Si PDVSA chute, c’est le Venezuela qui s’effondre dans la minute

Asset Management - La question n’est pas de savoir si le Venezuela va faire défaut, mais plutôt de savoir quand cela va se produire. Le contexte interne, marqué par une hyperinflation à trois chiffres, une baisse des rentrées fiscales du fait de l’effondrement du prix du baril de pétrole et une crise politique entre l’Assemblée et le gouvernement, laisse peu d’espoirs sur la capacité de l’Etat à honorer le paiement de sa dette. D’ici à 2020, le pays doit rembourser 30% de la dette extérieure arrivant à échéance au cours des 23 prochaines années. Un défi digne des douze travaux d’Hercule.

L’allié chinois se dérobe

L’Etat possède essentiellement trois moyens principaux pour se financer :

– emprunter directement sur les marchés internationaux ce qui implique pour l’Etat de payer une prime de risque de plus en plus prohibitive liée à la crainte croissante des investisseurs d’un défaut de paiement ;

– emprunter auprès de la Chine via le fonds Chine-Venezuela où ont transité près de 60 milliards de dollars depuis 2009. Dans le cadre de ce fonds, la Chine prête de l’argent au Venezuela en échange de l’envoi de pétrole à tarif préférentiel. C’est notamment par ce biais que l’Etat a remboursé les emprunts souverains arrivant à échéance l’an dernier. Ce mécanisme fonctionnait tant que le prix du baril de pétrole était élevé et que la situation politique au Venezuela était à peu près stable. L’intérêt de la Chine est désormais de s’approvisionner sur le marché international, notamment auprès de l’Iran, plutôt qu’auprès de Caracas. Le changement stratégique opéré par Pékin est manifeste : lorsque le Venezuela a demandé un délai de grâce de deux ans à la Chine pour rembourser ses prêts…il n’a obtenu qu’un an. Le gouvernement ne peut donc pas compter sur une nouvelle aide chinoise pour surmonter les échéances de prêts qui vont tomber cet automne, ce qui augmente sensiblement la probabilité de défaut de paiement à moyen terme;

– emprunter indirectement via la compagnie pétrolière nationale PDVSA* qui est la principale source de revenus et d’accès aux devises étrangères du pays. Le montage financier est simple : PDVSA emprunte en USD sur le marché américain via sa filiale Citgo Petroleum Corporation. Comme les obligations émises sont en droit américain, et non en droit vénézuélien, ce qui offre des voies de recours plus aisées pour les investisseurs en cas de non-paiement, les taux d’emprunt sont plus abordables. Les montants levés sont transférés ensuite à PDVSA et permettent de financer le budget de l’Etat. C’est actuellement le moyen le moins coûteux pour l’Etat d’emprunter.

PDVSA à court d’argent

Cependant, cette mécanique est remise en cause par les difficultés financières croissantes de PDVSA. Elles remontent à 2003-2004 lorsque le président Hugo Chavez a décidé de transférer la majorité des recettes de PDVSA vers le budget de l’Etat afin de financer les missions sociales bolivariennes, plutôt que d’investir pour garantir la compétitivité de l’appareil productif de l’entreprise. L’insuffisance d’investissements ne remettait pas en cause la viabilité financière à moyen terme de PDVSA tant que le prix du baril de pétrole était élevé, au-dessus de 100 USD.  Le coût de production d’un baril au Venezuela, qui est parmi les plus importants au monde, autour de 23,50 USD contre environ 10 USD dans les pays de la péninsule arabique, était largement couvert. La baisse du prix du baril à partir de mi-2014 a entraîné une baisse de la production massive dans le pays et une réduction des marges de l’entreprise qui s’est répercutée directement sur la capacité d’intervention budgétaire de l’Etat.

Jusqu’à présent, PDVSA continue de payer rubis sur l’ongle ses détenteurs d’obligations, c’est pourquoi 80% d’entre eux en rachètent lorsqu’elles arrivent à échéance. D’ailleurs, la compagnie a confirmé cette semaine le paiement des intérêts pour les obligations arrivant à échéance en 2021, 2024, 2026 et 2035. L’entreprise continue d’entretenir l’illusion de sa bonne santé financière, mais c’est trompeur. Elle est  à court de liquidités. Elle continue de rembourser les détenteurs d’obligations afin de ne pas couper le flux de financement de l’Etat vénézuélien mais est incapable de payer les entreprises prestataires étrangères auxquelles elle fait appel.

Pour repousser le problème à plus tard, depuis 2015, PDVSA a recours massivement à divers instruments financiers, notes de crédit et papier commercial, pour solder les factures en suspens avec les entreprises étrangères, comme General Electric. Ces instruments sont peu liquides et comportent deux avantages principaux. Pour PDVSA, ils offrent à l’entreprise un répit supplémentaire pour rembourser ses créanciers, pouvant aller jusqu’à six ans. Pour ses créanciers, ils peuvent faire valoir leurs droit en cas de non-paiement auprès d’une organisation internationale indépendante, la Chambre de commerce internationale, dont le secrétariat se trouve à Paris, et qui peut décider d’une saisie des biens de PDVSA.

Toutefois, une décote de ces titres parait inévitable à terme. Ils ont été émis à hauteur de 310 millions de dollars en 2015. Cette année, PDVSA prévoit de négocier avec des banques européennes pour émettre des notes de crédit pour un montant de 1,5 milliard USD à échéance trois à cinq ans. Le recours de plus en plus important à ces instruments financiers est le signe incontestable de la dégradation rapide de la santé financière de PDVSA. L’entreprise a en fait déjà fait défaut, au moins vis-à-vis de ses partenaires industriels. Si PDVSA chute, c’est le Venezuela qui s’effondre dans la minute. En phagocytant et en malmenant l’appareil productif de l’entreprise, l’Etat a détruit la seule industrie capable d’assurer l’avenir économique du Venezuela. Bien qu’il possède les premières réserves prouvées de pétrole au monde, il y a une probabilité très élevée que le pays soit en défaut de paiement avant la fin de l’année.

* Petróleos de Venezuela SA

Christopher Dembik - Saxo Banque

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