Dépendance : la délicate question des restes à charge

Patrimoine - Les dépenses de dépendance sont amenées à augmenter en raison du vieillissement de la population et de la montée en âge des larges générations du baby-boom. Malgré l’acuité du problème, les données statistiques apparaissent insuffisantes et surtout ne sont pas actualisées régulièrement. Ainsi, la Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques (DREES) a, pour son étude de 2016 « Dépendance des personnes âgées : qui paie quoi ? » eu recours à des statistiques datant de 2011.

Pour déterminer les éventuels restes à charge, l’administration dénombre les plans d’aide saturés. Un plan est dit saturé quand une personne bénéficie du maximum d’aide au regard de son niveau de dépendance (GIR 1 à 4) et de ses ressources. À partir de ce plafond, la personne doit prendre directement en charge le surcroît de dépenses ou y renoncer. En retenant un seuil de saturation à 96 %, 26 % des personnes dépendantes atteignent ce taux. 32 % des personnes les plus dépendantes (GIR 1) ont des plans d’aide saturés. Les personnes les moins dépendantes (GIR 4) ne sont que 19 % à disposer de plans saturés. Les personnes seules ont traditionnellement des besoins plus importants que des couples. Elles sont plus souvent concernées par la saturation de leur plan (30 % contre 17 % pour les couples). Le taux de maturation est par ailleurs plus élevé chez les femmes seules (31 %) que chez les hommes (29 %) car elles sont, en moyenne, plus âgées et accumulent plus de problèmes de santé au-delà de 80 ans. La fréquence de la saturation augmente avec l’âge et avec le degré de dépendance.

Les plans d’aide des personnes aux revenus les plus faibles et les plus élevés sont plus souvent saturés que les autres. Les personnes modestes auraient besoin de la totalité des aides pour assurer les dépenses de dépendance quand les titulaires de revenus moyens caleraient leur plan de financement en fonction de leurs revenus. Par ailleurs, le fait qu’ils doivent acquitter le ticket modérateur pourrait les inciter à renoncer à certaines aides. Pour les revenus élevés, le taux de saturation est rapidement obtenu compte tenu du plafonnement des aides. De ce fait, ils sont rapidement au plafond, ce qui explique la remontée du taux pour les titulaires dépassant 2 000 euros de revenus mensuels.

La dépendance à domicile coûterait 9,2 milliards d’euros dont 8 milliards seraient pris en charge par les pouvoirs publics. L’évaluation est délicate à réaliser car une partie de dépenses ne serait pas comptabilisée. Il est difficile de distinguer ce qui relève de la sphère des dépenses usuelles des dépenses liées à l’état de santé de la personne concernée.

La personne dépendante à domicile peut bénéficier de l’APA et de réductions d’impôt liées à l’emploi d’une ou plusieurs personnes. En fonction de ses ressources, elle devra acquitter un ticket modérateur.

Par rapport au plan d’aide, le reste à charge moyen par mois est de 80 euros.

Pour les personnes les plus aisées, la part de la réduction d’impôt est importante quand pour les titulaires de revenus modestes, le rôle de l’APA est capital. Pour les premiers, la réduction d’impôt ne compense pas la progression du ticket modérateur. En prenant en compte les aides, le taux d’effort (part des dépenses provoquées par la dépendance par rapport à l’ensemble des revenus) s’accroît avec les revenus jusqu’à 2 900 euros par mois.

Selon la DREES, un nombre non négligeable de personnes à revenus modestes sont contraintes de renoncer à certaines dépenses du fait de l’insuffisance de leurs revenus et de la saturation de leur plan d’aide. En outre, ce renoncement serait d’autant plus important qu’il existe un décalage entre le tarif de référence servant au calcul du plan d’aide et le tarif de l’heure à domicile.

La situation des restes à charge est évidemment plus complexe pour les personnes âgées dépendantes résidant en établissement spécialisé.

En 2011, plus de 560 000 personnes étaient hébergées dans des établissements relevant de l’APA. Les personnes concernées doivent acquitter des dépenses liées à l’hébergement (chambres, nourritures, etc.) et des dépenses liées à la dépendance. Elles peuvent bénéficier d’aides au logement, d’aides sociales à l’hébergement (ASH), de l’APA et de réduction d’impôt.

11,5 milliards d’euros seraient dépensés pour l’hébergement en établissement et 3 milliards pour la dépendance. 2 milliards d’euros sont versés au titre de l’APA pour l’hébergement des personnes en perte d’autonomie. Les aides au logement représenteraient un peu moins de 500 millions d’euros. L’ASH représenterait 1,1 milliard d’euros et la réduction d’impôt représenterait 353 millions d’euros. Au total, le reste à charge est de 4,5 milliards d’euros.

Au niveau individuel, les frais de séjour s’élèvent à 2 171 euros (1 713 pour l’hébergement et 458 euros pour la dépendance). Dans ces conditions, après versement de l’APA, des aides au logement et des réductions d’impôt, le montant moyen des restes à charge des résidents d’établissement s’élève à 1 758 euros par mois avant prise en charge de l’aide sociale à l’hébergement. Le montant des aides varie en fonction des ressources. L’ASH est destinée par nature aux personnes à revenus modestes. En revanche, les personnes imposables à l’impôt sur le revenu bénéficient des réductions d’impôt. Les personnes à revenus élevés sont hébergées plus fréquemment que les autres dans des établissements privés aux tarifs élevés entraînant des restes à charge importants.

Les restes à charge dans les vingt prochaines années ne peuvent qu’augmenter avec la diminution des aidants familiaux et du fait qu’un nombre croissant de personnes très âgées seront contraintes d’être placées dans des établissements spécialisés.

L’Allemagne qui est en avance sur la France au niveau du vieillissement avait fait le pari du maintien à domicile. Or, ce choix se révèle très coûteux car il exige le développement de services à domicile (coûts de main-d’œuvre, coûts de transport) et qu’il n’empêche pas une montée des placements en établissements spécialisés en fin
de vie. Comme l’a prouvé le récent débat électoral au Royaume-Uni, la question de la dépendance et de son financement est très sensible. La réorganisation institutionnelle prévue en France avec une éventuelle fusion des départements avec les métropoles ainsi qu’avec leur regroupement devrait également avoir des incidences sur la dépendance. En effet, aujourd’hui, ce sont les Assemblées départementales qui assurent une part non négligeable du financement. Qu’en sera-t-il demain ? L’État souhaitera-t-il renationaliser ces dépenses ou en confiera-t-il la gestion à des acteurs
indépendants, privés ou publics, à but lucratif ou non et avec quelles modalités ? Pour le moment, la Ministre des Affaires sociales n’a pas encore précisé ses intentions en la matière.

Jean-Pierre Thomas

Président du Cercle de l'Epargne

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