Hugues Morel – Finnegan : PGE, « il va rester un gros volume d’octroi de crédit des petites entreprises »

Patrimoine - En 2021, la France subit encore les conséquences économiques de la crise sanitaire. Quel impact à long terme sur l'accès au crédit bancaire des entreprises ? A quels enjeux majeurs seront-elles confrontées en 2021 ? Hugues Morel, Président du Groupe Finnegan, répond en exclusivité aux questions du Courrier Financier.

Face à la crise sanitaire, la France a dégainé tout un attirail de dispositifs d’aide aux entreprises. Le 22 avril dernier, Bruno Le Maire annonçait la prolongation du prêt garanti par l’État (PGE) jusqu’à la fin de l’année. Les entreprises « pourront continuer à bénéficier du soutien des pouvoirs publics tant que des règles sanitaires leur seront imposées », a-t-il déclaré à cette occasion. Quel impact sur l’accès des entreprises au crédit bancaire ? Quels sont les enjeux 2021 pour la trésorerie d’entreprise ? Hugues Morel, Président du Groupe Finnegan (cabinet de conseil, spécialiste du secteur financier), répond en exclusivité au Courrier Financier.

C.F. : Pouvez-vous nous présenter le groupe Finnegan ? Qui sont les clients auxquels vous vous adressez ?

Hugues Morel : Finnegan est un acteur indépendant du conseil, qui s’appuie sur le savoir-faire de 350 collaborateurs en France, en Europe et en Asie. Le groupe rassemble les expertises complémentaires de trois cabinets : 99 Advisory, expert de la régulation financière, de la stratégie et de la transformation digitale ; Azzana Consulting, spécialiste des métiers du transaction banking, cash management et moyens de paiements innovants ; et 11 Management, dédié aux enjeux de digitalisation, transformation des systèmes d’information et cyber sécurité. 

Hugues Morel - Finnegan : PGE, « il va rester un gros volume d’octroi de crédit des petites entreprises »
Hugues Morel

Finnegan accompagne les décideurs du secteur de la finance dans la réussite de leurs enjeux de transformation et dans la sécurisation de l’écosystème financier. Parmi eux, figurent les cinq plus grandes banques françaises, six des premières compagnies d’assurance européennes, une centaine d’asset managers dont quinze parmi les plus gros en Europe, etc.

C.F. : En 2020, le PIB en France a reculé de 8,3 %. Quel impact sur l’accès des entreprises au crédit bancaire ?

H.M. : En 2020, le crédit bancaire était principalement lié aux prêts garantis par l’Etat (PGE). Le montant des PGE en France s’élevait à 129 milliards d’euros auprès de 630 000 entreprises de toutes tailles. En conséquence, il y a eu peu de besoins en crédit bancaire dédié à l’investissement. Les mesures de soutien à l’économie proposées par le Gouvernement à travers le PGE ont un avantage, elles rendent possible une reprise rapide de l’activité économique.

En revanche, il y a un inconvénient. Ces mesures bloquent les possibilités des entreprises à faire appel à du crédit supplémentaire, puisqu’il faut avoir remboursé son PGE pour pouvoir refaire appel à du crédit bancaire classique. C’est ce qui a conduit certaines grandes entreprises — telles que Darty, Stellantis (ex PSA) et d’autres — à annoncer qu’elles remboursaient la totalité de leur PGE dès 2021, afin de se remettre dans une dynamique d’investissement. 

C.F. : Du point de vue de Finnegan, quels sont les enjeux de la trésorerie d’entreprise en 2021 ? 

H.M. : Les enjeux diffèrent selon la catégorie d’entreprise concernée. Les entreprises mondialisées vont pouvoir s’appuyer sur leurs filiales localisées dans des zones géographiques économiquement stables, pour assainir plus rapidement leur trésorerie — notamment grâce aux résultats des 1er et 2e trimestres 2021 — et donc se désengager du PGE en France.

Les petites et moyennes entreprises (PME) quant à elles, représentent aujourd’hui environ 95 % des entreprises françaises. Elles se retrouvent de plus en plus convoquées par le tribunal de commerce, parce qu’elles ne peuvent plus faire face à leurs obligations de règlement.

C’est particulièrement le cas quand elles sont sur les secteurs complètement à l’arrêt — tourisme, hôtellerie, restauration, etc. Aujourd’hui, près de 80 % des jugements sont soldés par une liquidation directe, sans plan de redressement possible, un niveau jamais atteint depuis 20 ans. 

C.F. : Quelles mesures mettez-vous en place pour assurer la couverture du risque de crédit bancaire ?

H.M. : Nous accompagnons nos clients face à ces nouveaux enjeux. Bien que le coût du risque a été considérablement accru, l’importante prise en charge par l’Etat à travers le PGE a modéré ce risque pour les banques. Elle leur permet de n’être engagées qu’à hauteur de 10 % à 30 % de ce qu’elles ont prêté aux entreprises.

Aussi, de gros PGE vont être remboursés assez rapidement, mais il va rester un gros volume d’octroi de crédit des petites entreprises que les banques ne pourront plus aider. Cette question, désormais dans les mains du ministère de l’Economie, a poussé Bruno Le Maire à s’interroger sur des mesures pour effacer la dette de certaines TPE. Toutefois, cette solution pourrait soulever de nombreuses inégalités parmi les entreprises concernées.

C.F. : La crise accélère la digitalisation. Quels nouveaux enjeux en termes de cyber sécurité et de lutte contre la fraude ?

H.M. : Ces nouveaux enjeux sont colossaux et ont été confirmés par la Réserve fédérale américaine (Fed). Son président Jerome Powell a d’ailleurs annoncé qu’il craignait plus le risque d’une cyberattaque à grande échelle que celui d’une crise financière mondiale semblable à celle de 2008.

Nous pouvons d’ores et déjà imaginer des scénarios catastrophe où les pays qui souhaiteraient asseoir leur autorité mondiale utiliseraient la pandémie pour déclencher des cyberguerres. Ce risque est porté par la digitalisation des économies — qui ne cesse de s’accroître. Il avait été relevé comme critique, au moment où l’émergence des cryptomonnaies non règlementées représentaient une menace pour la stabilité des monnaies nationales. 

C.F. : En 2020, le secteur financier a accueilli la taxonomie européenne. Quelles conséquences sur les normes ESG ?

H.M. : La conséquence majeure est que jusque-là les professionnels abordaient les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) sous l’angle d’un engagement volontaire des entreprises, non imposé par l’Etat ou le régulateur, et donc dépendant de la volonté des dirigeants de s’investir en faveur de la finance responsable. Ces normes aujourd’hui prennent un tournant et tendent à devenir règlementaires.

Les normes ESG constituent un levier particulièrement puissant et rapide pour les entreprises du secteur financier : les décisions de financement ont une influence majeure sur l’économie mondiale, par exemple au niveau des énergies à privilégier, et sont le moteur de nombreuses solutions innovantes qui émergent quotidiennement. Désormais, les fonds qui visent un impact climatique positif devront être investis majoritairement dans des sociétés alignées avec la taxonomie européenne.

Mathilde Hodouin - Le Courrier Financier

Rédactrice en chef (janvier 2019 - février 2024)

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