Valorisations du marché actions : n’ayez pas peur !

Asset Management - Les valorisations du marché actions sont tendues et ressemblent à ce que l’on a connu au pic de des cycles précédents. Il n’y a donc qu’un pas à franchir : nous serions proches d’une correction, voire d’un krach boursier comme en 2001 ou 2008. La vérité nous semble plus complexe, et plus ambiguë. Même si nous reconnaissons que les valorisations sont élevées, il n’est pas clair du tout que nous soyons condamnés à vivre un krach dans un avenir proche.

Pourquoi dit-on que le marché est cher ?

Commençons, pour poser le débat, par enfoncer quelques portes ouvertes. Le graphique 1 montre le PER des marchés américains et européens. Dans le cas des marchés américains, il faut effectivement remonter à 2000 pour trouver des valorisations aussi tendues.

Dans le cas européen on est au plus haut historique, même si les PER n’ont que très peu bougés depuis trois ans. D’autres mesures de valorisation comme le price‐to‐book donnent exactement le même message.

Dans la même veine, le célébre PER de Shiller donne un message similaire avec un niveau actuel de 29x qui a été atteint précédemment en deux occasions seulement : en 1999 avant l’explosion de la bulle des dot‐com, et en 1929… Rien de bien encourageant donc. Le PER de Shiller est une valorisation du marché qui utilise des profits d’entreprise « normalisés ». Cette approche a été rendue célèbre après la publication du livre de Robert Shiller « Irrational Exuberance », en 2000. Le livre, qui prévoyait une explosion de la bulle internet, a été copieusement moqué à l’époque. La pertinence de la prévision à fait le succès du « Shiller PE ».

Nous sommes légèrement sceptiques sur le PER de Shiller pour deux raisons. D’une part il a effectivement très bien prévu la crise de 2001, mais n’a pas été d’une aide aussi lumineuse en 2008 ou durant les crises précédentes. La fiabilité n’est pas à toute épreuve. Plus important peut‐être il faut garder à l’esprit que le niveau de profit « normal » est calculé grâce à une moyenne sur les dix années passés. Le niveau « normal » inclut donc la crise financière aux Etats‐Unis et la crise souveraine en Europe. Dit autrement, ce niveau « normal » de profit est très certainement sous‐estimé à l’heure actuelle, et le PER est donc très probablement surestimé.

Pourquoi le signal n’est-il pas clair ?

Même si nous avons quelques réserves sur la mesure utilisée pour dire que le marché est cher, il reste indubitable que les valorisations sont tendues. Le point principal ici est qu’un marché action avec des valorisations tendues ne conduit pas nécessairement à une crise.

Le graphique 3 montre la performance des bourses en fonction du niveau de valorisation. Lorsque le PER est très bas, au‐ dessous de 10 c’est un signal très fort d’achat. Historiquement, en partant de ces faibles valorisations, le marché a progressé sur l’année suivante 83% du temps et a gagné en moyenne 13,6% sur l’année.

En revanche, lorsque les valorisations sont élevées, le signal est très faible. Lorsque le PE est au‐dessus de 20, le marché a progressé 59% du temps sur l’année qui a suivie, gagnant en moyenne 9%. Le signal est donc paradoxalement haussier mais avec une probabilité proche de 50%, il s’agit donc d’un signal particulièrement faible.

Nous avons essayé d’être un peu plus précis dans nos estimations. En statistique on utilise généralement des modèles qui permettent de voir la réaction d’une variable à une autre (ou plusieurs autres) : on sait que si la première variable augmente de 1%, la réaction de la seconde variable sera de x%. Ici, ce que nous cherchons à savoir c’est la probabilité de hausse du marché en fonction du PER. Pour les spécialistes : nous utilisons un modèle Logit. Le résultat est montré sur le graphique 4 et valide complètement ce que nous notions plus haut. Lorsque les PER sont faible on obtient bien une probabilité élevé d’avoir un marché haussier, plus de 80% lorsque le PER est sous 10x. Mais à mesure que le PER s’élève, le signal devient de moins en moins convaincant.

En résumé, le niveau de valorisation est effectivement un signal très intéressant sur la direction future des marchés. Mais, malheureusement, la qualité du signal n’est pas du tout symétrique. Le signal n’est pertinent que dans un cas : lorsque le marché n’est anormalement pas cher. Dans le cas présent, les valorisations ne nous permettent pas de dire grand‐chose sur la performance future.

It’s the economy stupid !

Notre conclusion n’est pas vraiment utile : tout ce que nous disons c’est qu’à l’heure actuelle les valorisations ne nous permettent pas de prévoir le marché. Nous essayons donc une autre technique. L’idée est que les marchés ne réagissent pas toujours aux mêmes variables : c’est une des faiblesses des modèles économétriques qui utilisent les mêmes relations dans toutes les circonstances. Ici, nous utilisons une méthode qui permet de construire un arbre de décision. L’idée est la suivante : on donne un certain nombre de variables au programme et il choisit celles qui sont pertinentes pour prévoir les mouvements de marché.

Le résultat est montré sur le graphique 5. La première branche, et donc le premier élément de décision est de savoir si les PER sont supérieurs à 16.

  Si les PER sont inférieurs à 16, le programme redécoupe les performances en deux : un PER très faible, soit au‐dessous de 7,6 est associé à une très forte performance du marché, 28% en moyenne sur un an. Dans le cas d’un PER plus moyen (supérieur à 7,6 donc mais inférieur à 16,0), avec des performances honorables de 10% sur un an.

  Si les PER sont élevés, donc au‐dessus de 16, la branche de gauche sur le graphique, ce qui est important est de savoir où est le cycle de bénéfices. Dans le cas où les bénéfices sont au‐dessus de leur tendance de long terme (17% pour être précis), le marché perd en moyenne 13% sur l’année suivante. Si les bénéfices ne sont pas excessif au vue de leur historique, le marché continue à progresser mais marginalement.

On voit bien ce qui se passe. Lorsque le marché est cher mais que les bénéfices des entreprises restent modestes, il y a un potentiel de normalisation des bénéfices, ce qui peut valider, ex‐ post les valorisations. En revanche lorsque le marché est cher et que, en même temps les bénéfices sont largement au‐dessus de leur tendance normale, le potentiel de déception est élevé, et donc en moyenne le marché a tendance à corriger. Il est très difficile pour les entreprises de fournir des chiffres qui valident les attentes de marché.

A l’heure actuelle les bénéfices des entreprises sont élevés, mais restent en deçà de leur tendance de long terme. En restant dans les limites strictes du modèle, on devrait donc s’attendre à une progression de la bourse, certes modeste, mais pas à un krach. Plus généralement l’idée est que dans un contexte actuel c’est l’économie qui prime, ou plutôt la micro‐économie et que tant que les bénéfices des entreprises tiendront, le marché continuera sa progression. C’est notre scénario central, avec une croissance économique stable, des entreprises qui savent maintenir leurs marges, nous pensons que les bénéfices resteront bien orientés sur les trimestres qui viennent.

En résumé : lorsque les valorisations sont très basses les fondamentaux ne comptent pas, ou plus. Dans ce cas il y a tellement de mauvaises nouvelles dans les prix des actifs, que le rebond est quasiment assuré. Lorsque les valorisations sont hautes, elles ne comptent plus, et les fondamentaux priment. Il faut une validation des prix élevés par des niveaux de profits robustes.