime simplifié concerne toute personne qui propose à un ou plusieurs clients ou clients potentiels d’acquérir des droits sur un ou plusieurs biens en mettant en avant la possibilité d’un rendement financier direct ou indirect. Les biens sont alors possessions du client. L’AMF a la faculté de requalifier des entreprises qui proposent des formules de rachat et qui entrent de ce fait dans le premier régime plus contraignant. Néanmoins, de nombreux intermédiaires ont joué avec la réglementation pour bénéficier du régime simplifié.

Ces intermédiaires n’avaient, avant la loi « Sapin II », aucune obligation au moment de leur constitution. Ils étaient néanmoins soumis à un contrôle a posteriori de leurs communications promotionnelles par l’AMF.

La loi « Sapin II » a étendu le contrôle a priori des communications promotionnelles aux intermédiaires en biens divers soumis au seul régime allégé. Désormais, les deux régimes (normal et allégé) sont soumis à ce contrôle a priori.

Les documents d’information doivent comporter toutes les indications utiles à l’information des investisseurs, une description de la nature et de l’objet de l’opération, l’identité de l’initiateur de l’opération et des personnes chargées de la gestion des biens, les frais mis à la charge des épargnants et les modalités de revente des droits et des biens acquis.

La loi « Sapin II » a également modifié le régime du contrôle a priori des documents promotionnels. Les projets de documents d’information et de contrats types doivent être déposés, préalablement à tout démarchage, auprès de l’AMF.

L’ensemble des intermédiaires en biens divers impliqués dans le montage et la réalisation de l’opération (initiateurs de l’opération, personnes recueillant les fonds des investisseurs ou gestionnaires de biens) devront présenter des garanties minima adaptées à la nature de l’opération proposée relativement à leur organisation, leur honorabilité, compétence et expérience, l’absence de conflits d’intérêts de nature à porter atteinte à l’intérêt des investisseurs et prouver la souscription d’une assurance responsabilité civile professionnelle.

L’intermédiaire en biens divers devra déposer un dossier auprès de l’AMF qui sera soumis à enregistrement. La Loi Sapin II a également renforcé le pouvoir de sanction de l’AMF. Dans le passé, l’autorité de contrôle avait déjà fait usage de son pouvoir de sanction en prononçant des amendes allant de 4 500 euros à 1 million d’euros dans l’affaire Marble Art Invest considérant que la réglementation relative aux intermédiaires en bien divers s’appliquait à ce réseau de vente d’art contemporain, mettant en avant une plus-value garantie d’au moins 4 %.

Jean-Pierre Thomas

Président du Cercle de l'Epargne

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