A l’heure du « America First », l’Union Bancaire à la croisée des chemins

Patrimoine - Avec l'application de la politique de Donald Trump qui allège la réglementation financière, l'Union Bancaire doit s’adapter pour défendre son modèle et la place de l’Europe sur l’échiquier mondial. Adil Lahlou, consultant pour le cabinet de conseil Groupe Square, livre son analyse.

En ce début d’année 2019, encore chargée sur le plan réglementaire pour les banques européennes, on assiste aux Etats-Unis à un mouvement inverse avec une déréglementation unilatérale. Plus de dix ans après la crise financière, Européens et Américains s’opposent sur la régulation bancaire, au risque de mettre en danger la stabilité financière mondiale.

En Europe, une Union Bancaire applique les accords de Bâle

En instaurant une Union Bancaire au lendemain de la crise de 2008 et de la crise de la dette souveraine qui a suivi, les Européens ont fait un pas en avant vers une véritable Union économique et monétaire. Elle permet aujourd’hui de superviser de façon unique l’activité des principales banques via la BCE. Le corpus réglementaire et le mécanisme de résolution sont eux aussi unifiés à l’échelle du continent. Le régulateur européen supervisera ainsi l’application des deux réglementations les plus impactantes pour l’industrie bancaire cette année : le FRTB et le MREL.

La réforme des risques de marché (le FRTB – Revue Fondamentale du Trading Book) permettra de mesurer de la manière la plus juste possible les risques encourus par l’activité de négociation des banques, afin d’en déduire les montants de capitaux propres nécessaires pour y faire face. Lors de la crise des subprimes, les CDS (Credit Default Swap) ont fait apparaître du risque de crédit dans le trading book (portefeuille de négociation) des banques, alors que ce dernier n’avait ni les moyens, ni la vocation à mesurer ce risque. Avec le FRTB, la frontière sera plus claire entre le banking book (portefeuille bancaire) et le trading book.

La mise en œuvre du ratio d’exigence minimale de fonds propres et passifs exigibles (MREL) sera aussi au programme en Europe. Celui-ci permettra aux autorités européennes de s’assurer que les banques ont un coussin de sécurité en fonds propres suffisamment important pour absorber les pertes en cas de défaut. L’objectif est de ne surtout pas avoir recours aux contribuables pour les recapitaliser et d’assurer l’équilibre du système financier. Ces nouvelles exigences vont entraîner pour les banques européennes des niveaux de capitaux propres supérieurs et des investissements significatifs dans les systèmes d’information pour mettre à jour les calculs de risques.

Aux Etats-Unis, Donald Trump allège la réglementation financière

Tout comme sur les accords sur le climat ou le libre-échange, les Etats-Unis se désengagent progressivement des traités réglementaires financiers internationaux, au nom du « America First ». Ainsi est-il question de remettre en cause des règles finalisées à Bâle, comme le FRTB. Un récent rapport du ministère des finances américain recommande de différer l’application des nouvelles règles imposées aux banques du pays en matière de liquidité, de capital, d’endettement et de levier. Il y est peu question de stabilité financière et de prévention des crises. En résumé, les standards internationaux ne doivent être appliqués que s’ils répondent aux besoins des Etats-Unis.

Au niveau national, le démantèlement du Dodd Frank Act, adopté en 2010 au lendemain de la crise financière, est en cours. Couvrant environ 1 000 pages et signé pendant la présidence Obama, il est considéré comme le plus gros changement réglementaire depuis le New Deal. En mai dernier, une loi assouplissant la régulation bancaire américaine a été signée. Elle réduit de 38 à 12 le nombre de banques soumises aux tests de résistance annuels menés par la Fed (Réserve fédérale), en faisant passer le seuil de 50 à 250 milliards de dollars d’actifs à partir duquel ces tests s’appliquent.

Cette déréglementation unilatérale est considérée comme préoccupante par l’Union bancaire, tant du point de vue de la stabilité du système financier international que des conditions de concurrence entre banques américaines et européennes.

Une guerre économique entre Américains et Européens

La « compétition réglementaire » à laquelle on assiste révèle la tension permanente entre régulation des risques et recherche de la compétitivité. Il est vrai que les banques américaines et européennes n’ont pas la même structure. Aux Etats-Unis, le financement de l’économie est assuré majoritairement par les marchés financiers. Les banques n’y ont qu’un rôle d’intermédiaire. En Europe et en France en particulier c’est l’inverse, le financement est assuré par le crédit bancaire avec tous les risques que cela entraîne sur la taille du bilan des banques.

De ce fait, l’harmonisation des normes internationales n’en devient que plus complexe. Mais au-delà des débats techniques sur les niveaux de ratios de fonds propres exigibles, c’est bien une guerre économique souterraine qui se joue entre Américains et Européens. Les Etats-Unis veulent rendre leurs banques plus compétitives – et ils y parviennent. Le choix a été fait de « libérer les banques » pour qu’elles puissent « prêter de nouveau » comme l’a souhaité le président américain… au risque de commettre les mêmes erreurs que par le passé.

Dans ce contexte d’unilatéralisme affiché et dans un monde toujours plus risqué, l’Union Bancaire est à la croisée des chemins. Symbole de la coopération européenne post-crise, elle va devoir s’adapter et ne pas faire preuve de naïveté pour défendre au mieux son modèle et la place de l’Europe sur l’échiquier mondial.

Adil Lahlou - Groupe Square

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