Ramasser des centimes devant un rouleau compresseur

Asset Management - La plupart des classes d’actifs ont enregistré des performances satisfaisantes durant les cinq premiers mois de l’année, ce qui signifie que les rendements sont positifs pour le moment. Malgré toutes les tensions politiques, les niveaux de valorisation élevés des actions américaines, les perspectives économiques incertaines et même la mauvaise période actuelle ("Sell in May"), les actions suivent une tendance haussière. Il semble que la majorité des investisseurs ramassent des centimes devant un rouleau compresseur, c’est-à-dire qu’il existe une probabilité raisonnable d’enregistrer des gains modestes et réguliers mais aussi une probabilité non négligeable de subir des pertes considérables, en cas de correction.

L’expression « ramasser des centimes devant un rouleau compresseur » vient de Nassim Taleb, l’auteur de livres à succès sur le hasard et le risque. Il évoque une stratégie d’investissement caractérisée par une forte probabilité de générer de petits profits (centimes) et une petite probabilité de pertes colossales (rouleau compresseur). Nassim Taleb estime que ces pertes seraient supérieures aux montants engrangés auparavant.

Les centimes restent séduisants

Le rendement annuel nominal à long terme est d’environ 8 %, ce qui suggère que, jusqu’à présent, ramasser des centimes s’est clairement révélé être la stratégie gagnante. La métaphore semble donc exagérée en ce qui concerne l’ampleur des risques encourus.

En effet, aussi insensé que puisse sembler le ramassage de centimes, il faut souligner que cette stratégie a été très rentable sur la plupart des marchés dans les années post-crise. Investir dans le haut rendement (high yield) et le crédit a permis aux investisseurs d’engranger un rendement supplémentaire régulier (spread) au risque qu’un événement de crédit majeur (défaut, par exemple) se produise. Or, à l’exception du secteur pétrolier aux États-Unis, aucun événement de ce type ne s’est produit et les spreads sont restés stables, voire ont baissé.

Où se trouve le rouleau compresseur ?

De leur côté, les marchés boursiers ont progressé et malgré quelques pics de volatilité de temps à autre, le gros rouleau compresseur ne s’est pas mis en marche. Comme cela a été fréquemment souligné, acheter la volatilité (en vendant le VIX à découvert, par exemple) a constitué un moyen de générer des gains réguliers, tandis que vendre la volatilité (en achetant le VIX pour se protéger) a constamment abouti à des pertes.

Il existe plusieurs raisons à cette anomalie, en premier lieu le fait que le rôle des banques centrales est passé de celui de garant de l’économie à celui de gardien général des marchés financiers. Dans le même temps, la croissance économique a peut-être déçu ces cinq dernières années, mais cela s’est accompagné d’une volatilité plus faible des données sous-jacentes.

En outre, la longue liste des incertitudes politiques n’a pas affecté les marchés tant que ça. On peut en conclure que le simple fait d’ignorer ces incertitudes s’est révélé être la solution optimale. Mais cela ne signifie pas qu’elle soit appropriée pour l’avenir : il est toujours possible que l’une des incertitudes dégénère.

Centimes ou euros ?

Une autre façon d’aborder la question des petits profits est d’examiner deux questions connexes : la taille du rouleau compresseur et si nous parlons véritablement de centimes ou de pièces plus grosses. Les marchés actions américains ayant rebondi de 225 % depuis le point bas atteint en 2009 (en incluant les dividendes, la performance annuelle a été de 18 % sur cette période) et semblant désormais chers selon de nombreux indicateurs de valorisation, il est clair que les centimes les plus faciles à ramasser l’ont déjà été.